Fertilisation azotée : le pilotage intégral sur blé fait ses classes
Avec les outils Appi’N et CHN-conduite, le pilotage intégral de la fertilisation azotée sur blé doit encore faire ses preuves, même si les résultats sont prometteurs par rapport à la méthode du bilan. Analyse sur trois années d’essais.
Avec les outils Appi’N et CHN-conduite, le pilotage intégral de la fertilisation azotée sur blé doit encore faire ses preuves, même si les résultats sont prometteurs par rapport à la méthode du bilan. Analyse sur trois années d’essais.
Apporter de l’azote au plus près des besoins du blé. C’est l’objectif des méthodes Appi’N (élaborée par Inrae) et CHN-conduite (Arvalis) qui s’appuient sur la mesure régulière de l’indice de nutrition azotée (INN) des plantes. Pour cela, CHN-conduite a recours aux images satellites ou à des modèles de développement des plantes. L’outil Appi’N, lui, est testé depuis quelques années in situ en utilisant la pince N’Tester, tous les huit à quinze jours pendant quatre mois de développement du blé.
Contrairement à la méthode du bilan, Appi’N et CHN-conduite ne nécessitent ni estimation d’un objectif de rendement, ni mesure de reliquat de sortie d’hiver. « Ces évaluations sont souvent sujettes à discussion avec un manque de confiance dans les résultats et des difficultés de mesures ou d’estimations. La méthode du bilan montre des limites dans sa mise en œuvre qui entachent notablement ses performances », estiment Pierre Lebreton et Marie-Hélène Jeuffroy, chercheurs à Inrae de Thiverval-Grignon (1).
Sur les trois années d’essais en région Centre Val-de-Loire (projet Solinazo) et Grand Est (projet Partage), l’utilisation d’Appi’N a permis en moyenne une diminution de la dose totale d’azote appliquée sans changement significatif du rendement ni de la teneur en protéine du grain, mettent en avant les deux experts. « Nous notons aussi une réduction forte des pertes azotées et des émissions de gaz à effet de serre. En pratique, la méthode se traduit par un décalage quasi systématique du premier apport d’azote, de 20 jours en moyenne par rapport à la méthode du bilan. »
Ce décalage bouleverse les pratiques chez les producteurs qui ont l’habitude d’appliquer de l’azote en février. « Les agriculteurs apportent très tôt de l’azote en profitant de conditions humides, mais ce n’est pas le moment où la plante en a besoin, considère Antoine Letinois, conseiller agricole à la chambre d’agriculture des Ardennes. Au 15 février, les besoins du blé sont proches de zéro. »
En Eure-et-Loir, huit essais ont été suivis par Jean-Baptiste Gratecap, conseiller à la chambre départementale d’agriculture. Quatre de ces expérimentations n’ont pas montré de différence significative en rendement en utilisant Appi’N par rapport à la méthode du bilan. Trois essais ont révélé une baisse, et le dernier une augmentation de production.
« Dans les situations de sols limoneux à fort potentiel, le décalage du premier apport a réduit le nombre d’épis, ce qui s’est traduit par une perte de rendement, relate le conseiller. Appi’N part du principe que le blé en sortie d’hiver n’a pas besoin d’un indice de nutrition azotée élevé et qu’il peut se rattraper par la suite. Mais il arrive que cela ne fonctionne pas, notamment avec plusieurs semaines de sec au printemps comme on l’a connu ces dernières années entre la mi-mars et la fin avril. »
L’outil déconseille l’apport d’azote tant que des pluies ne sont pas annoncées pour permettre son assimilation par la plante, ce qui fut le cas sur cette période. « Mais sans apport avant le 15 mars, et si une longue période de sécheresse s’ensuit, on loupe un créneau pour alimenter le blé. Inrae a finalement pris en compte ce cas de figure pour assurer une fourniture a minima d’azote à ce stade », rapporte Jean-Baptiste Gratecap.
