SAUVETAGE D'UNE CULTURE MENACEE
Le blé noir breton a le vent en poupe
Grâce aux efforts
de l’association Blé noir
tradition Bretagne
pour restructurer la filière,
le produit phare
de la région a retrouvé
son éclat.
Après la renaissance, la reconnaissance : le blé noir breton accédera dans les mois qui viennent à la très convoitée Indication géographique protégée. La filière bretonne a pourtant bien failli disparaître.Au bord du naufrage il y a vingt ans, elle n’a dû son salut qu’à l’activisme d’une poignée d’irréductibles Gaulois, refusant de voir sombrer l’un des fleurons de leur patrimoine régional. « Ça a été un boulot de taré ! » lâche Vincent Schmitt avec un air ravi. À la barre du moulin de la Charbonnière, près de Rennes, ce meunier a fait partie de l’équipage de sauveteurs. « Le blé noir couvrait 160 000 hectares en Bretagne au milieu des années 60, mais les surfaces se sont effondrées avec l’arrivée du maïs et le développement des fabricants d’aliment du bétail, rappellet- il. Nous sommes donc allés chercher le sarrasin au Canada, puis en Chine, d’où provient la grande majorité des tonnages écrasés encore aujourd’hui. » En 1987, lorsqu’un petit groupe d’agriculteurs décide de fonder l’association Blé noir tradition Bretagne (BNTB) pour relancer la culture, il s’engage. « Il fallait faire prendre conscience aux Bretons qu’une part de leur culture était en train de disparaître. Il y avait aussi un côté éthique : préserver les emplois dans la région et permettre à chacun dans la filière de vivre correctement de son travail. »
SÉCHAGE ET STOCKAGE
L’association se donne alors pour tâche de restructurer toute la chaîne de production et de fournir la qualité attendue par les meuniers. « Les producteurs se heurtaient au problème du séchage et du stockage, cruciaux pour la qualité, raconte Christine Larsonneur, chargée de mission au sein de l’association. La solution était donc d’impliquer les organismes stockeurs. » Aujourd’hui, l’association BNTB regroupe 350 producteurs, trois coopératives (Vegam, Eolys et la CAM 56) et six meuneries, pour environ 3000 hectares récoltés entre le 15 septembre et début octobre. Une surface que Christine Larsonneur espère voir monter à 5000 hectares pour faire face à la demande. Un contrat lie les producteurs à leur coopérative, qui contractualise elle-même avec les meuniers. Chacune des parties doit adhérer à l’association BNTB et respecter un cahier des charges spécifique. Principaux objectifs : garantir la qualité du produit et une traçabilité totale. Éviter la présence de graines de datura, hôte toxique des champs de sarrasin, est également l’un des enjeux majeurs.
PAS D’INTRANTS ET UN DÉBOUCHÉ
« C’est une culture d’avenir, assure Christine Journet, responsable qualité de Vegam, qui en collecte 600 tonnes. C’est une plante sans intrants, avec un débouché, et qui nous permet de proposer un produit différent aux agriculteurs. » Sur la ferme qu’il exploite avec Muriel, sa femme, dans le sud de l’Ille-et- Vilaine, Dominique Robert s’est laissé séduire. Il cultive 5 hectares de blé noir tradition Bretagne sur les 40 où cohabitent déjà 7 espèces d’oléoprotéagineux et de céréales, ainsi que des légumes. « Le blé noir est intéressant dans notre rotation dominée par les céréales à paille, expliquet- il. L’implantation à la mimai permet également une application tardive de glyphosate, très efficace pour lutter contre le chiendent et l’avoine à chapelet. » Une pratique qui pourrait toutefois être remise en cause par la nouvelle Directive nitrates, interdisant la destruction chimique des couverts. L’autre avantage du blé noir tradition Bretagne est économique. « Nous savons dès le semis à quel prix nous vendrons la récolte, et la marge brute hors primes d’environ 480 euros/hectare est supérieure à celle du blé tendre. » Payé aux alentours de 500 euros la tonne (100 de plus en bio), cette culture compense son faible rendement — 15 quintaux/hectare au mieux — par des dépenses réduites à 110 euros/hectare. Le cahier des charges interdit d’ailleurs l’apport de produits phytosanitaires et limite strictement la fertilisation azotée. L’économie se compte aussi en heures, car aucune intervention n’est requise entre le semis et la récolte. « Cette culture exige néanmoins de la technicité, précise Dominique Robert. La réussite de l’implantation est indispensable, sur un terrain chaud et ressuyé pour permettre un bon démarrage du couvert, qui étouffe alors rapidement les adventices. »
LA HARPE, SINON RIEN
Reste à convaincre les producteurs que, malgré sa réputation, le blé noir n’est pas réservé aux sols pauvres. « Il faudrait aussi creuser du côté des variétés », glisse Vincent Schmitt. Son grand père, ingénieur agronome et meunier, a contribué à mettre au point la seule variété autorisée par le cahier des charges BNTB, la Harpe. Celle-ci se distingue des variétés chinoises par sa couleur plus claire et par ses qualités organoleptiques supérieures. En attendant,Vincent Schmitt savoure le chemin parcouru. « Une variété a été sauvée, il reste du blé noir en Bretagne et cela a apporté un plus aux OS. L’objectif est atteint. »
Une IGP très attendue
L’indication géographique protégée est capitale, cela va calmer ceux qui faisaient n’importe quoi. » Vincent Schmitt, du moulin de la Charbonnière, n’apprécie guère que certains opérateurs s’octroient la liberté de « bretonniser » artificiellement leurs produits, parfois élaborés à partir de blé noir chinois.
AVEC L’IGP FARINE DE BLÉ NOIR DE BRETAGNE, « les gens auront la garantie que ce qu’il y a dans leur sac a été cultivé et transformé en Bretagne ». Seuls les adhérents de l’association Blé noir tradition Bretagne pourront prétendre à l’IGP et utiliser les symboles bretons, comme le triskèle ou la Bigoudaine !
POUR ÉVITER LES FRAUDES, meuniers et OS sont soumis au double contrôle d’un organisme certificateur et de l’association. L’un comme l’autre s’assure de la cohérence entre les flux entrant et sortant tout au long de la filière. Les coopératives doivent disposer de séchoirs adaptés au traitement délicat du blé noir. Chaque année, une part des agriculteurs reçoit également la visite d’un contrôleur qui vérifie que le cahier des charges est bien respecté en culture.