Crise des fruits d’été
Le discours d’Ille-sur-Têt de Bruno Le Maire fait réagir des deux côtés des Pyrénées
Alors que la filière pêche-nectarine est au plus mal, « plus de 3 000 emplois à temps plein sont menacés pour la saison prochaine », comme le rappelle l’AOP pêche-nectarine. La visite du ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, à la coopérative Ille Fruits (Pyrénées-Orientales) le 23 août a provoqué bon nombre de réactions dans la filière. Sans entrer dans les détails chiffrés, il a promis plusieurs millions d’aides pour la production française (un plan de sortie de crise est prévu pour le 7 septembre) et s’est exprimé sur le coût du travail, la concurrence entre Etats producteurs... Un décret est annoncé dans les prochaines semaines pour renforcer les contrôles en particulier sur l’interdiction de la pratique du prix après-vente. Le locataire de la rue de Varenne n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, particulièrement à l’encontre de certains grossistes et de l’importation. Autant de propos qui ont fait réagir en France mais ont aussi au delà des frontières, surtout en Espagne (lire aussi "Rosa Aguilar rencontre la filière espagnole et rejette les contrôles français").
En France
Les grossistes s’opposent à la stigmatisation de la profession
Directement visés par les propos du ministre de l‘Agriculture, les grossistes en fruits et légumes par la voix de leur syndicat (UNCGFL) ont voulu remettre les pendules à l’heure. « Le choix du Ministre semble de vouloir vilipender la profession des grossistes (...) et de jeter l’anathème sur toute une profession », s’insurge-t-il dans un communiqué. Et d’ajouter : « Nous ne pouvons ni comprendre, ni accepter que l’Etat et certains de ses services se défaussent ainsi en rendant notre profession responsable des deux problèmes structurels les plus criants qui relèvent de sa compétence : celui de la compétitivité de la production française et celui de la disposition des dispositifs de régulation indispensables à la filière. » Regrettant la disparition de tels outils comme le retrait en période de crise, et rappelant les écarts de compétitivité entre pays producteurs, l’UNCGFL note par ailleurs que « cet Etat français, donneur de leçon, exerce une pression continue par le critère d’attribution du prix le plus bas dans la commande publique, nonobstant l’origine du produit ». Pour le délégué général de l’UNCGFL, Bernard Piton, « il faut bien aussi parler la compétitivité de l’aval de la filière : si nous n’avons pas un aval compétent pour vendre des fruits et légumes alors il y a problème. Avec à la clé, un risque important de perte de valeur ajoutée pour tous. Les opérateurs qui d’une manière ou d’une autre ne jouent pas le jeu, l’Union ne sera jamais là pour les soutenir. Mais, il n’y a pas de raison pour généraliser et stigmatiser toute une profession. »
Pour les importateurs, un relent de campagne électorale
Du côté des importateurs français, on n’est pas loin de l’effarement. « Il faut reconnaître que nous avons été passablement désarçonnés par les propos du Ministre, note Philippe Pons, président de la CSIF. Sans verser dans une quelconque paranoïa on sent bien que le gouvernement pousse le bouchon aussi loin que possible à l’encontre des produits d’importation. Encore faudrait-il qu’il n’oublie pas que depuis 1993 le marché européen est ouvert et que les carottes italiennes ou les tomates belges peuvent circuler librement. » Chez les importateurs, on considère qu’il y a erreur sur la cible : « On fait des produits importés le bouc émissaire de la crise que nous traversons alors que le problème, c’est bien la compétitivité de la filière française. En fin de compte, cet épisode donne l’impression que le gouvernement joue un peu la montre en faveur d’une partie de son électorat traditionnel. »
Felcoop s’interroge sur le financement de baisse des charges sociales et demande la TVA sociale
Mardi dernier, Bruno Le Maire avait annoncé la baisse des charges sociales pour les saisonniers des coopératives de f&l, mais pour l’instant, la Fédération des coop s’interroge sur son financement. Felcoop revendique encore une fois le fait que la seule solution pour la filière serait la TVA sociale. En deux mots, que les charges salariales soient financées par une augmentation de la TVA sur les f&l d’un point, voire un demi-point. Elle estime par ailleurs qu’il serait dans ce cas fondamental de faire la lumière sur la formation des prix consommateur et des marges... Enfin, Felcoop demande que parmi les mécanismes de gestion de crise à revoir dans le cadre de l’UE, le fonds de mutualisation des programmes opérationnels (caisse de péréquation des OP) soit financé totalement par Bruxelles. En clair, les coopératives attendent avec impatience ce qui sera annoncé le 7 septembre par le ministre.
