Changement climatique : ce que les grandes cultures devront affronter ces 30 prochaines années
D’ici à 2050, les cultures subiront des conditions plus chaudes et plus sèches au printemps et en été, accroissant le risque d’échaudage. Cette hausse des températures conduira également au durcissement du stress hydrique. Des évolutions qui commencent déjà à se faire sentir.
D’ici à 2050, les cultures subiront des conditions plus chaudes et plus sèches au printemps et en été, accroissant le risque d’échaudage. Cette hausse des températures conduira également au durcissement du stress hydrique. Des évolutions qui commencent déjà à se faire sentir.
Des températures annuelles qui augmentent, des extrêmes de plus en plus violents, un déficit hydrique de plus en plus marqué au printemps et en été dans toutes les régions françaises, le tout sur fond de forte variabilité interannuelle… La vitesse et l’ampleur des évolutions climatiques annoncées varient d’un modèle à l’autre, mais le décor qui nous attend pour 2050 est désormais bien planté.
« Il y a aujourd’hui un consensus sur les changements à venir d’ici 2050, trente ans étant le pas de temps minimal lorsqu’on analyse les évolutions du climat, explique Nicolas Métayer, agronome en charge du projet AgriAdapt(1) chez Solagro. Les efforts que l’on pourrait faire dès aujourd’hui pour atténuer l’effet du changement climatique n’auront des effets qu’après cette date en raison de l’inertie climatique. »
Augmentation des événements climatiques extrêmes
Le changement climatique annonce un bouleversement des pratiques agricoles. Et les signes avant-coureurs sont bien là. « On assiste déjà à l’évolution des régimes de précipitations, à l’augmentation des événements extrêmes qui deviennent de plus en plus inquiétants et problématiques, comme les sécheresses ou les inondations », souligne Audrey Trévisiol, ingénieure au service Forêt, alimentation et bioéconomie de l’Ademe.
Les perspectives de 2050 ne sont pas un seuil lointain où tout va basculer, mais une situation vers laquelle on se dirige (plus ou moins) progressivement. « En son temps, 2003 a établi un record de température moyenne annuelle en France métropolitaine. Le record a été battu cinq fois depuis, rappelle Frédéric Levrault, expert Agriculture et changement climatique pour le réseau des chambres d’agriculture. Depuis une cinquantaine d’années, en France métropolitaine, la vitesse de réchauffement est en tendance de 3,5 °C à 4°C par siècle pour la température moyenne annuelle. C’est brutal. »
Les systèmes actuels de production commencent à pâtir de ce rouleau compresseur en marche. Le premier signal d’alarme avait été envoyé par la courbe des rendements du blé. Depuis le milieu des années 1990, la tendance haussière des rendements, reflet du progrès variétal et de l’amélioration des techniques, a été stoppée net. Depuis, les rendements plafonnent en tendance, avec d’énormes variations selon les années. Verdict des chercheurs : c’est l’évolution du climat, et notamment la hausse des températures, qui est le principal responsable de ce changement de régime.
Les difficultés d’implantation du colza ces dernières années constituent un autre marqueur inquiétant. « Ce phénomène, qui concernait surtout le sud, se généralise désormais à toute la France », constate Nicolas Métayer. L’agronome pointe aussi du doigt « des printemps qui démarrent plus tôt, avec désormais des températures échaudantes en mai ».
S’armer pour comprendre et anticiper
Le monde agricole s’arme pour comprendre les évolutions à l’œuvre et tenter de dégager des pistes d’action. Le réseau des chambres d’agriculture a monté l’observatoire Oracle (voir encadré), coordonné par Frédéric Levrault. Si Oracle scrute le passé et le présent, le programme LIFE AgriAdapt projette l’agriculture dans l’avenir.
Ce projet européen (porté par Solagro en France), achevé en avril 2020, s’est concentré sur les mesures d’adaptation au changement climatique. Il a pour cela converti les projections des données climatiques en indicateurs agro-climatiques (nombre de jours échaudants, bilan hydrique…) avec un maillage territorial fin. Cette traduction agronomique permet d’appréhender concrètement l’impact sur les cultures.
Coups de froid et excès d’eau toujours possibles
« Du point de vue des températures, la situation moyenne en 2050 sera proche de 2003 », prévient Nicolas Métayer. Et de glisser un exemple à vous donner une petite suée : « La situation d’échaudage de l’Aube en 2050 sera équivalente à celle de Toulouse aujourd’hui. » Pour corser la situation, ces grandes tendances s’accompagnent d’une plus grande variabilité. Les coups de froid ou les excès d’eau printaniers ne sont donc pas à exclure, à l’instar de l’année 2016.
« Globalement, le climat s’assèche et se réchauffe et le contexte hydrique va se durcir, insiste Bertrand Dufresnoy, référent Oracle à la chambre d’agriculture de la Haute-Marne. Mais la prise de décision à court terme est difficile. Je ne sais pas prévoir si, dans les cinq prochaines années, les cultures plus résistantes à la sécheresse s’en tireront mieux que les cultures actuelles. »
Projections : un risque d'échaudage et de stress hydrique accru sur toute la France d'ici à 2050
Les indicateurs agro-climatiques élaborés par Solagro dans le cadre du projet AgriAdapt permettent de visualiser comment certaines variables vont affecter le cycle des cultures d’ici à 2050, avec trois tendances qui se dégagent :
Augmentation du nombre de jours d’échaudage : les températures de plus en plus chaudes en moyenne et la multiplication des extrêmes hauts se traduiront par une augmentation des journées échaudantes en fin de cycle partout en France, en cultures d’automne comme en cultures d’été.
Augmentation du stress hydrique : le bilan hydrique va se dégrader dans toute la France, au printemps (impact sur les cultures d’automne) et en été (impact sur les cultures d’été). Ce durcissement du stress hydrique est directement lié à la hausse des températures, source d’une évapotranspiration potentielle (ETP) accrue et de la baisse concomitante des précipitations.
Augmentation de la variabilité entre les années : au-delà de la hausse moyenne des températures et du déficit hydrique, il faudra compter avec une plus grande variabilité et des écarts de plus en plus marqués entre les extrêmes.
Oracle, un réseau pour scruter le changement climatique
Établir un état des lieux régional précis de la situation climatique et de ses impacts sur les pratiques agricoles, pour dégager des voies d’action : voilà les missions du réseau Oracle, bâti par les chambres d’agriculture. Cet Observatoire régional sur l’agriculture et le changement climatique, opérationnel dans dix régions, a pour but de poser « un constat objectif des tendances climatiques passées et des conséquences avérées sur l’activité agricole à travers différents indicateurs », explique Julie Bodeau, chargée de mission Energie/climat à la chambre régionale d’agriculture d’Occitanie.
Ces indicateurs régionalisés portent sur des données météo, mais également sur des indicateurs agro-climatiques tels que le déficit hydrique ou le nombre de jours de températures échaudantes. L’évolution des rendements ou des dates de semis est également suivie. « Cet outil permet de sensibiliser les agriculteurs au changement climatique, mais aussi les collectivités et tous les acteurs concernés », précise Julie Bodeau.