TRANSFORMATION
La volatilité, nouvel épouvantail des meuniers
Après avoir traversé une période de forte
restructuration qui a conduit à la formation
de grands groupes, la meunerie s’inquiète
de la volatilité qui menace l’équilibre
économique des entreprises.
Ils sont bonne pâte, les meuniers. Car contrairement à ce qu’affirme la chanson, la profession n’a guère eu l’occasion de s’endormir au cours de l’histoire récente. La volatilité des cours qui menace aujourd’hui le fragile équilibre économique de la profession frappe en effet un secteur qui a auparavant essuyé la lame de fond de la concentration. Cette dernière, entamée il y a une vingtaine d’années, semble avoir perdu de sa force, au moins en ce qui concerne les plus grosses enseignes.
« Les grandes étapes du processus menant à plus de concentration et à une diminution du nombre d’acteurs ont commencé il y a quinze ans avec la constitution de Nutrixo, suivie de la montée en puissance du groupe Soufflet par achats de moulins importants ceinturant la France, et il y a eu pour finir la création d’Axiane meunerie, détaille Jospeh Nicot, président de l’Association nationale de la meunerie française.
Depuis cinq ans, les évolutions ont lieu à la marge, et pour des entreprises de taille inférieure. » En 2011, les quatre plus grosses entreprises (Nutrixo, Soufflet, Axiane et les Grands moulins de Strasbourg), propriétaires de 45 moulins sur les 450 répartis dans l’Hexagone, représentaient près de 60 % des quantités écrasées dans le pays. À l’autre bout de l’éventail, les 311 plus petites entreprises (d’envergure départementale ou moins, et souvent propriétaires d’un seul moulin), ont quant à elles totalisé moins de 6 % de la production française de farine.
Qu’y a-t-il encore en commun entre un petit minotier disposant d’un seul moulin d’où sortent quelques centaines de tonnes de farine par an et un groupe écrasant des centaines de milliers de tonnes? « Il y a une spécialisation sur certains débouchés, comme celui des industries utilisatrices ou de la vente de sachets, qui est aujourd’hui le domaine de quelques grands groupes, mais c’est toujours le même métier sur certains aspects, assure Joseph Nicot. Ils achètent tous la même matière première aux mêmes conditions, à savoir le prix du marché, et ils se partagent une clientèle commune, c’est-à-dire la boulangerie artisanale. »
À CHACUN SES ARMES
La boulangerie artisanale : c’est sur ce terrain (plus de 60 % des parts de marché du pain) que la guerre commerciale fait rage. À la force de frappe commerciale et aux compétences très spécialisées des grands groupes, les entreprises de taille modeste peuvent opposer une gestion plus légère et une présence du patron au plus près du terrain. Certaines essaient également de se démarquer sur des marchés de niche valorisant une qualité spécifique ou jouant la fibre locale.
TSUNAMI
Mais quelle que soit leur taille, toutes les entreprises sont aujourd’hui confrontées à un phénomène qui les inquiète: la volatilité des prix du blé. « Depuis trente ans, il y a eu des tournants pour la meunerie, mais ce qui se passe depuis cinq ou six ans en ce qui concerne les achats est un véritable tsunami, s’alarme Jean-Marie Poncey, du groupe la Générale des farines. La volatilité du prix du blé est extrêmement difficile à gérer et beaucoup d’acteurs en situation fragile jettent l’éponge car ils ne sentent pas capables d’affronter cela. »
En raison de la concurrence du secteur et des pressions exercées par l’aval, le prix de la farine sortie usine est loin de répercuter l’ampleur des hausses du prix du blé enregistrées en 2007-2008 et depuis 2010. « On a appris nos métiers en tant qu’artisan, et il faut maintenant devenir trader. Et ça, on ne sait pas faire », explique Serge Reynard, président de l’association Petits moulins de France, un groupement qui fédère environ 70 moulins d’une capacité de 500 à 7 500 tonnes. Quant aux outils de gestion du risque prix, « il y en a pléthore, mais il faut bien s’engager à un moment donné et se décider à acheter sans avoir aucune certitude quant à l’évolution du marché. Et les conseilleurs ne sont alors pas les payeurs », grince Jean- Marie Poncey.
Même pour les structures les plus importantes, dotées d’équipes spécialisées dans l’achat, le marché à terme ne constitue pas forcément la panacée. « Ces outils sont utilisés par peu d’acteurs, confirme Joseph Nicot. Avec des écarts de marché supérieurs aux marges, toutes les entreprises du secteur sont potentiellement en situation de risque. »