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Bioéthanol : le moteur en surchauffe ?

Le coup d’accélérateur de la consommation de Superéthanol-E85 tire la consommation de bioéthanol en France. Au point de soulever des questions sur l’approvisionnement du marché domestique dans les années à venir.

Stand de promotion du bioéthanol au Salon de l'agriculture. L'E85 touche désormais un large public attiré par le prix attractif à la pompe. © G. Omnès
Stand de promotion du bioéthanol au Salon de l'agriculture. L'E85 touche désormais un large public attiré par le prix attractif à la pompe.
© G. Omnès

C’est ce que l’on appelle un changement de régime. Depuis son lancement en 2007, le Superéthanol-E85, ce carburant qui contient entre 65 et 85 % de bioéthanol, a connu une longue phase de démarrage poussif. Tout s’est accéléré depuis deux ans, avec une forte augmentation de la demande. Ainsi, jusqu’en 2016, la consommation de Superéthanol stagnait en dessous de 100 000 m3 en France. Elle a passé ce seuil en 2017, puis bondi à 183 000 m3 en 2018 (+55 %), pour atteindre près de 340 000 m3 en 2018, soit une croissance de 85 % sur une seule année !

La raison de ce décollage ? La publication, fin 2017, d’un arrêté encadrant l’homologation des boîtiers qui permettent de convertir sa voiture « ordinaire » en véhicule apte à utiliser l’E85. À l’origine, ce type de boîtier n’étant pas autorisé, il était considéré comme interdit. Cela n’empêchait pas d’en trouver sur Internet, parfois pour une centaine d’euros… et dont certains étaient une pure escroquerie. « Il y a quelques années, nous avons rencontré les acteurs commercialisant ce type de boîtier, et nous avons constaté qu’il y avait des gens très sérieux, avec du recul sur leurs produits, explique Sylvain Demoures, secrétaire général du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA). Mais comme il n’y avait aucun encadrement, la question était de savoir comment faire la différence entre les bons et les autres. » Le syndicat a alors entamé une négociation avec l’État. « Nous voulions mettre en place une procédure d’homologation permettant d’identifier les boîtiers performants, et offrir toutes les garanties pour assurer un achat serein », précise le responsable. Les efforts ont été récompensés avec la publication en novembre 2017 d’un arrêté sécurisant pour l’acheteur. Avec un boîtier homologué, celui-ci a l’assurance de disposer d’une solution fiable, bénéficiant d’un suivi, qu’il peut faire installer chez des enseignes populaires telles que Speedy ou Point S.

La crise des gilets jaunes, catalyseur de la demande

L’effet ne s’est pas fait attendre : les ventes de boîtiers ont explosé. Elles se sont montées à 20 000 en 2019, et devraient atteindre 40 000 en 2020, selon les projections du SNPAA. Le verrou de la méfiance ayant désormais sauté pour les boîtiers, c’est l’attrait du faible prix de l’E85 qui constitue la motivation première pour se convertir au Superéthanol. En janvier 2020, le prix moyen de l’E85 atteignait 0,69 euro par litre, contre 1,53 euro me litre pour le SP95-E10. « Le prix à la pompe est très avantageux, car on estime le gain net à plus de 500 euros par an pour un conducteur moyen réalisant 13 000 kilomètres avec une consommation de 7 litres aux 100 kilomètres, même en tenant compte de la surconsommation », souligne Sylvain Demoures. Un événement imprévu est venu donner un coup de pouce supplémentaire fin 2018. « La crise des gilets jaunes a mis en évidence le poids du budget carburant pour les ménages, analyse Nicolas Rialland, spécialiste de la question des biocarburants à la CGB. Les médias ont redécouvert ce carburant bon marché, simple d’accès grâce aux boîtiers, avec une grande disponibilité en station-service. »

Car si la consommation d’E85 a connu un trou d’air, le carburant n’avait pas disparu des stations : pour atteindre les objectifs d’incorporation de biocarburants dans l’essence et éviter de coûteuses pénalités sur la TGAP(1), les distributeurs avaient en effet intérêt à proposer de l’E85 à un coût compétitif. Le nombre de stations équipées n’a ainsi cessé de progresser depuis 2014, avant de monter en flèche en 2018. Parmi les stations avec une activité significative, une sur cinq dispose d’une pompe E85 en France actuellement, et le ratio devrait atteindre un sur quatre d’ici la fin de l’année.

