Méthanisation agricole : la réalité du modèle français remise en question
La méthanisation agricole à la française affiche se veut vertueuse : elle n’est pas censée concurrencer l’alimentation, en s’appuyant sur les effluents d’élevage et des Cive, et ces unités de taille relativement modestes sont ancrées dans leur territoire. Mais les contrôles insuffisants laissent de la place aux accusations de dérives.
La méthanisation agricole à la française affiche se veut vertueuse : elle n’est pas censée concurrencer l’alimentation, en s’appuyant sur les effluents d’élevage et des Cive, et ces unités de taille relativement modestes sont ancrées dans leur territoire. Mais les contrôles insuffisants laissent de la place aux accusations de dérives.
La multiplication des méthaniseurs a exacerbé les craintes d’impacts négatifs, et pas seulement chez les riverains. La méthanisation est également contestée sur des bases agronomiques et en raison d’une potentielle concurrence pour l’alimentation. Conséquence de ces remises en cause : peu de projets échappent aux accusations, voire aux attaques devant un tribunal administratif, et les oppositions sont de plus en plus organisées. Ces procédures, coûteuses pour les porteurs de projets, rallongent fortement les durées de gestation. Ce contexte engendre de grosses incertitudes sur la capacité à mener le projet à son terme.
Sur le papier, le modèle français est pourtant rassurant, voire séduisant. La réglementation encourage en effet l’alimentation des méthaniseurs par des effluents d’élevage et des cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive), auxquels peut s’ajouter la valorisation de déchets d’industrie. Rien à voir avec l’Allemagne, où le maïs a été massivement détourné de son usage alimentaire. Par ailleurs, le modèle dominant est celui de petites unités individuelles (notamment pour la cogénération) ou de projets collectifs portés par une poignée d’exploitations, qui fournissent elles-mêmes une part majoritaire du plan d’alimentation du méthaniseur.
Pour limiter la concurrence de l’activité alimentaire, la loi française impose que les cultures principales (hors cultures intermédiaires) constituent moins de 15 % du tonnage brut de la ration du méthaniseur. Les Cive, implantées en interculture, ne font pas concurrence aux cultures alimentaires. Selon certaines enquêtes régionales, les cultures dédiées à l’alimentation du méthaniseur qui ne seraient pas des intercultures représenteraient ainsi en moyenne moins de 6 % des rations.
Problème, ces données sont élaborées sur une base déclarative. « Le modèle 'à la française' est une vue de l’esprit qui ne correspond pas à la réalité. On affiche des chiffres alors qu’il n’y a aucun contrôle », affirme Alexandre Mamdy, chargé de mission au conseil régional de Bretagne. Sur le terrain, de telles accusations sont courantes. Mais difficiles à quantifier, faute de contrôles suffisants. La Région Bretagne va d’ailleurs lancer un vaste audit sur l’impact de la méthanisation sur l’agriculture locale, et d’autres devraient suivre.
« Fausses » Cive cultivées au détriment des cultures principales, pulpes de betteraves et drêches subtilisées à l’élevage, conduite intensive des Cive… les griefs se multiplient. Dérives minoritaires, comme l’assurent l’Ademe et Solagro, ou pratiques généralisées ? Pour y voir clair, tous les acteurs, favorables ou opposés à la méthanisation, réclament des contrôles accrus pour lever ou confirmer (selon le camp) les soupçons.
Des négociations ont été lancées entre représentants de la filière et les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique. Le but est de préciser la définition des Cive et des cultures principales, et d’aboutir à un cadre clair et contrôlable. Il pourrait être relié à la déclaration PAC, notamment pour garantir la traçabilité des Cive. Parvenir à l’homogénéisation des données permettrait un état des lieux clair et des comparaisons entre région. Une difficulté demeure : affecter des moyens de contrôle efficaces aux administrations, qui manquent cruellement d’effectif pour ce type d’action.