Légumineuses à graines pour l’alimentation humaine : est-ce une bonne idée d’en intégrer dans votre assolement ?
La demande de légumineuses à graines pour l’alimentation humaine semble porteuse. Pourtant, les surfaces emblavées régressent depuis deux ans. À quelles conditions ces productions peuvent constituer une opportunité pour les producteurs ?
La demande de légumineuses à graines pour l’alimentation humaine semble porteuse. Pourtant, les surfaces emblavées régressent depuis deux ans. À quelles conditions ces productions peuvent constituer une opportunité pour les producteurs ?
Mogette de Vendée, lentille du Puy ou du Berry, lingot du Nord, haricot de Soissons, coco de Paimpol… Depuis plusieurs années, les filières légumes secs, ou légumineuses à graines, se développent autour de labels de qualité, du bio ou des circuits courts. Mais ces productions ont-elles un potentiel de développement en dehors de ces bassins historiques de production, notamment à travers des filières longues ? Présentent-elles une opportunité de diversification pour les producteurs de grandes cultures ?
Les opérateurs s’accordent à dire que ces cultures peuvent être intéressantes mais à certaines conditions. « Il faut avancer pas à pas avec les producteurs pour accompagner des produits qui ont le vent en poupe, c’est un équilibre assez fragile », reconnaît Loïc Guitton, directeur des productions végétales spécialisées à la Cavac. « Ce sont des productions à valeur ajoutée, mais il faut construire des contrats de filière avec des débouchés garantis », confirme Olivier Pedelabat, responsable de la filière légumes de la coopérative du Sud-Ouest Euralis qui développe les productions de lentille, pois chiche et haricot sec en partenariat avec Bonduelle.
Des surfaces en retrait depuis deux ans
La situation de ces cultures est assez paradoxale. Malgré une hausse de la demande en protéines végétales d’origine française, les surfaces de légumes secs sont orientées à la baisse ces deux dernières années, y compris dans les bassins historiques de production, après avoir connu une progression importante les vingt dernières années, notamment en lentille et en pois chiche. En Auvergne-Rhône-Alpes par exemple, la sole régionale en lentille, dont les trois quarts sont en AOP Puy-en-Velay, régresse depuis 2018 en zone AOP et depuis 2021 ailleurs. En pois chiche, les surfaces ont décroché en même temps après avoir triplé entre 2017 et 2018.
Les dernières campagnes ont été difficiles pour ces cultures sur le plan climatique. 2021 a été marquée par un excès d’humidité qui a rendu la récolte compliquée, voire impossible par endroits. À l’inverse, l’ampleur de la sécheresse et les très fortes températures de l’été 2022 ont pénalisé les cultures, y compris lentille et pois chiche, plantes méditerranéennes pourtant sensées supporter un certain niveau de stress hydrique. La moindre récolte et les problèmes de qualité ont entraîné une baisse de la rémunération des producteurs.
Conséquence : au niveau national, les surfaces de lentille et de pois chiche sont passées de près de 35 000 hectares pour chaque production en 2019, à 29 100 ha de lentille en 2019 et à 16 000 ha pour le pois chiche. « La culture de légumineuses, c’est accepté les accidents de récolte environ une année sur cinq. Il faut prendre en compte ces années avec des rendements bas », complète Alban Mialon, conseiller spécialisé agronomie et grandes cultures à la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme.
Autre point faible : les variétés disponibles. « En lentille verte, la variété Anicia, qui date des années 1960, est quasiment la seule option », constate Zoé Le Bihan, référente nationale lentille à Terres Inovia. Le manque de génétique se fait criant, notamment pour faire face aux aléas climatiques. Une convention de recherche de trois ans a d’ailleurs été signée entre Terres Inovia, l’Icarda et trois sélectionneurs français - Agri-Obtentions SA, Pro’Pulse et Semences de Provence - pour améliorer les connaissances génétiques et augmenter le nombre de variétés de lentille et de pois chiche disponibles en France.
