« Des budgets surtout utilisés pour soutenir les prix de marché »
Martin Von Lampe, analyste des politiques agricoles à l’OCDE et spécialiste des pays de la mer Noire, livre des éclairages sur la lecture de l’ESP (estimation des soutiens aux producteurs) et les aides mises en place en Ukraine et en Russie.
Martin Von Lampe, analyste des politiques agricoles à l’OCDE et spécialiste des pays de la mer Noire, livre des éclairages sur la lecture de l’ESP (estimation des soutiens aux producteurs) et les aides mises en place en Ukraine et en Russie.
Indicateur produit par l’OCDE, l’estimation du soutien aux producteurs (ESP) permet de comparer le niveau des aides versées aux agriculteurs au niveau d’un État. Quelles en sont les limites ?
Martin Von Lampe - Cet indicateur mesure l’argent transféré directement des contribuables et des consommateurs vers les producteurs agricoles. Il ne prend pas en compte les coûts administratifs liés à ces transferts. Par exemple, dans le cas d’un soutien au prix de marché, il comptabilise ce qui est versé à l’agriculteur mais pas les coûts engendrés par le maintien de la mesure. L'ESP se concentre sur les mesures spécifiques à l'agriculture et n'intégre pas, par exemple, des allégements de charges pouvant aussi toucher d'autres secteurs. De plus, cet indicateur n’évalue en aucun cas l’impact des politiques mises en œuvre. Il décrit juste l’effort fait par l’État. Il ne mesure pas l’atteinte des objectifs fixés ni les effets secondaires. Son grand intérêt est d’être comparable d’un pays à l’autre.
Dans certains États, c’est le cas de l’Ukraine par exemple, l’ESP est négatif. Comment cela s’explique ?
M. V. L. - La mise en place à l’export de quotas ou de licences d’exportation mais aussi de taxes peut être la cause d’un soutien négatif aux producteurs. En Ukraine, il existe encore des quotas d’exportation en céréales. C’est une manière pour le gouvernement de protéger le marché intérieur, mais de ce fait, les prix payés aux producteurs sont plus faibles que le prix mondial, ce qui les dessert. Il y a une autre forme de contrôle des volumes exportés via la délivrance de licences aux exportateurs.
Comment résumeriez-vous les politiques mises en place en Ukraine et en Russie ?
M. V. L. - De par l’histoire commune de ces pays, marquée notamment par le communisme, elles sont très similaires. Il y a une même culture politique. Dans les deux pays, la majorité des budgets sont utilisés pour soutenir les prix de marché, en particulier en limitant les importations de produits animaux et de sucre. À l’inverse, les céréales sont taxées à l’export. Ce qui donne un double soutien aux filières animales, qui bénéficient à la fois d’un marché protégé et de prix bas en alimentation animale. L’autre grand volet des aides concerne les soutiens à l’utilisation d’intrants, qui peut prendre plusieurs formes : soutiens spécifiques sur le carburant, les engrais, taux de crédit bonifiés… L’enveloppe est moins importante que celle consacrée aux soutiens des prix de marché, mais elle pèse également.
Propos recueillis par Valérie Noël