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Pesticides : apaiser les tensions avec les riverains

Les relations entre producteurs et riverains sont exacerbées par la pression médiatique autour du danger potentiel que présentent les phytos. Dialogue et concertation sont plus que jamais indispensables. Ils se formalisent désormais à travers des chartes de bon voisinage.

Les tensions entre agriculteurs et riverains des parcelles sont palpables... et nécessitent une reprise de dialogue.
© RFL

L’agribashing va bon train. Et au cœur d’une polémique hautement médiatisée : les phytos. « Il y a effectivement une pression médiatique très forte sur les phytos avec l’action de certaines ONG qui poussent nos concitoyens à en avoir une peur absolue. Ce qui génère des réactions qu’on ne connaissait pas jusque-là », constate Josselin Saint-Raymond, directeur de l’ANPP (Association Nationale Pommes Poires). D’où des tensions extrêmement vives entre agriculteurs et riverains. Parmi ces derniers, certains se constituent en association de défense. Et les arboriculteurs, du fait des traitements aériens nécessaires et de la dérive que cela peut engendrer, se retrouvent en première ligne. « La pomme est même devenue le symbole de la lutte anti-pesticide », indique Josselin Saint-Raymond. « Un reportage diffusé à la télévision en mars 2015 a fait beaucoup de mal à cette filière car il qualifiait notre zone de production de triangle de la mort », ajoute Agnès Bonzeau, directrice du syndicat de défense de la pomme du Limousin. Les relations s’étaient tellement envenimées entre pomiculteurs et riverains de cette région organisés dans une association appelée Allassac ONGF (voir page suivante), qu’il a fallu l’intervention des élus pour que tous se mettent autour de la table, puissent enfin se parler et trouver des compromis. « Ce travail de concertation a démarré en 2015 pour aboutir, le 20 mars 2017, à la signature d’une Charte pour une arboriculture pomme du Limousin mieux intégrée dans son environnement », poursuit Agnès Bonzeau. « Même si le sujet reste très sensible, avec cette Charte, nous avons pu nouer un dialogue et partir sur des relations apaisées. Désormais, un riverain affecté par un traitement n’appelle plus les gendarmes ou ne sollicite pas les médias mais en réfère aux partenaires signataires de la Charte. Tout cela est encore fragile. Cette période de reprise des traitements, avec de nombreux jours fériés, est, en effet, difficile à gérer. Il nous faut anticiper, informer, expliquer aux riverains pourquoi nous devons intervenir un week-end même si de leur part, il y a une meilleure compréhension de nos contraintes ».

« Le monde agricole est un très mauvais communiquant »

Certains adhérents de l’association de la pomme de Savoie se sont aussi retrouvés confrontés à des problèmes de voisinage. « Les gens qui se plaignent, en fait, ne connaissent pas notre métier », explique Jean-David Baisamy, président de l’association de la pomme de Savoie. « J’ai organisé quatre réunions de concertation. Quand elles débutent, le ton est vindicatif mais quand on explique les choses, qu’on parle réglementation, contrôles, une bonne partie de l’auditoire se sent réconforté et repart confiant. Néanmoins, le souhait de la profession est d’aller vers une Charte interdépartementale Savoie et Haute-Savoie, placée sous l'égide de la Chambre d’agriculture et englobant toutes les filières de production. Cette charte aura pour base la certification HVE niveau 3. En expliquant ce que celle-ci recouvre, nous espérons qu’elle nous permettra d’apaiser les tensions. C’est un premier pas. Cette charte est en train d’être peaufinée et nous espérons pouvoir la proposer à la fin de cette année ». Même si la pomme est en première ligne, elle n’est pas la seule production à subir les foudres de riverains agacés. « Depuis deux ans, nous sentions la colère croître et l’an dernier, une association de riverains, baptisée Noix Nature Santé s’est montée pour dénoncer nos pratiques », explique Christian Nagearaffe, secrétaire du CING (Comité interprofessionnel de la noix de Grenoble). « Ce sont les traitements obligatoires contre la mouche du brou qui ont, dans un premier temps, éveillé la curiosité des habitants puis ouvert les hostilités quant à nos traitements. Face à cela, nous nous sentions démunis. Nous avons voulu reprendre la main en éditant un guide de bonnes pratiques, l’été dernier mais nous savions que cela ne suffirait pas. Nous avons donc proposé à Noix Nature Santé de travailler sur une Charte pour une nuciculture respectueuse de l’environnement, des nuciculteurs et des riverains. Ce travail qui vient d’être entamé s’appuie sur les propositions élaborées par l’association. Propositions qui nous semblent assez sérieuses. A nous de dire jusqu’où nous pouvons aller pour pouvoir s’engager sur des objectifs tenables ».

Ne plus être considéré comme des présumés coupables

Mais Christian Nagearaffe veut aussi mettre en garde ces associations, qui participent, selon lui, à une hystérisation de la société. « Et cela est très difficile à contrecarrer. Même les producteurs bios sont affectés. Elles doivent se responsabiliser quant aux messages qu’elles portent qui sont parfois autant d’incitations à la violence ». Même s’il reconnaît que le monde agricole a une part de responsabilité en étant un très mauvais communicant qui n’a pas su construire des contre-argumentaires solides. « Nous devons, en effet, avoir une voix médiatique aussi puissante que celle de ceux qui crient très fort », estime également Josselin Saint-Raymond. « Si nous ne voulons plus être considérés comme des présumés coupables, il faut faire découvrir nos pratiques, prendre le temps de discuter avec ses voisins. Nous recommandons d’ailleurs à nos adhérents d’organiser des apéros, des barbecues afin d’en finir avec cette psychose qui jaillit dès qu’une personne voit passer un pulvé, même si celui-ci ne transporte pas de produits nocifs. Dès qu’une problématique locale survient, il faut co-construire des solutions entre arboriculteurs et riverains. Cela se montrera beaucoup plus efficace qu’un décret qui s’imposerait à tous ».