Légumes de France veut une réduction des coûts du travail
« Nous voulons croire que la décision de François Fillon de taxer les sodas servira, comme il était prévu, à l’exonération du travail des permanents promise par le Premier ministre pour le 1er janvier prochain », déclarait Légumes de France le 25 août dernier.
La coordination rurale demande à nouveau la TVA sociale
Dès le 18 août, après le Conseil spécialisé f&l, la Coordination rurale avait appelé à la mise en place de la TVA sociale. « Elle permettrait de diminuer facilement le coût de la main-d’œuvre et de créer de l’emploi. C’est légal et cela permet d’alléger les exportations du coût de protection sociale tout en la faisant financer par les produits importés y compris de l’Europe », indique le syndicat..
En Espagne
Fepex juge les déclarations de Bruno Le Maire « inadmissibles »
Par voie de communiqué, la Fepex « considère que les déclarations du ministre français son inadmissibles, défend la qualité des productions espagnoles et exige que l’administration française garantisse la libre-circulation des marchandises sur son territoire (..). » « La situation de crise que vit la filière fruits à noyau cet été est commune à tous les pays producteurs et pour la Fepex la recherche de solutions ne passe pas par l’affrontement entre les pays ni par une attitude condescendante vis-à-vis des agressions renouvelées sur les productions espagnoles dont les effets n’aident pas à résoudre les problèmes de la filière fruit européenne. » Fepex regrette que l’Espagne soit rendue responsable des conséquences désastreuses de l’inefficacité des mesures actuelles de gestion de crise. La Fepex estime « indispensable » que les administrations françaises et espagnoles « coordonnent une position conjointe devant la Commission européenne pour que soient adoptées des mesures de gestion de crise urgentes et efficaces. »
Afrucat demande la création d’outils spécifiques
A la suite de la réunion du 24 août avec Eduardo Tamarit, secrétaire général à l’Agriculture au ministère espagnol, l’association des fruits de Catalogne Afrucat demande la création « d’un règlement spécifique exceptionnel (similaire à la situation de crise E. Coli) pour les cas de crises graves afin que Bruxelles assume 100 % des pertes du secteur via des fonds communautaires pour que la mesure puisse être applicable à tous les producteurs de fruits. » Elle demande aussi la « création d’un fonds pluriannuel et cofinancé par l’UE qui permette au secteur comme sauvegarde dans des situations de crise de marché pour donner davantage de possibilités de gestion et de préventions de crise », la « possibilité de destiner à l’industrie les retraits pour obtenir des produits de transformation dont Bruxelles assumerait les coûts d’emballage et d’industrialisation pour éviter la saturation du marché frais, la promotion des productions nationales, renforcer le regroupement de l’offre commerciale. »
Manifestations contre des intérêts français
Le 26 août dans l’après-midi, près de 80 producteurs catalans, emmenés par le syndicat Asaja ont déversé 4 t de fruits (pêches-nectarines et pastèques) devant le consulat français à Barcelone. « Nous menons cette manifestation en représailles des camions espagnols vandalisés en France », lançait un manifestant interrogé par l’agence de presse Europa Press présente sur les lieux. En Castille et Leon, samedi 27 août, devant un magasin Carrefour, près de 10 t de pommes de terre ont été déversées par l’union des syndicats COAG et UPA et le syndicat de la région Asaja de son côté encourageait en début de semaine dernière le boycott des pommes de terre d’origine française sous le slogan : “Œil pour œil, dent pour dent”.