Les mélanges de variétés de blé à la recherche de références
Considérés comme un moyen de sécuriser les rendements, les mélanges de variétés de blé tendre intéressent de plus en plus d’agriculteurs. Pourtant, les connaissances sur le sujet restent encore très empiriques. L’Inra a lancé un projet de recherche pour mieux comprendre comment associer les variétés.
Considérés comme un moyen de sécuriser les rendements, les mélanges de variétés de blé tendre intéressent de plus en plus d’agriculteurs. Pourtant, les connaissances sur le sujet restent encore très empiriques. L’Inra a lancé un projet de recherche pour mieux comprendre comment associer les variétés.
« Dans 70 % des cas que nous avons étudiés, le rendement d’un mélange de variétés de blé tendre est égal ou supérieur à ceux obtenus par les variétés qui le composent. » Cette analyse de Guillaume Houivet, conseiller à la chambre d’agriculture de l’Indre, se base sur plus de cinq ans d’essais. Elle fait consensus : si associer des variétés de blé tendre ne fait en général pas perdre de quintaux, cela n’en fait pas gagner non plus.
Alors, pourquoi faire des mélanges ? « Nous pensions que le gain de rendement était une priorité pour les agriculteurs. En fait, non, leur priorité est la sécurité du rendement. Ceux qui ont franchi le pas ont en général comme premier objectif la réduction de la pression maladies. Vient ensuite la stabilité du rendement : le mélange leur permet de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier », explique Arnaud Gauffreteau, chercheur à l’Inra.
« Avoir un mélange, c’est comme avoir une seule variété sur l’exploitation »
Depuis deux ans, il travaille sur le projet Wheatamix, en partenariat avec d’autres scientifiques, plusieurs chambres d’agriculture et des producteurs. L’un de ses objectifs : comprendre les clés du raisonnement des agriculteurs. « La simplification de la gestion des parcelles est également un point crucial, ajoute-t-il. Avoir un mélange, c’est comme avoir une seule variété sur l’exploitation. C’est donc plus simple à semer. Et comme les maladies progressent plus lentement, les agriculteurs ont plus de temps pour traiter, ils peuvent choisir le bon moment, ils sont moins anxieux. »
Dans les faits, l’intérêt pour ces pratiques augmente. « Cinq, voire dix pour cent de nos agriculteurs réalisent des mélanges, observe Guillaume Houivet. Il y a un engouement pour cette technique, à la fois parce que les producteurs sont en recherche de simplicité et parce que c’est un moyen de gérer les risques. »
Quatre variétés pour mieux répondre aux stress
Pour l’instant, la mise en œuvre des mélanges, en particulier le choix des variétés, demeure relativement empirique, même si des repères existent concernant les maladies. « Pour la rouille, on sait qu’il ne faut pas plus d’un tiers de plantes sensibles dans un mélange pour qu’il reste efficace », indique par exemple Jérôme Enjalbert, chercheur à l’Inra du Moulon et coordonnateur de Wheatamix. Les plantes sensibles sont diluées dans le couvert, ce qui limite la propagation des spores, tandis que les variétés résistantes constituent un obstacle physique à l’expansion du champignon.
Globalement, les travaux de l’Inra montrent qu’il faut un minimum de trois variétés pour que l’une d’entre elles au moins puisse s’adapter aux stress rencontrés. Mais point trop n’en faut : au-delà de six, le comportement du mélange devient difficile à prévoir, les interactions positives ou négatives entre les variétés étant trop nombreuses. « Nous préconisons des mélanges à quatre variétés », conclut Sébastien Piaud, conseiller à la chambre d’agriculture de Seine-et-Marne, qui s’appuie sur les travaux de l’Inra. La règle est communément admise, chaque variété étant le plus souvent en proportions égales dans le mélange.
Des critères qui peuvent aller en sens contraire
Faute d’un conseil précis, les agriculteurs choisissent souvent les variétés de leur mélange parmi les cinq premières du catalogue, en veillant à prendre des précocités voisines. Très partagé, le critère n’est pourtant pas absolu : « Nous constatons qu’un étalement des précocités à montaison peut avoir de l’intérêt, note Arnaud Gauffreteau. L’architecture du couvert joue sur le développement des maladies : des plantes résistantes à la septoriose et plus hautes peuvent avoir un effet parapluie sur celles plus sensibles et plus basses, et qui seraient en contrepartie plus résistantes à la rouille, par exemple ».
