Changement climatique : « Je vais mettre en place des rotations adaptées à des conditions plus chaudes et sèches l'été »
Sur sa ferme de l’Aube, Jean-Philippe Mignot a participé au projet AgriAdapt. Cela lui a permis d’identifier les menaces que fait peser le changement climatique sur ses cultures. Avec des effets déjà perceptibles ces dernières années.
Sur sa ferme de l’Aube, Jean-Philippe Mignot a participé au projet AgriAdapt. Cela lui a permis d’identifier les menaces que fait peser le changement climatique sur ses cultures. Avec des effets déjà perceptibles ces dernières années.
« Normalement, à cette période de l’année, toute la côte que vous voyez derrière nous est verte. » Pourtant, en ce début octobre, le paysage désigné par Jean-Philippe Mignot arbore les teintes brunes des sols nus. Un crève-cœur pour cet agriculteur situé à Yèvres-le-Petit, au nord-est de Troyes dans l'Aube, où il conduit 128 hectares en grandes cultures.
Voilà vingt-cinq ans que l’exploitant s’est lancé dans l’aventure de l’agriculture de conservation, qui fait la part belle aux couverts. Mais ces derniers n’ont pas levé cette année, faute de pluie. Seule une petite surface dans une unique parcelle est couverte d’un mélange clairsemé de moutarde d’Abyssinie, phacélie et autres vesces. « Voyez, même les colzas sortent tout juste de terre. Ils ont levé après les pluies qui sont revenues il y a seulement deux semaines. Mais ils ne résisteront pas aux attaques des insectes. »
Signes avant-coureurs du changement climatique
C’est la troisième année consécutive que la sécheresse estivale entraîne des difficultés d’implantation des couverts d’interculture. Même punition pour le colza, malgré des semis avancés à début août. « Cette année, nous avons également subi le sec et des températures très chaudes en mars-avril, qui ont pénalisé le rendement de l’orge de printemps, raconte l’agriculteur. Et les betteraves, magnifiques en mai-juin, ne se sont pas remises des quatre mois sans eau qui ont suivi, qui ont aggravé les effets de la jaunisse. » Autre sujet d’inquiétude, l’arrivée des grosses altises depuis trois ans, qui sont remontées vers le nord depuis l’Yonne.
Jean-Philippe Mignot a conscience qu’il s’agit des signes avant-coureurs du changement climatique. L’exploitant est particulièrement sensibilisé à cette question. Il a fait partie de la trentaine de fermes pilotes en France engagées dans le projet AgriAdapt. Ce programme européen, porté par Solagro en France, vise à évaluer la sensibilité des fermes face aux modifications climatiques à venir, et à trouver des pistes pour y faire face.
« Il est important de savoir comment va évoluer le climat »
« Ce projet m’a intéressé, car on vit avec le climat, explique l’exploitant. Il est donc important pour nous de savoir comment il va évoluer. » Le diagnostic approfondi réalisé sur sa ferme a permis d’identifier ses points forts et ses points faibles. Le travail réduit du sol et la place prépondérante des couverts sont chez lui des atouts pour affronter la hausse des températures à venir et les déficits hydriques de plus en plus marqués qui devraient se multiplier l’été. Mais il a aussi pris conscience des menaces.
« Ce diagnostic est utile pour caractériser la variabilité de mes rendements historiques. En les comparant aux analyses de groupe, on met en évidence les vulnérabilités, quelles sont les cultures les plus fragiles. C’est le cas pour l’orge de printemps chez moi, par exemple. »
Face à ces tendances lourdes, Jean-Philippe Mignot n’entend pas rester les bras croisés. « Il faut parvenir à mettre en place des rotations adaptées à un climat de plus en plus chaud et sec l’été, et doux en hiver, affirme-t-il. En été, ça ne pousse plus, alors que nous voulons implanter des couverts ! Et les hivers doux sont favorables aux ravageurs. On l’a vu cette année avec les pucerons qui sont restés longtemps sur les blés et sur les escourgeons, et sont allés sur les orges de printemps lorsque ces dernières ont levé. La JNO sur des orges de printemps, on ne voyait pas cela auparavant. »
Du pois d’hiver à la place des variétés de printemps
Déjà, les pratiques évoluent dans le secteur. Comme ces producteurs de pommes de terre de la plaine de Bienne toute proche qui ont utilisé cette année leur matériel d’irrigation sur céréales et sur colza. Ou le retour du tournesol dans les assolements de la région, dont il avait été écarté par manque de rentabilité.
