Tavelure : quelle est cette piste de recherche innovante contre la maladie numéro 1 du pommier ?
Une piste de recherche actuellement à l’étude contre la tavelure, principale maladie du pommier, repose sur la combinaison d’une lutte biologique analogue à la lutte autocide et d’une stimulation des défenses du pommier.
C’est une piste prometteuse dans la lutte contre la tavelure du pommier, première cible des applications de produits phytosanitaires en verger de pommier : un itinéraire technique contre la tavelure, basé sur deux innovations INRAE brevetées, est en cours d’évaluation par l’institut de recherche et ses partenaires. « Il a pour avantages d’être à la fois non toxique pour l’homme, à base d’un organisme endémique qu’on trouve déjà en France dans la nature, non OGM, et de ne pas nécessiter d’acheter un nouvel équipement, car il repose sur l’utilisation d’un pulvérisateur classique au verger », liste Anne Duval-Chaboussou, CTIFL, lors de la rencontre technique fruits en AB organisée en novembre 2023 au centre CTIFL de Lanxade.
Des croisements entre souches POMI et PYR
À l’origine du concept, l’équipe de Bruno Le Cam, chercheur INRAE à l'IRHS d'Angers, a découvert que certaines souches de Venturia inaequalis, le champignon responsable de la tavelure du pommier, étaient pathogènes sur pommier, mais pas sur d’autres espèces de la famille des Rosacées, comme le Pyracantha. Les chercheurs ont également montré que certaines souches de V. inaequalis étaient pathogènes sur Pyracantha, mais pas sur le pommier. Ils ont nommé POMI la population pathogène sur pommier et PYR celle pathogène sur Pyracantha. Pour mieux comprendre pourquoi certaines souches sont pathogènes sur certaines espèces de Rosacées et d’autres ne le sont pas, c’est-à-dire pourquoi il y a une spécificité d’hôte stricte, l'équipe a cherché à identifier les gènes à l’origine de cette spécificité d’hôte.
Bien que ces deux populations aient divergé depuis des milliers d’années, elles ont malgré tout gardé leur capacité à se croiser, les chercheurs ont donc pu réaliser des croisements au laboratoire entre les souches POMI et PYR. De manière étonnante, ils ont constaté que les ascospores « hybrides » étaient non pathogènes sur pommier. L’idée est alors venue d’exploiter cette incapacité des hybrides à infecter le pommier, en forçant ce type de croisements en verger. Et pour ce faire, d'introduire des souches de type PYR en fin de saison lorsque la tavelure démarre sa reproduction sexuée. Il est attendu qu’au printemps suivant les ascospores produites ne provoquent pas de démarrage d’épidémies.
Un moyen de lutte biologique par détournement sexuel
Cette découverte, décrite par Bruno Le Cam comme étant un moyen de lutte biologique par détournement sexuel, analogue à la lutte autocide, a été présentée lors d’une réunion du Groupe national tavelure. Elle a conduit au projet de recherche « Enfin ! », commencé en janvier 2022 et nommé ainsi en référence à la réaction suscitée par l’annonce de la découverte. Le projet bénéficie actuellement d’un financement de l'Agence nationale de la recherche. Piloté par l’IRHS d’Angers, il fédère des travaux menés par le CTIFL, l’Institut français des productions cidricoles, l’Unité expérimentale horticole d’Angers et des socio-économistes INRAE de Paris Saclay.
Une seconde innovation en lien avec les souches PYR a également été mise en évidence par les chercheurs de l’IRHS d’Angers : en pulvérisant des semis de pommier avec des souches PYR avant une pulvérisation avec des souches POMI, les chercheurs ont découvert que les pommiers développaient moins de symptômes de la tavelure. Les souches PYR entraîneraient donc un effet de stimulation des défenses du pommier en conditions contrôlées. Le projet « Enfin ! » vise à confirmer en verger les résultats intéressants obtenus en conditions contrôlées pour ensuite tenter de combiner ces deux découvertes, afin de créer un itinéraire technique qui limite la pression tavelure.
Créer des descendances non pathogènes de tavelure
La première étape serait de pulvériser les souches PYR à l’automne, lors de la chute des feuilles et de la reproduction de V. inaequalis, pour qu’elles se reproduisent avec les souches pathogènes présentes dans le verger. L’objectif est de diminuer ainsi l’aspect pathogène de la tavelure et de créer des descendances non pathogènes qui ne pourront pas contaminer au printemps. La deuxième étape consisterait à pulvériser les souches PYR au printemps, au moment des contaminations primaires, pour stimuler les défenses du pommier. Mais il reste beaucoup de travail avant d’aboutir à un itinéraire technique qui puisse être adopté dans les vergers. Le projet « Enfin ! » est organisé en quatre axes afin d’arriver à ce résultat.
Le frein de la production industrielle de spores
Tout d’abord, il est nécessaire de faire la preuve du concept, en comprenant plus précisément les mécanismes qui sont en jeu lors de la mise en place de la reproduction sexuée de V. inaequalis. Ensuite, il faudra pouvoir arriver à produire de manière conséquente les spores PYR pour pouvoir « inonder » les vergers, en passant à une échelle de production industrielle. Cette étape n’est pas triviale. « On est face à une contrainte importante, indique Anne Duval-Chaboussou. On est en contact avec différentes sociétés de production de champignons microscopiques, mais à ce jour on n’arrive pas à produire suffisamment de spores en conditions industrielles ».
Le troisième axe est le déploiement de l’itinéraire technique en verger expérimental sur quatre sites. Les deux innovations seront testées indépendamment et en combinaison. Le dernier axe consistera à évaluer la durabilité du système, à la fois d’un point de vue biologique (évaluer le risque d’émergence d’hybrides pathogènes, étudier le devenir des populations en verger) et d’un point de vue socio-économique pour co-construire avec l’ensemble des parties prenantes la production et la diffusion de cette innovation. De nombreux échanges, enquêtes et ateliers sont ainsi prévus avec l’écosystème de la pomiculture.
Le cycle de la tavelure
En sortie d’hiver, les pseudothèces, organes sphériques qui contiennent les asques (qui contiennent elles-mêmes les ascospores), s’ouvrent. Lors des premières pluies au printemps, les ascospores vont contaminer les fruits et les feuilles (contamination primaire). Si cette contamination n’est pas contrôlée par les fongicides, le mycélium se développe sur les fruits et les feuilles. Il y a alors une production de conidiophores et de conidies, qui vont entraîner les contaminations secondaires via les éclaboussures d’eau de pluie.
À l’automne, une fois les feuilles tavelées tombées au sol, la reproduction sexuée a lieu lors de la sénescence de la feuille. Le croisement entre deux souches de signes sexuels opposés se réalise alors pour donner naissance aux prochains pseudothèces. Point essentiel pour la réussite de la stratégie de détournement sexuel, la reproduction sexuée est obligatoire sous nos latitudes pour que la tavelure poursuive son cycle.