UKRAINE
Le réveil d'un géant du côté de la Mer noire
Encore cette année, la production céréalière ukrainienne va peser sur les marchés mondiaux. Bien que ce pays ait été fortement secoué par la crise économique, les Ukrainiens sont persuadés qu'ils peuvent conquérir le monde.
Incontestablement l’Ukraine redeviendra le grand grenier à blé mondial qu’il a été par le passé. Alors que son histoire est étroitement liée à celle de la Russie — Ukraïna veut dire en Russe « à côté du pays » —, la terre des cosaques a joué ce rôle pendant des siècles au cours des périodes tsariste puis soviétique. D’ailleurs, son drapeau jaune et bleu symbolise un champ de blé mûr sous le ciel oriental. Puis la chute du mur de Berlin a profondément désorganisé son économie. « Le niveau de production ukrainien est deux fois inférieur à celui de la France, mais la modernisation de l’agriculture est en cours, même si le rythme est lent. Nous sommes sur la bonne voie », se réjouissait Youri Federovitch Melnik, ministre de la Politique agraire en mai dernier (1). Chaque rencontre avec les acteurs du monde agricole ukrainien dégage le même sentiment puissant : celui que l’avenir leur appartient et une formidable envie de conquérir le monde. « La dynamique est là », résume le ministre. « Le pays a le soutien de la Berd (2) et de la Banque mondiale. L’agriculture représente 17 % du produit intérieur brut, et génère 4 à 5 milliards d’euros de solde de commerce extérieur. C’est un secteur sur lequel l’État, mais surtout les opérateurs économiques misent beaucoup » souligne Jean-Jacques Hervé, conseiller auprès du gouvernement ukrainien pour les questions agricoles.
LA CRISE ÉCONOMIQUE SÉVIT
Pourtant, les difficultés sont nombreuses et sembleraient même insurmontables à la majorité des occidentaux. La crise économique est vécue douloureusement. « Le milieu d’affaires ukrainien avait à peine commencé à avoir recours au financement bancaire, cinq ou six ans, quand la crise financière est intervenue », souligne Dimitro Kuchnir, chef de secteur agroalimentaire de la mission économique de l’Ambassade de France en Ukraine. « Conséquence : depuis la crise, il n’y a plus de financement et les taux d’intérêt sont très élevés, supérieurs à 20 %. » Parfois de 35 %. Avec les emprunts adossés à la monnaie locale, le hryvnia(3), les Ukrainiens ont subi de plein fouet la dévaluation de près de 50 % de la monnaie fin 2008. La crise a particulièrement affecté le marché du machinisme agricole, en progression de 60 % jusqu’à début 2008. Les constructeurs locaux sont durement touchés. On en prend notamment conscience en déambulant sur le site « fantôme » de l’usine de Nickolaïev, déserté par les salariés au chômage technique depuis cinq mois. Mais tout cela n’arrête pas les agriculteurs ukrainiens car les structures moyennes avaient peu recours à l’emprunt. Faute de liquidités, ces dernières ont tout de même dû réduire leurs achats d’intrants, notamment en ayant recours aux semences de ferme.
CAPACITÉ DE REBONDIR
Quant aux très grandes structures agricoles de plus de 50000 hectares, appelées agro-holdings, les banques ne peuvent les abandonner sans prendre le risque de perdre leurs propres créances. Par ailleurs, le Fonds monétaire international (FMI) a débloqué 16,5 milliards de dollars (un des montants les plus élevés dans le monde) pour venir en aide au pays et au système bancaire ukrainien particulièrement désorganisé. « C’est la crise, mais l’Ukraine rebondira plus vite qu’ailleurs », souligne Olivier Dufour, importateur de vin français dans ce pays.
LES TRADERS AUX AGUETS
Les entreprises agricoles subissent aussi l’instabilité extrême des cours. Ici, pas de DPU pour sécuriser le revenu. « Le soutien public total se limite à 15 dollars par hectare et par an », comptabilise Jean- Jacques Hervé. Pas plus de filet de sécurité pour garantir un prix minimum au producteur. « Comme il n’y a aucune régulation du marché, la marge est inéquitablement répartie entre les producteurs et les traders », poursuit-il.Ainsi, en 2008, la récolte a été abondante. Les prix intérieurs ont plongé dès septembre à 350 hyrnivias la tonne (46 !/t) pour le maïs contre 1 000 hyrnivias (130 !/t) deux mois plus tôt et 600 (78 !/t) pour le blé au lieu de 1 700 (220 !/t). Ce qui à permis aux grands négoces internationaux, qui ont tous pignon sur rue au grand port d’Odessa, d’être d’autant plus agressifs sur les marchés pays tiers. La crédibilité mondiale de ce grand pays de tradition céréalière passera nécessairement par la reconstruction de son système logistique.
DES SILOS EN RUINE
Le manque de silos a des conséquences lourdes sur la qualité de la récolte. L’an passé, alors que la moisson était pléthorique, une grande partie a été stockée dans de très mauvaises conditions, par exemple dans des bâtiments d’élevage désaffectés. « Sur les 600 silos en Ukraine, trois ou quatre ont une traçabilité totale, la moitié est opérationnelle et le reste, ce sont des ruines », lâche Dominique Dupont, directeur régional CEI des malteries Soufflet. Le phénomène s’amplifie car la productivité augmente plus vite que la hausse des capacités de stockage. L’État ukrainien en a conscience et offre, avec ses petits moyens, des avantages fiscaux aux opérateurs qui investissent dans la modernisation des silos. Cet été, plusieurs agroholdings ont eu recours aux big-bags et aux tunnels de polyéthylène pour pallier ce manque avec des coûts limités.
ENTRÉE DANS L’OMC
Quant à 2007, les agriculteurs n’ont pas tiré profit de la hausse des prix mondiaux du fait de l’embargo total sur les exportations. Même si cela a engendré une perte de devises potentielle d’un milliard de dollars, le ministre de l’Agriculture considère que cette mesure était indispensable du fait de la sécheresse afin de nourrir en priorité sa population. Un interventionnisme d’État qui ne sera plus possible en raison de leur entrée dans l’OMC l’an passé, au grand regret des Ukrainiens. Des agriculteurs français aussi.
Nicole Ouvrard
(1) Lors d’une rencontre avec des journalistes français de l’association française des journalistes agricole (Afja) à Kiev.
(2) Créée en 1991, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd). Son rôle est de favoriser la transition vers une économie de marché dans les pays d’Europe centrale et orientale et de la Communauté d’États indépendants (CEI).
(3) La monnaie locale, le hryvnia (prononcer grivnia) s’abrège en UAH.