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PAYS MEDITERRANEENS
Le Maroc, marché naturel pour le blé tendre français

La moitié des importations marocaines de blé tendre est constituée de blé français. Mais la concurrence est rude et les opérateurs privés exigeants pour une population amatrice de bon pain.

Le pain que les Marocains préfèrent est constitué d’une belle croûte dorée et croustillante, avec beaucoup de mie blanche, sous forme de baguette parisienne ou de pain rond que l’on appelle Rondo. » Un mode de consommation très proche de celui des Français en somme. Leïla Fritesse en connaît un rayon sur le pain marocain. Chef du laboratoire de contrôle qualité du moulin Sanabil, à Meknès, elle analyse les caractères technologiques de toute les farines issues des blés entrant dans la meunerie : le blé local mais aussi les blés français, américain, allemand ou russe, ces deux derniers étant absents du marché pour cette campagne. « La première qualité du blé français, c’est sa blancheur. Il est plus humide que le local, souligne Hassan Youssouf, le chef meunier. Mais il s’insère bien dans notre schéma de production. »

LA FRANCE ET SES ATOUTS

En ce début novembre(1), au moulin Sanabil, adossé à la coopérative de Meknès et équipé d’installations dernier cri, Hassan Youssouf décrit la composition de la farine boulangère : il a choisi un mélange de 40 % de blé tendre français, appelé ici soft, 25 % de hard américain et 35 % de blé local. À elle seule, la France fournit régulièrement la moitié du blé tendre importé par le Royaume. Ce taux est même monté à 68 % l’an passé avec 1,1 million de tonnes. C’est dire s’il s’agit d’un marché stratégique pour l’Hexagone. « La France bénéficie de nombreux atouts : une similitude de panification, une proximité géographique évidente, une logistique performante et un avantage financier face aux concurrents d’Europe de l’Est grâce à l’accord d’association signé entre le Maroc et l’Union européenne, assure Yann Lebeau, responsable du bureau régional France Export Céréales au Maghreb. Cette excellente position a aussi été obtenue grâce aux efforts de qualité réalisés depuis dix ans, notamment sur la protéine. »

Mais l’expert français en poste au Maroc met en garde les agriculteurs français : « Attention ! Ne vous endormez pas sur vos lauriers. La place est bonne à prendre et de nombreux concurrents vous attendent au tournant… » Pour lui, l’enjeu n’est pas tant d’augmenter encore la qualité — « cela ne sert à rien car il faut garder les spécificités du blé français » — que de maintenir un taux de protéines régulièrement autour de 12 %. En 2010, le Maroc a produit 3,2 millions de tonnes de blé tendre et 1,6 million de tonnes de blé dur. Seule la moitié des volumes de blé tendre est collectée, le reste étant autoconsommé après transformation dans les 10000 petits moulins répartis sur le territoire. Car au Maroc la moitié du pain est fabriquée à la maison.

UN MARCHÉ PRIVÉ ENCADRÉ PAR L’ÉTAT

Le Maroc est un pays structurellement importateur de céréales, la production locale ne couvrant que 30 à 60 % des besoins selon les années.Tous les volumes sont achetés par des opérateurs privés qui se montrent particulièrement exigeants en qualité. Ce qui n’empêche pas l’État marocain d’être très interventionniste par un système de subventions à différents niveaux de la filière céréalière car il s’agit d’un secteur politiquement stratégique. Les céréales constituent en effet l’aliment de base de la population marocaine qui y consacre 10 % de ses dépenses. « À la moindre hausse du prix de la farine, la rue bouge », souligne Mustapha Jamal Eddine, président de la Fédération des négociants et commerçants de céréales et légumineuses. Le prix d’achat du blé tendre à l’agriculteur est fixé chaque année. En 2010, il est de 280 dirhams le quintal (250 !/tonne). Les subventions versées aux collecteurs et aux minoteries portent à la fois sur le blé tendre et sur la farine afin de limiter le prix du pain, fixé à 1,20 dirham c’est-à-dire 10 centimes le pain de 200 grammes, mais aussi celui de la farine.

FAIRE FACE À LA FLAMBÉE DES PRIX

Il existe en fait deux types de farine au Maroc: la « farine nationale de blé tendre » destinée aux populations les plus pauvres et vendue dans les épiceries, et la farine de qualité supérieure dite « de luxe », destinée aux boulangeries et aux ménages plus aisés. La première est subventionnée (143 dirhams le quintal soit 127 !/tonne) afin que celle-ci soit vendue aux ménagères à 200 dirhams le quintal soit 17 centimes d’euro le kilo, alors que l’autre est soumise au marché libre. En septembre 2010, ce dispositif a dû être complété, pour faire face à la nouvelle flambée des prix sur le marché mondial.Les droits de douane à l’importation de blé tendre ont été suspendus et le blé importé a même été subventionné. « Une prime forfaitaire est versée aux importateurs et son montant est réactualisé tous les quinze jours en tenant compte des cours mondiaux de diverses origines », explique Mustapha Jamal Eddine.