Marie-Hélène Jeuffroy confirme. « Suite à deux années de printemps sec, nous avons établi une nouvelle règle : si on approche du stade 'épi 1 cm', vers le 15 mars, sans avoir fait d’apport azoté, et que les prévisions météorologiques annoncent l’absence de pluie pendant quinze jours, un petit apport de 40 à 50 unités peut être réalisé. »
Témoignage | « Avec Appi’N, j’ai la garantie d’apporter de l’azote au moment opportun pour la plante »
« Nous avons testé cette nouvelle règle en 2021 et cela a permis de gommer les différences négatives entre Appi’N et le bilan », souligne Jean-Baptiste Gratecap. Le conseiller a par ailleurs noté une bonne efficience d’Appi’N dans les situations complexes où l’on a du mal à prédire les fournitures en azote du sol. « Ceci avait été le cas sur un blé précédent pomme de terre ayant laissé un reliquat de sortie d’hiver important mais difficile d'accès pour la culture. La méthode du bilan avait sous-estimé la dose d’azote à apporter par rapport à Appi’N avec une différence de rendement significative. En agriculture de conservation des sols, l'estimation précise de la fourniture du sol est parfois difficile. Dans ce type de situation, Appi’N a une vraie utilité. Mais la méthode du bilan reste bien adaptée en situation classique avec labour. Elle a fait ses preuves depuis quarante ans. Elle n’est pas à jeter aux orties ! »
Dans un contexte différent, l’outil a été testé dans le Grand Est. « En moyenne sur quatre ans, nous avons relevé une diminution de dose de 15 à 30 unités avec Appi’N comparé à la méthode du bilan pour un rendement similaire. Cela atteste d’une plus grande efficience de l’azote apporté et moins de perte dans l’environnement », rapporte Maëva Guillier, de la chambre régionale d’agriculture.
Des besoins en azote proches de zéro au 15 février
Dans les Ardennes, Antoine Letinois a noté des résultats voisins en termes de rendement. En 2020, contrairement à ce qui a été constaté dans d’autres expérimentations, Appi’N a donné satisfaction dans quatre situations sur six en dépit des six semaines de sécheresse. « Dans deux situations en 2020, il y avait eu une impasse d’apport azoté au moment de la sécheresse : pour un blé, il y a eu des répercussions négatives sur le rendement mais pas pour l’autre car la culture avait été semée tardivement. » Les expérimentations continuent dans le Grand Est en 2022.
Avec quelques adaptations, Appi’N devrait pouvoir s'adapter à toutes les situations sans impact sur les marges de l’agriculteur. Mais son utilisation requiert du doigté et du temps, puisqu’elle nécessite des mesures de l’indice de nutrition azotée à la pince N-tester sur trente feuilles par parcelle ainsi que sur une petite zone surfertilisée qui sert d’étalon. Inrae travaille à élaborer une application pour ordinateur et smartphone facilitant l’usage de ce nouvel outil. Ce dernier devra de plus obtenir l’agrément des instances officielles pour pouvoir être utilisé en zone vulnérable sans obligation de reliquat de sortie d’hiver ni méthode du bilan.
(1) Présentation lors des 15es rencontres de la fertilisation raisonnée et de l’analyse Comifer-Gemas (https://comifer.asso.fr)
Prise en compte de l’hétérogénéité de la parcelle avec CHN-conduite
L’institut Arvalis développe son propre outil, CHN-conduite, proche d’Appi’N dans son principe de fonctionnement. Plutôt que de devoir faire des mesures avec la pince N-Tester, Arvalis utilise les images satellitaires pour ses diagnostics de nutrition des blés. C’est aussi le moyen de prendre en compte l’hétérogénéité de la parcelle pour bâtir une modulation intraparcellaire de l’intégralité des apports azotés, et pas uniquement pour le dernier apport comme cela est déjà possible avec l’outil Farmstar.
Par rapport à des mesures in situ, la finesse d’analyse permise par les images satellitaires est dépendante de la couverture nuageuse. L’analyse des données pour un pilotage intégral nécessite de plus d’énormes capacités de calcul des serveurs informatiques. Arvalis planche à l’obtention d’une spatialisation des conseils rapide en limitant le volume de calculs coûteux en temps et en énergie.