Quand les conteneurs reefer prennent le train
L'expérience de liaison du port de Marseille avec ceux du Nord de l'Europe par le rail ouvre des perspectives de flux fruits et légumes nouveaux pour la place phocéenne.
L'expérience de liaison du port de Marseille avec ceux du Nord de l'Europe par le rail ouvre des perspectives de flux fruits et légumes nouveaux pour la place phocéenne.
Le port de Marseille-Fos a pris une belle avance, ce printemps, en ce qui concerne le report modal – de la route vers le ferroviaire – du transport de fruits et légumes frais. Le 13 avril, un train transportant trente-quatre conteneurs reefers chargés de fruits en provenance du port de Ashdod (Israël) a quitté la place phocéenne pour atteindre, 36 heures plus tard, le port de Rotterdam. Puis le 23 mai, un deuxième train avec trente-quatre conteneurs (venant de Haïfa) s'ébranlait vers Hambourg, atteint 44 heures plus tard (cf. fld hebdo du 27 avril et du 1er juin).
Projet européen
Ces deux trajets entrent dans le cadre de Fresh Food Corridors, un projet pilote cofinancé par l'Union européenne qui vise à mettre en place un corridor logistique de biens périssables depuis le bassin méditerranéen jusqu'aux marchés d'Europe centrale et du nord en favorisant le transport maritime et ferroviaire.... Outre Marseille-Fos, deux autres ports européens sont parties prenantes du projet, celui de Venise en Italie et celui de Koper en Slovénie (cf. fld hebdo du 23 mars 2016). Le test s'étale sur la période 2016-2018. Les objectifs de ce programme sont multiples : diminution du temps d'acheminement des marchandises, réduction des émissions de CO2 et des coûts de transport. Sur ce dernier point, le projet offre de belles perspectives : sept jours gagnés sur un parcours maritime classique, et cela pour un coût similaire. Mieux, relier Haïfa à Hambourg en moins de huit jours n'est pas réalisable par voie maritime.
Il s'agit aussi d'essayer de réduire les goulets d'étranglement en favorisant le report modal. « L'Europe dispose de deux grandes façades maritimes, une au Nord et une au Sud, explique Christine Cabau-Woehrel, présidente du Grand Port Maritime de Marseille-Fos (GPMM). La première connaît une forte concentration des flux, entraînant une congestion, pas forcément des places portuaires, mais surtout des relais vers leur hinterland. D'autre part, il existe de fortes marges de développement sur la façade Sud qui la rendent appropriée pour devenir un vrai point d'entrée sur le marché européen. Le projet Fresh Food Corridors illustre, par l'expérience, la pertinence de réduire la chaîne logistique à partir du Sud. Il entre dans notre raisonnement de proposer des solutions cousues main d'acheminement porte-à-porte aux chargeurs. Rien n'empêche de penser non plus que ce Fresh Food Corridors entre Marseille et Israël ne puisse être dupliqué avec la Turquie ou l'Egypte. »
Plusieurs acteurs dont Mehadrin
Outre l'autorité portuaire, plusieurs acteurs sont impliqués dans le projet : le producteur-exportateur de fruits et légumes israélien Mehadrin, son commissionnaire de transport LV Anto, le transporteur ferroviaire Eurorail et l'opérateur de manutention Seayard, installé à Fos. Le PDG de ce dernier, Claus Ellemann-Jensen, explique comment se mènent les opérations à son niveau « Notre terminal dispose de 400 prises reefer pour accueillir les conteneurs. Pour le projet, nous avons ajouté 160 prises aux 240 déjà existantes. Car la première chose est de fournir ces conteneurs en froid. Préparer le chargement du train est aussi un passage délicat, plutôt particulier. »
En effet, Seayard équipe les conteneurs de blocs froids, des générateurs diesel portables Genset, assez semblables à ceux rencontrés dans le transport routier sous température dirigée. Ils sont ensuite chargés sur les plates-formes wagons d'Eurorail qui prend en charge la suite du parcours. « Le deuxième test s'est effectué dans un contexte social plutôt délicat, se souvient Claus Ellemann-Jensen. Il faut féliciter d'autant plus les équipes qui n'ont pas ménagé leur peine pour accomplir une vraie performance. En général, le transport de conteneurs reefer sur rail est rare. Nous avons ici une belle réussite collective. Clairement, notre souhait est de développer ce type de flux. Nous disposons de tout ce qu'il faut pour déployer l'expérience, y compris un bureau d'inspection phyto sur le terminal ferroviaire. Les inspections phytos sont réalisées à Fos en collaboration avec les services de l'Etat qui traitent les conteneurs en temps masqué, entre le débarquement du navire et le départ programmé du train en soirée. »
Le contrôle phyto des conteneurs est un sujet délicat dans le projet Fresh Food Corridors à Marseille-Fos. Pour des raisons techniques d'une part : « Nous devons connaître à l'avance les conteneurs qui seront contrôlés afin de les diriger sur un emplacement particulier, explique Claus Ellemann-Jensen. Cela requiert donc une coordination forte entre les services de contrôle, le transitaire et la compagnie maritime bien avant que le navire soit à quai. Nous sommes le seul terminal en France à pouvoir opérer ces manœuvres. » Pour des raisons de calendrier aussi. L'agrément dont dispose Seayard ne concerne que les produits en provenance d'Israël – les autres sont contrôlés au poste d'inspection frontalier (PIF) du port – et ne courrait que jusqu'à la fin juin.
Question d'agrément
Ce qui entraîne des inquiétudes du côté de Seayard : « Sans le renouvellement de l'agrément, il faudrait faire aux conteneurs un aller-retour en camion du terminal ferroviaire au PIF, ce qui entraînerait des surcoûts et des pertes de temps, regrette Claus Ellemann-Jensen. Alors que de belles opportunités existent pour capter des flux du Maroc, d'Egypte ou d'Afrique de l'Ouest, cette situation malheureuse pourrait voir ces marchandises prendre la route ou se diriger plutôt vers le port de Koper ». Sur ce sujet, Christine Cabau-Woehrel est claire : « Soyez assuré que les équipes du port de Marseille-Fos travaillent sur cette problématique de l'inspection phyto et qu'il s'agit pour nous d'une préoccupation constante. Il s'agit néanmoins de trouver la solution idoine. »
Ces deux premiers tests demeurent, en tout cas, totalement positifs. Et nonobstant la question du point de contrôle phyto, le projet devrait entrer dans sa phase industrielle à la rentrée prochaine. Cela correspondrait au début de la campagne des fruits et légumes du pourtour méditerranéen. En tout cas selon Eurorail, les trains devraient de nouveau circuler à partir du mois d'octobre, à un rythme beaucoup plus soutenu – saison des fruits et légumes oblige –, soit un départ par semaine.