VINGT ANS EN ARRIÈRE

Ce dernier regrette tout cet encadrement réglementaire. « Entre 1994 et 2007, nous nous orientions vers une libéralisation progressive des marchés.Mais 2007 nous a fait revenir vingt ans en arrière avec un retour en force de l’État, certes justifié par la nécessité de nourrir la population. Depuis cette date, nous en sommes au cinquième dispositif d’encadrement. On nous a empêché d’importer entre juin et septembre 2010 pour donner la priorité au marché local, ce qui nous a fait passer à côté des opportunités de début de campagne, se plaint-il.Quant à ce système de prime à la quinzaine, il ne nous donne aucune visibilité et n’incite pas à la recherche de qualité. Notre seul objectif devient l’optimisation de la subvention. » Dans ce contexte, on peut craindre un retour en force des blés russe ou ukrainien, moins chers, sur le marché marocain dès qu’ils redeviendront disponibles. Mais le mécanisme de soutien aura peut-être été modifié d’ici-là, laissant encore une place de choix au blé tendre français.

(1) Rencontre organisée dans le cadre de l’Association française des journalistes agricoles (Afja).

POLITIQUE AGRICOLE

Un plan Maroc Vert pour structurer les filières

Depuis la crise des prix alimentaires de 2007, le roi Mohamed VI a engagé le Maroc dans une profonde réforme de sa politique agricole. Le plan Maroc Vert repose sur deux piliers : le premier vise à organiser une agriculture compétitive pour approvisionner l’agroindustrie marocaine par exemple en lait, sucre ou céréales, ou bien pour exporter des agrumes ou des légumes. Le deuxième pilier a un rôle social en viabilisant les petites fermes afin de préserver le tissu rural dans les zones difficiles.

LE CONCEPT D’AGRÉGATION

« L’agriculture marocaine souffre d’une production artisanale avec des exploitations de trois hectares en moyenne très faiblement organisées. Du coup, ce sont les intermédiaires qui s’accaparent le profit », souligne Ahmed Khannoufi, du ministère de l’Agriculture.Afin de structurer les filières en favorisant l’investissement privé, l’État a mis au point une stratégie originale : celle de l’agrégation. « Une grande structure intègre des petites exploitations dans un partenariat gagnantgagnant », explique Abdeslam Bourfoune, responsable des productions végétales au ministère de l’Agriculture. L’agrégateur peut être un agriculteur, un industriel, une coopérative ou un négociant. Il bénéficiera d’aides de l’État pour moderniser ses unités de stockage ou de transformation ou bien pour acheter du matériel agricole et d’irrigation. Il mettra à la disposition des agriculteurs agrégés des moyens de production (semences, engrais...) qui favoriseront les rendements.

UNE CONTRACTUALISATION ANNUELLE

Les négociants sont prêts à se lancer. C’est le cas d’Abdelilah Abdallaoui, qui collecte dans la région de Meknès un volume de 36 000 tonnes de céréales. « Je suis en train de préparer un projet d’agrégateur en tant que négociant. C’est difficile car il faut que j’agrège au moins cent agriculteurs pour obtenir l’agrément. La contractualisation sera renouvelée chaque année. » Certains agriculteurs sont plus sceptiques. « Qui nous dit que l’agrégateur va nous payer à un prix correct? », se demande Youssef, un petit exploitant de la région d’El Jadida. « Les petits exploitants ont peur de se faire manger », reconnaît le négociant. La coopérative de Meknès a réussi ce pari et fédère 6000 agriculteurs. « Nous avons cherché à gagner de la valeur ajoutée en assurant nous-mêmes la transformation du blé par la construction d’une meunerie et d’une usine d’aliments, souligne Sidi Mohamed Gaouzi, président du conseil de la coopérative. Les agriculteurs nous ont suivi, les banques aussi… » Par cette approche, l’État compte intensifier la production de blé — le rendement moyen actuel n’est que de 14 quintaux/ hectare — afin d’augmenter la production nationale de céréales de près de 50 %, tout en libérant un million d’hectares de terres agricoles pour planter des cultures mieux adaptées aux conditions sèches, comme l’olivier ou le raisin.

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