A savoir

En pratique

Les phytos ne sont pas la seule source de discorde entre producteurs et riverains. Il y a aussi le bruit. Celui provoqué par des canons effaroucheurs d’oiseaux, par les tours à vent en période de gel, par le tracteur si le traitement s’effectue tôt le matin ou tard le soir a pu provoquer les foudres des populations riveraines. Si les arboriculteurs sont réellement en première ligne, certains maraîchers ont dû aussi faire face à ce courroux mais dans une bien moindre mesure.

La FNSEA veut généraliser les chartes de bon voisinage

La loi Egalim (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), promulguée le 30 octobre 2018, prévoit dans son article 83 des mesures relatives à l’utilisation des phytos. Avec deux enjeux principaux : la diminution des risques liés à la dérive et une concertation obligatoire entre riverains et agriculteurs. Pour la FNSEA, par la voix de Christian Durlin, président de la Chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais et administrateur au syndicat, cette voie réglementaire ne permettra pas de résoudre tous les problèmes. « En se plaçant néanmoins dans le cadre cette loi, nous avons voulu mobiliser tous les départements pour élaborer des chartes, sans attendre ses décrets d’application. Ces chartes prévoiront les dispositifs antidérives à mettre en place autour des habitations car nous savons que sur un plan technique, nous pouvons encore nous améliorer. Mais elles prévoiront aussi la nécessaire concertation avec les populations. Cet enjeu de sensibilisation étant essentiel. Dans les conflits locaux, il y a besoin d’expliquer les enjeux de la protection des cultures et cela concerne toutes les formes d’agriculture, y compris le bio. Ce travail est mené en relation avec les maires, ce qui pour nous est très important, le préfet étant le garant du dispositif. Y sont également associés les Chambres d’agriculture, les coopératives et les représentants des négociants. Ces chartes sont en cours d’écriture et devraient être présentées d’ici fin juin ».

100 % des exploitations certifiées HVE d’ici 2030

La filière arboricole n’a pas attendu la pression sociétale actuelle pour limiter l’usage des phytos. « Depuis 2009, dans le label Verger éco responsable, une démarche unique au monde, nous avons inscrit un certain nombre de choses pour atténuer les troubles du voisinage », indique Josselin Saint-Raymond. « Nous nous sommes également fixés comme objectif que 50 % des exploitations soient certifiées HVE d’ici 2022 et 100 % d’ici 2030. Ce mode de production respectueux de l’environnement devrait contribuer à rassurer les riverains. Nous travaillons également au renouvellement du parc de pulvés. Enfin, mais il s’agit d’une action de très long terme, la recherche planche sur des variétés tolérantes aux maladies. Mais cela ne pourra se faire que si la grande distribution accepte de faire une place dans ses rayons à ces variétés inconnues du grand public. Il y a donc un effort collectif à mener ».

 

Allassac ONGF : « Nous défendons notre droit à la santé »

« Agriculteurs, riverains, particuliers, médecins : tous unis face aux dangers des pesticides » : tel est le slogan de l’association Allassac ONGF, créée il y a plus de dix ans, en Corrèze, par des riverains qui s’interrogeaient sur les dangers des pesticides utilisés par les pomiculteurs à proximité de leurs lieux de vie. Elle s’est donnée pour mission d’alerter et de protéger les populations quant à ces dangers. « Nous n’avons jamais remis en cause la nécessité pour les arboriculteurs de traiter même si pour nous, l’idéal serait l’abandon des phytos. Mais nous voulons défendre notre droit à la santé », indique Fabrice Micouraud, porte-parole d’Allassac ONGF. Après des tensions allant crescendo, des actions devant les tribunaux, le tout ayant duré plus de dix ans, arboriculteurs et riverains, qui entre-temps, avaient obtenu le soutien de l’association Phyto Victimes et d’une association regroupant 280 médecins du Limousin, se mettaient autour de la table, en mars 2017, pour signer la Charte visant à une arboriculture mieux intégrée dans son environnement. « Cette Charte n’a pas réglé tous les problèmes mais elle a eu au moins le mérite d’éveiller les consciences et d’avoir ramené une certaine concorde même si elle est loin d’être parfaite. Il y a eu de notre part une acceptation de mettre en place une politique des petits pas mais aujourd’hui, nous sommes circonspects. Il était prévu que cette Charte soit évolutive. Or, nous attendons ces évolutions même si nous reconnaissons que les arboriculteurs font des efforts pour la respecter », ajoute Fabrice Micouraud. L’association a d’ailleurs formulé des propositions comme l’installation de manches à air agricoles en tant que juge de paix quant à la force du vent en présence. « Cela m’éviterait d’appeler les gendarmes pour non-respect de la réglementation ». Allassac ONGF demande également une information préalable au traitement par la mise en place d’une application dédiée sur smartphone. « Nous saurions ainsi si nous pouvons étendre le linge dans le jardin ou organiser une fête pour les enfants ». Elle réclame aussi l’application immédiate de mesures alternatives aux phytos lorsqu’elles existent et que le périmètre de plantation autour des habitations opère une conversion en bio. Enfin, contre la tavelure, elle souhaite qu’une expérimentation soit mise en place pour tester les bâches anti-pluies. « Ce qui permettrait de régler 50 % du problème ». L’association espère obtenir des réponses à ses demandes dans les prochaines semaines. « Sinon, ce sera un constat d’échec et on risque de repartir dans les tensions et les procès. Je suis fatigué. Je préférerais prendre l’apéro avec mon voisin arboriculteur plutôt que de le retrouver à la barre du tribunal ».

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