Jean-Philippe Mignot envisage plusieurs pistes. L’une d’entre elles est d’accroître la part des cultures pluriannuelles, qui profitent d’un meilleur enracinement, à l’instar de la luzerne. Cette année, l’exploitant va aussi, comme d’autres collègues de la région, implanter du pois d’hiver plutôt qu’une variété de printemps. « Les pois de printemps sont beaux jusqu’à début juin, mais les températures supérieures à 30 °C, de plus en plus fréquentes, sont ensuite fatales au rendement », constate-t-il.
Des stratégies pour éviter les coups de chaud de fin de cycle
Les conclusions du diagnostic AgriAdapt l’ont également convaincu de revoir l’itinéraire technique de l’orge de printemps. « Sur cette espèce, je vais de nouveau travailler un peu le sol. Cela devrait permettre un réchauffage plus rapide afin que la culture démarre plus vite, pour éviter les coups de chaud de fin de cycle. Je vais aussi essayer de la semer à l’automne. »
Éviter le couperet des températures caniculaires qui vont arriver de plus en plus tôt est l’un des principaux défis à relever. « Cela interroge sur la place de la betterave, très pénalisée par le sec. Il faudra aussi opter pour des variétés de céréales plus précoces, en blé comme en orge, pour récolter plus tôt et limiter l’échaudage. » Avec une certitude, continuer de creuser le même sillon : « l’agronomie, l’agronomie, l’agronomie. »
« Trouver des solutions pour maintenir la pratique des couverts »
Le système de Jean-Philippe Mignot, agriculteur dans l’Aube, est basé sur les couverts d’interculture. Ils sont un atout face à la tendance haussière des températures et des stress hydriques, mais cette évolution climatique rend l’implantation de plus en plus incertaine.
Jean-Philippe Mignot, qui n’a pas labouré ses champs depuis 22 ans, l’assure : chez lui, « tout est basé sur les couverts ». Et leur rôle prendra encore plus d’importance avec la hausse annoncée des températures au printemps et à l’été, synonyme d’accroissement du déficit hydrique sur cette période.
Limiter l’évaporation avec les couverts
« En concentrant la matière organique en surface et en formant un mulch, cette couverture limite l’évaporation », explique l’agriculteur. L’action sur le sol permet aussi d’améliorer la réserve utile. La pratique du semis direct sous couvert évite d’assécher le sol. Autant de facteurs appréciables pour s’adapter au futur climatique.
Problème : l’évolution du climat rend la tâche de plus en plus compliquée pour les couverts d’interculture. « On constate ces dernières années combien il est difficile pour les couverts de pousser l’été, en raison du temps sec. Il va donc falloir trouver des solutions, comme de les semer dès le mois de mai, dans une culture en place, afin qu’ils profitent des pluies du printemps pour pouvoir se développer après la moisson. »
Des couverts semés comme plantes compagnes
Jean-Philippe Mignot a commencé à expérimenter cette technique depuis trois ans avec du trèfle semé en association avec le colza, selon le même principe que les plantes compagnes. Le but est d’obtenir un couvert de trèfle déjà bien en place quand arrivent les fortes chaleurs. Dans la théorie, ce trèfle doit ensuite pouvoir occuper le terrain après la récolte de l’oléagineux. Cela permet d’éviter le risque d’un semis dans le sec, source de non-levée. Le blé est ensuite semé directement dans le trèfle. « Cette méthode a bien marché la première année, mais, depuis deux ans, c’est beaucoup moins concluant, car le trèfle n’a pas résisté au sec », soupire l’exploitant.
Jean-Philippe Mignot veut aussi tenter la technique du sursemis dans la culture de blé, voire, pourquoi pas, de creuser la piste des couverts permanents. « Avec l’agriculture de conservation, on est en expérimentation permanente, souligne l’agriculteur. C’est passionnant, mais c’est aussi synonyme d’incessantes prises de risque, sans que ce soit valorisé économiquement. »