Bas carbone : des efforts désormais valorisés en grandes cultures
Colza, tournesol, orge, maïs : les filières végétales se lancent sur le marché du carbone pour générer de la valeur ajoutée. Une manne dont profitent pour l’instant peu d’agriculteurs, mais qui rémunère des pratiques économes en CO2 plutôt courantes.
Colza, tournesol, orge, maïs : les filières végétales se lancent sur le marché du carbone pour générer de la valeur ajoutée. Une manne dont profitent pour l’instant peu d’agriculteurs, mais qui rémunère des pratiques économes en CO2 plutôt courantes.
Les initiatives pour rémunérer les pratiques agricoles faiblement émettrices de CO2 se multiplient et pourraient doper les revenus agricoles. Les filières végétales s’y mettent les unes après les autres, appuyées par les coopératives et négoces.
La filière colza a été la première, dès février dernier, à proposer une rémunération spécifique, via son outil OleoZE, dédié aux débouchés biocarburants. Le principe : proposer une valorisation substantielle pour les tonnages produits avec de faibles quantités de CO2.
Pour cette première campagne, quelque 70 000 tonnes de colza ont ainsi été valorisées, majoritairement par les organismes stockeurs. Les établissements Dumesnil (tonnes de collecte, Seine-Maritime) ont été parmi les premiers collecteurs à saisir cette opportunité pour la proposer à leurs producteurs. « Quand Saipol nous a proposé une reconnaissance de pratiques que nous défendions depuis vingt ans, nous avons vite répondu présent », relève Luc Dumesnil, son directeur général.
Des poids lourds de la collecte lui ont emboîté le pas, à commencer par Axéréal. La coopérative, qui collecte cinq millions de tonnes de grains sur seize départements, porte une démarche de développement durable baptisée CultivUp et propose des contrats colzas bas carbone depuis la récolte 2019. Elle capte ainsi une valeur ajoutée toujours précieuse pour ses adhérents. « Qu’ils soient en Beauce ou dans la Nièvre, nos adhérents peuvent tous s'engager dans la démarche bas GES et bénéficier d’une valorisation de leur récolte », soutient Jérôme Bos, directeur général des activités agricoles d’Axéréal.
Le niveau de la prime bas carbone dépend de facteurs comme le rendement, les apports d’engrais, le niveau d’intrants, le travail du sol, la rotation ou la présence de couverts végétaux. « En 2019, nous avons valorisé des colzas bas carbone à 40 euros la tonne avec une moyenne autour de 20 euros la tonne. C’est significatif », relève le dirigeant.
Une tonne de carbone est actuellement valorisée autour de 30 euros sur le marché des crédits carbone. Près d’un millier de coopérateurs Axéréal sont aujourd’hui engagés dans cette démarche, correspondant à 30 000 hectares de colza. La coopérative a étendu son offre au tournesol dès la campagne 2020 et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « Nous travaillons intensément sur la filière blé », indique Jérôme Bos. Un consortium interprofessionnel des grandes cultures - réunissant Arvalis, Terres Inovia, l’ITB, l'ARTB, l'AGPB, l'AGPM, la FOP et la CGB - a déposé en décembre dernier une « méthode bas carbone en grandes cultures » qui, une fois validée par les services de l’État, permettra « à des collectifs d’exploitations » de vendre des crédits carbone.
Une rémunération du maïs pop-corn liée à la biomasse produite en interculture
La démarche est déclinée ailleurs et par d’autres filières : dans le Sud-Ouest, la société Nataïs, premier producteur de pop-corn en Europe, met sur pied une démarche similaire autour de la production de maïs pop-corn. Depuis deux ans, ses équipes expérimentent une rémunération de ce maïs corrélée à une mesure de biomasse de couvert d’interculture. « La rémunération dépend du tonnage de couvert et incite à faire le plus de biomasse possible, confie Guillaume Richard, agriculteur à Labarthe (Gers), qui participe à l’aventure. Je m’y retrouve en termes économique et agronomique. Et ça vient reconnaître le travail qui est déjà fait. Pourquoi s’en priver ? »
Crédit carbone : comment ça marche ?
Le crédit carbone est une unité qui correspond à l’émission d’une tonne de CO2. En vertu du protocole de Kyoto, une entreprise émettrice de CO2 doit acheter ces crédits sur le marché à une entreprise dont l’activité stocke du carbone. Or les filières végétales sont productrices de crédit carbone. Dans le cas du colza, des marchés s’ouvrent aux biocarburants à haute réduction de gaz à effet de serre (GES), principalement en Suède et en Allemagne.
En utilisant ces biocarburants, les pétroliers réalisent les objectifs de réduction de GES assignés aux États par l’Union européenne. Comme sur tout marché, le prix d’un crédit carbone varie en fonction de l’offre et de la demande. Ramené à une tonne de colza, il dépend aussi du niveau de rendement et de la conduite culturale. Vu les perspectives, le prix d’une tonne de carbone pourrait doubler dans les dix ans.
Ce printemps, Vivescia et sa filiale Malteurop lanceront pour Heineken les premières parcelles d’orge brassicole bas carbone. Une quinzaine d’agriculteurs implanteront plus de 200 hectares d’orges de printemps à cet effet dans le Grand-Est. L’enjeu de ce projet est de conjuguer des pratiques à faible émission de CO2 tout en maintenant les rendements et en préservant les critères qualitatifs des lots d’orge destinée à la brasserie. Les résultats seront épluchés pendant trois ans. Si l’expérience est concluante, la démarche pourrait s’étendre à toutes les zones de production. « Nous avançons pas à pas avant de partir plus largement », résume Armand Gandon, chef de projets bas carbone chez Vivescia.
Des coûts de mise en œuvre
Les coopératives et négoces, clés de voûte de ces initiatives, se voient reprochées d’appliquer des coûts de mise en œuvre qui captent la valeur ajoutée. C’est en partie vrai mais c’est aussi oublier un peu vite l’intérêt du service proposé : chaque fois, un technicien assure les saisies successives des données demandées. Un atout quand on sait combien les agriculteurs croulent sous les déclarations administratives.
Les plus indépendants peuvent toujours, pour le colza et le tournesol, souscrire en direct un contrat OleoZE, via la plateforme en ligne Oleomarket.fr. À condition toutefois de disposer de temps et de patience. Une centaine d’agriculteurs s’y sont exercés en 2020, permettant la collecte de 14 000 tonnes de colza. Une goutte d’eau au regard des volumes triturés.