En attendant, une des solutions face aux risques d’accidents de production est de limiter la surface qui leur est consacrée. « Pour un producteur, il est raisonnable de se limiter à 10 ou 15 % de son assolement avec ces cultures », considère Loïc Guitton.
Des productions qui présentent un intérêt agronomique
Face aux exigences de la PAC en termes de diversification des cultures, les légumineuses à graines permettent d’allonger les rotations et de casser les cycles des maladies, ravageurs et adventices. « Ce sont de bonnes têtes d’assolement qui nécessitent peu de phytos et peu d’engrais », apprécie Guillaume Saintignan, agriculteur à Lussan-Adeilhac en Haute-Garonne, et administrateur de la coopérative Euralis. Il s’est lancé dans la lentille et le pois chiche cette année. « Ces cultures présentent des propriétés fixatrices d’azote disponible pour la culture suivante, vante pour sa part Alban Mialon. Le pois chiche booste aussi les fonctions microbiennes du sol. »
La lentille et le pois chiche sont intéressants dans les secteurs où il n’est pas possible d’irriguer. Toutefois, la culture du pois chiche n’est pas possible partout : elle nécessite la présence d’un rhizobiome dans le sol, absent au nord de la France, pour obtenir des nodosités. Se pose aussi la question de la fin de cycle et de la récolte, qui peuvent s’avérer compliquées dans certaines régions s’il fait trop humide. Le haricot sec nécessite, lui, d’être conduit avec de l’irrigation.
Sécuriser le revenu des producteurs
Les légumineuses à graines pour l’alimentation humaine restent un marché de niche : pour assurer un développement maîtrisé et éviter les surproductions synonymes de chute des prix, une des clés est de passer par la contractualisation. « C’est une logique inversée par rapport aux filières céréales, on est dans l’accompagnement du marché dans un pas de temps pluriannuel, considère Loïc Guitton. L’objectif est d’être moins exposé aux fluctuations de prix et de répondre à la fois aux attentes des producteurs en termes de revenus et aux besoins des entreprises de transformation et de distribution. »
Pour inciter de nouveaux producteurs à se lancer, certains contrats offrent plus de garanties que d’autres. Du côté d’Euralis, les producteurs bénéficient d’un forfait à l’hectare à partir du moment où l’on récolte sa production, quel que soit le rendement obtenu. « C’est un filet de sécurité complété par un prix à la tonne produite pour rémunérer la performance », explique Olivier Pedelabat. À la Cavac, pas de sécurisation financière mais ça se joue au départ en ajustant les surfaces par rapport aux débouchés. « Les producteurs restent exposés à leur performance mais nous avons un réseau de techniciens pour les accompagner dans la stabilisation des rendements », assure Loïc Guitton.
Selon Terres Univia, en 2020, la rémunération en lentille varie par exemple de 450 à 1 800 €/t en fonction des débouchés.
En complément ou à la place d’une commercialisation au travers d’une filière, la vente directe peut-être une planche de salut pour les producteurs qui souhaitent se lancer dans ces cultures.
Légumineuses à graines, de quoi parle-t-on ?
On distingue six types de légumineuses à graines destinées à l’alimentation humaine : la lentille, le pois chiche et le haricot sec arrivent en tête dans le panier des consommateurs d’après une enquête menée pour Terres Univia publiée en octobre 2023. Leurs ventes atteignent 73 M€ en 2022, soit 20 000 t. Ces trois denrées se caractérisent par le fait qu’elles sont exclusivement destinées à l’alimentation humaine. Vient ensuite le pois et, de manière plus anecdotique, le soja et la fève. Ces trois productions arrivent en tête en termes de surfaces cultivées car, si elles entrent de plus en plus fréquemment dans la composition des menus des Français, elles sont principalement destinées à l’alimentation animale.