L’E85, moteur de la croissance du bioéthanol

La part du E85 sur le marché total des essences en France reste minime, puisqu’elle est passée de 1,7 % en 2018 à 3 % en 2019, et est attendue à 4 % en 2020. Ce carburant constitue néanmoins le principal moteur de la croissance de la demande en bioéthanol du fait de la forte proportion de ce dernier dans l’E85 et d’un développement exponentiel. La hausse de la consommation de bioéthanol est aussi renforcée par la progression plus lente mais constante du SP95-E10, qui représente désormais plus de 50 % de l’essence consommée en France. Et pour parfaire l’alignement des planètes, la forte hausse des immatriculations de véhicules essence depuis 2014, au détriment du diesel, a un effet démultiplicateur, augmentant mécaniquement les volumes de bioéthanol incorporés. Le volume total de bioéthanol consommé en France est ainsi passé de 9,9 millions d’hectolitres (Mhl) en 2018 à près de 11,5 Mhl en 2019, dont 2,5 Mhl pour le seul E85. Dans les années qui viennent, l’augmentation devrait se maintenir autour d’1,3 Mhl par an, pour une consommation totale prévue entre 12,5 et 13 Mhl en 2020.

Cette croissance est-elle soutenable ? Avec un tel rythme, la France, qui produit environ 12 Mhl de bioéthanol carburant par an (50 % à partir de betteraves, 50 % à partir de céréales), pourrait se retrouver avec un bilan très tendu à brève échéance. « La France importe chaque année autour de 1 Mhl d’une qualité bien spécifique, et a exporté entre 3 et 4 Mhl par an, principalement vers le Royaume-Uni. Dès 2020, le bilan devrait être à l’équilibre avec des exportations quasiment nulles, analyse Nicolas Rialland. Sans gros investissement, en tirant sur les outils, on a la capacité d’augmenter la production à 14 ou 15 Mhl si les rendements de betteraves sont corrects, et nous sommes déjà rentrés dans cette opération d’optimisation. » De quoi voir venir pour les deux prochaines années, mais après ? L’industrie va-t-elle investir dans de nouvelles capacités de production, malgré le manque de visibilité du marché du pétrole et de la fiscalité ? Alain Commissaire, directeur général de Cristal Union, affirmait fin février à Reuters que la mise en œuvre du Pacte vert européen « conduirait inévitablement à plus d’éthanol » et qu’il n’écartait pas l’ouverture d’une nouvelle unité. Sans hausse de la production domestique, il faudrait ouvrir les vannes à l’import. Une solution difficilement envisageable pour un marché porté par une fiscalité très avantageuse.

Quel profit pour les agriculteurs ?

Cette nouvelle donne pose de nombreuses questions pour l’avenir. Après avoir longtemps ramé à contre-courant, le temps est-il venu pour la filière de tempérer la demande en bioéthanol ? Ou bien faut-il accompagner cette dynamique de croissance avec des investissements dans la production tricolore ? Et dans ce cas, dans le secteur de la betterave ou celui des céréales ? Concernant la betterave, dont les prix ont été plombés ces dernières années par le cours très bas du sucre, les planteurs se demandent si l’éthanol a joué à plein son rôle d’amortisseur dans la chute. Difficile en effet d’y voir clair dans l’impact des bons prix de l’éthanol sur ceux de la betterave. Certes, le débouché éthanol avale 30 à 40 % du tas de betteraves français et reste donc minoritaire face au sucre. Ce volume est toutefois loin d’être négligeable. « Malgré les cours élevés de l’éthanol, la part de la rémunération de la betterave serait en train de baisser, alors que les outils de production sont désormais amortis, relève Nicolas Rialland. Cela fait six mois que le prix de l’éthanol navigue entre 60 et 65 euros/hectolitre, du jamais vu depuis dix ans, correspondant à prix équivalent sucre de 400 euros la tonne environ. » La filière bioéthanol est arrivée à un carrefour stratégique et les feux sont au vert. Reste à savoir quelle est la direction à prendre.