De telles associations peuvent réduire de 50 % les contaminations. Encore faut-il tenir compte du contexte pédo-climatique. « Dans les zones très séchantes, en cas de gros problème de stress hydrique, la différence de hauteur augmente l’aération du mélange, donc l’assèchement », rappelle le chercheur. Afin de compiler tous ces éléments, le projet Wheatamix a pour ambition d’établir une grille d’évaluation multicritère des mélanges, utilisable par les agriculteurs pour appuyer leurs choix.
Le projet s’intéresse également à l’itinéraire technique à suivre pour les associations. « Ce n’est pas évident de savoir quand traiter un mélange, constate Arnaud Gauffreteau. Chaque agriculteur a ses propres règles : l’un implante un bout de parcelle avec la variété la plus sensible de son mélange en pur, un autre pose des piquets dans son champ au fur à mesure des tours de plaine afin d’objectiver la progression de la maladie… Ce manque de règles de décision est un frein au développement de la pratique. » Le même problème se pose en ce qui concerne l’azote car les outils de pilotage actuels sont calibrés sur des variétés pures. Il faut donc opter pour un entre-deux imprécis.
Prévoir ses débouchés avant de semer
Au regard de ces questions techniques sur la conduite, celle relative aux débouchés est finalement moins complexe. Certes, beaucoup de collecteurs freinent leurs adhérents sur le sujet, particulièrement lorsque leurs principaux clients sont des meuniers qui exigent des variétés pures. « Même si le blé de meunerie ne constitue pas un gros pourcentage du marché, c’est le débouché à plus forte valeur ajoutée, signale Stéphane Lemarié, de l’Inra de Grenoble, qui participe aux réflexions sur les filières au sein du projet Wheatamix. Dans leurs préconisations, les collecteurs qui sont sur ces créneaux ont tendance à amplifier les volumes qu’ils vont vendre. Ils veulent ainsi pouvoir capter des marchés en plus s’ils en ont l’occasion et ne pas être bloqués. »
Dans les faits, un certain nombre de collecteurs tolèrent les mélanges, à condition qu’ils concernent des variétés de même qualité technologique (blés panifiables supérieurs, par exemple). La récolte part alors vers l’export ou l’alimentation animale. Pour Stéphane Lemarié, « les agriculteurs qui se lancent dans les mélanges doivent absolument s’assurer qu’ils pourront le vendre ».
Encore à leurs balbutiements, les mélanges ouvrent en tout cas de nouvelles perspectives, en termes de développement technique mais également de sélection variétale. « Les semenciers ont tous dans leur catalogue de très bonnes variétés qui ont un défaut, par exemple une résistance contournée à une rouille, remarque Jérôme Enjalbert. Dans une association variétale, ce défaut pourrait être compensé par la protection offerte par les voisines. » Une seconde vie pour certaines oubliées du catalogue ?
Les mélanges efficaces contre des pressions modérées de septoriose
L’Inra a travaillé pendant plusieurs années (2008 à 2012) sur l’intérêt des associations bivariétales face à la septoriose. Les mélanges testés comprenaient un quart de plantes moyennement sensibles pour trois quarts de moyennement résistantes.
Des années comme 2011 ou 2008, l’association variétale a significativement mieux résisté en moyenne que les deux variétés pures. La pression de la maladie était faible (2011) à moyenne (2008). Selon les chercheurs, l’association permet dans ces cas-là de réduire de 40 % la surface de feuille malade sur la variété sensible.
Mais le système a ses limites. En 2012, année très pluvieuse marquée par des attaques tardives et sévères de septoriose, la variété résistante n’a pas pu faire un barrage efficace : la présence de la variété sensible a augmenté l’inoculum dans l’association, accru également par la répétition des cycles infectieux du champignon. Et les plantes résistantes se sont trouvées dépassées.
Source : Inra, Claude Pope et Sébastien Saint-Jean, publié dans Innovations agronomiques n° 50 (2016)