Gestion de l’eau : faire coïncider usages et ressource en eau sur les territoires
Les tensions autour de la ressource en eau s’intensifient en France. Entre les économies d’eau et les solutions techniques, des pistes d’adaptation existent pour garantir demain l’accès à l’eau pour les différents usages.
Les tensions autour de la ressource en eau s’intensifient en France. Entre les économies d’eau et les solutions techniques, des pistes d’adaptation existent pour garantir demain l’accès à l’eau pour les différents usages.
Tandis que la sécheresse historique de l’année 2022 est encore dans tous les esprits, la recharge hivernale insuffisante de nappes interroge déjà pour la prochaine saison estivale. La dernière décennie comptabilise en outre quatre des années les plus chaudes jamais enregistrées en France. Dans ce contexte, pas étonnant que les tensions autour de la ressource en eau s’accentuent sur le territoire. « Le scénario de 2022 ne va pas forcément devenir une généralité tout de suite, mais cela reviendra de plus en plus souvent », prévient Bernard Legube, président du conseil scientifique de l’agence de l’eau Adour-Garonne.
Face à ce constat, les acteurs des territoires ne vont pas avoir d’autres choix que de se mettre autour de la table pour trouver des solutions d’adaptation. C’est un des objectifs des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), outil issu du Varenne agricole de l’eau censé institutionnaliser le dialogue territorial autour de la ressource en eau. Une centaine est en cours d’élaboration, celui du Loiret étant le plus abouti.
L’enjeu est de parvenir à équilibrer l’offre (ressource en eau disponible) et la demande (eau potable, industrie, énergie, agriculture) dans un contexte de réchauffement climatique. « La prise de conscience sur la diminution de la ressource en eau en période de basses eaux est parfois difficile », constate Thomas Viloingt, chargé de mission agriculture à l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Une situation qui ne va pas s’arranger. Les modèles (1) montrent en effet qu’à l’horizon 2050, la pluviométrie moyenne annuelle va diminuer : les pluies devraient augmenter un peu en hiver et diminuer dans des proportions plus importantes en été. Dans le tiers sud de la France, la tendance à la baisse des précipitations serait de l’ordre de 10 % à 20 %.
Des mesures d’adaptation nécessaires
Ces changements vont avoir des conséquences sur la disponibilité de la ressource en eau qui va se raréfier dans certains territoires. « Sur le bassin Adour-Garonne, le débit moyen interannuel des cours d’eau pourrait baisser de 20 à 40 % selon le secteur et les années », illustre Bernard Legube qui se base sur les chiffres du projet Explore70. Autre chiffre parlant : 2 milliards de m3 d’eau sont prélevés chaque année dans le milieu, dont 800 millions de m3 pour l’agriculture. Aujourd’hui, le déficit par rapport au débit d’objectif d’étiage (2) est de 200 millions de m3. « Si on ne change rien à nos consommations, étant donné les perspectives sur la disponibilité de la ressource en eau, le déficit attendra 1 milliard de mètres cubes d’ici à 2050 », avance Bertrand Legube qui précise toutefois que des possibilités d’adaptation existent.
L’adaptation à cette réalité se joue à plusieurs niveaux. « Les pratiques des usagers vont devoir s’adapter à l’eau disponible sur un territoire », assure Thomas Viloingt. Cela passe d’abord par des économies d’eau pour tous les types d’usages. Sans surprise, au niveau agricole, c’est l’optimisation de l’irrigation qui peut permettre de réaliser des économies ainsi que l’orientation vers des cultures moins gourmandes en eau. « Les industries alimentaires, les pouvoirs publics ainsi que les consommateurs ont un rôle important à jouer car ce sont eux qui peuvent influencer à long terme l’évolution des assolements », avance Thomas Viloingt. Les changements de cultures ne peuvent sérieusement s’envisager pour les agriculteurs que si des débouchés et une rémunération existent en face.
L’adaptation passe aussi par la mise en œuvre de solutions basées sur la nature pour mieux retenir l’eau dans les sols. « La résilience des milieux permet de les rendre moins sensibles au réchauffement climatique », explique Thomas Viloingt. Point sur lequel le secteur agricole a bien sûr un rôle majeur à jouer : implantation de haies, pratiques agronomiques favorables à la vie des sols, agroforesterie, restauration de zones humides… En dehors de l’agriculture, des efforts doivent aussi être faits pour limiter l’artificialisation des terres et désimperméabiliser les sols urbains.
À titre d’exemple, dans le bassin Adour-Garonne, ces solutions mises bout à bout permettraient d’atteindre une première marche de réduction du déficit annuel de l’ordre de 500 à 600 millions de m3. « Sans solutions de stockage en parallèle, il sera difficile d’atteindre l’équilibre », considère Bernard Legube.
Vers des stockages intelligents à l’échelle des territoires ?
Le stockage hivernal, ou réserve de substitution, est en effet une piste à ne pas négliger pour réduire les prélèvements en période de basses eaux. « Ce ne sera pas n’importe où et pas n’importe comment, il faut réfléchir aux meilleures conditions pour mettre en place ces réserves, mais nous n’aurons pas vraiment le choix », assure le président du conseil scientifique, également spécialiste en physico-chimie des eaux et traitement des eaux. Travailler localement sur le stockage de l’eau est justement un objectif des PTGE. « On reste en attente de concrétisation du Varenne agricole sur la gestion de l’eau », estime Éric Frétillère, président des Irrigants de France.
Pour parvenir à mener à bien de tels projets, une des clés de l’acceptation passe par des stockages qui devront être pensés à l’échelle locale et être multiusage pour répondre aux différents besoins (eau potable, soutien d’étiage, irrigation, réserve incendie, restauration de zones humides ou même loisirs). Pour tenter de mettre les gens d’accord, Bertrand Legube prône aussi l’amélioration des connaissances scientifiques sur ce sujet pour avoir des données objectives.
Éric Frétillère en appelle à une réflexion collective pour concevoir de nouveaux modèles de réserves d’eau. « On pourrait imaginer des projets permettant à la fois la création de zones humides, en lien avec les nappes phréatiques, adossées à la constitution de réserves d’eau pour l’irrigation, avance le responsable. Les sites pourraient aussi être producteurs d’énergie en installant des panneaux photovoltaïques au-dessus de l’eau et en produisant de la microélectricité avec les flux d’eau. »
Quid de la réutilisation des eaux usées ?
En France, moins de 1 % des eaux usées sont réutilisées. Est-ce pour autant une piste sérieuse ? Pour Éric Frétillère, c’est une voie à explorer, sans pour autant « constituer une solution globale pour l’irrigation ». Selon les agences de l’eau, de telles initiatives ne doivent pas se faire au détriment du milieu récepteur. « En été, dans certains secteurs du sud de la France, les rejets des stations d’épuration représentent entre 50 et 100 % du débit des cours d’eau », explique Bertrand Legube, qui considère que cela peut constituer des solutions par endroits, notamment sur le littoral où l’eau est rejetée dans la mer. Sans compter que la réutilisation des eaux usées en irrigation nécessite des investissements coûteux en stations d’épuration.