(1) Taxe générale sur les activités polluantes.

Les véhicules électriques barrent la route aux flex-fuel

Au moment du lancement de l’E85, plusieurs fabricants automobiles avaient fait le pari de ce nouveau carburant, avec une vingtaine de modèles flex-fuel disponibles sur le marché. Las ! « Une loi européenne a durci la réglementation d’une façon pénalisante pour les voitures flex-fuel en 2013, rappelle Nicolas Rialland, spécialiste du bioéthanol à la CGB. Du jour au lendemain il y a eu une interruption de ce type de modèle. » Aujourd’hui, seul Ford reste présent sur ce créneau. Le modèle Kuga Flexifuel, dont la production vient de cesser, a d’ailleurs connu un beau succès en 2019. La marque relancera une nouvelle gamme flex-fuel fin 2020 ou début 2021, et au moins un autre constructeur devrait annoncer prochainement son retour sur le marché. Le regain d’intérêt va cependant rester timide, car les constructeurs donnent la priorité à l’électrification. Ce type d’énergie est en effet très fortement favorisé par la réglementation européenne limitant l’émission de CO2 qui entre en vigueur en 2020. Les promoteurs du bioéthanol contestent les modalités techniques de cette loi, qui ne porte que sur le carbone sortant du pot d’échappement. La prise en compte de l’ensemble du cycle de production (donc de l’électricité pour le véhicule électrique, et la fonction de puits de carbone des cultures transformées en bioéthanol) réduirait considérablement l’avantage dont bénéficie actuellement l’électrique. En outre, pour Louis-Carl Vignon, président de Ford France, « toutes les électrifications sont possibles, et le bioéthanol peut être un complément intéressant sur les modèles hybrides ».

Avril mise sur l’Oleo100, le biodiesel pour les flottes d’entreprises

Exit le Diester, le groupe Avril lance un biodiesel destiné aux entreprises, sans passer par la case pétrolier.

Le nouveau diesel à base de colza, Oleo 100, monte en puissance. Le carburant du groupe Avril, lancé en décembre 2018 et destiné aux flottes d’entreprise, vient d’enregistrer son soixantième client : le groupe Ourry, spécialisé dans la collecte de déchets ménagers. « Nous substituons 115 000 litres de gasoil par de l’Oleo100 et nous diminuons de 60 % nos émissions de gaz à effet de serre », s’est félicité Alexis Hubert, directeur général d’Ourry (50 millions d'euros de chiffre d'affaires, 15 établissements, 400 salariés), lors de l’inauguration du nouveau parc de véhicules, le 5 mars dernier à Provins en Seine-et-Marne. « Nous soutenons l’agriculture française, préservons l’indépendance énergétique de notre pays et diminuons nos émissions de CO2. En plus, nous concrétisons le concept d’économie circulaire », énumère Alexis Hubert.

Oleo100 répond à la norme européenne B100

Répondant à la norme européenne B100, Oleo100 est la seule solution renouvelable accessible aux entreprises dotée d’une autonomie équivalente au gazole. La facilité d’utilisation de l’Oleo100 semble séduire les entreprises : « Les moteurs des véhicules les plus anciens ont été légèrement adaptés et les plus récents n’ont pas subi de modifications », indique Harold de Jacquelot, directeur du développement de Ourry. Le groupe Avril accompagne la mise en place d'une cuve de stockage de carburant de 50 m3 et garantit un prix équivalent au gazole. Composé à 100 % de colza, l’Oleo100 est produit par Saipol, filiale d’Avril, sur ses sites de Grand-Couronne en Seine-Maritime et du Mériot dans l'Aube puis livré directement aux clients, sans passer par un pétrolier. Une différence de taille avec le Diester, incorporé au gazole fossile à hauteur de 8 % maximum. Avril vise une production de 35 millions de litres pour 2020, correspondant à 35 000 hectares de colza, et 250 millions de litres pour 2023, soit 250 000 hectares à terme. À titre de comparaison, la consommation de gazole en France s’est élevée à 40 milliards de litres en 2018.

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