La filière poire mobilisée contre la punaise diabolique
Biocontrôle de la punaise diabolique, nouvelles méthodes de protection contre les maladies, diversification des variétés, utilisation des systèmes de vision numérique… Les recherches s’intensifient pour améliorer la conduite des vergers de poirier.
Biocontrôle de la punaise diabolique, nouvelles méthodes de protection contre les maladies, diversification des variétés, utilisation des systèmes de vision numérique… Les recherches s’intensifient pour améliorer la conduite des vergers de poirier.
La 13e édition d’Interpera, congrès international de la poire, s’est tenue pour la première fois à Rotterdam, aux Pays-Bas, où les surfaces en poire sont passées de 6 000 ha en 2000 à 10 000 ha en 2020. Au-delà d’un contexte économique, environnemental et géopolitique très perturbé, le congrès a présenté des pistes techniques permettant de donner des perspectives aux producteurs dans un environnement incertain.
Une piste prometteuse, qui redonne de l’espoir aux arboriculteurs italiens, est l’utilisation de la guêpe samouraï (Trissolcus japonicus) pour lutter contre la punaise diabolique (Halyomorpha halys). En 2019, en Emilie-Romagne, qui assure 70 % de la production italienne de poire, des attaques très importantes de punaise diabolique ont en effet été constatées en poire, entraînant la perte de 70 à 100 % des récoltes. « Le manque à gagner en poire, pomme et pêche a été évalué à 600 M€ pour le nord de l’Italie », a précisé Lara Maistrello, de l’Université de Modène.
Les dégâts dus à la punaise diabolique ont à nouveau été importants en 2021, avec jusqu’à 70 % de pertes en poire dans presque tout le pays. Venue d’Asie, repérée en Suisse en 2004, en Grèce en 2011, en France et en Italie en 2012, la punaise diabolique se retrouve aujourd’hui dans à peu près toute l’Europe, sauf en Irlande, sous des climats très variés. « En Italie, elle est sans doute arrivée en 2009 et connaît depuis une croissance exponentielle, observe Lara Maistrello. En 2015, elle a été déclarée parasite majeur pour l’Italie du nord. Les producteurs de poire sont désespérés face à ce ravageur. »
Des prélèvements d’ADN dans l’intestin de prédateurs généralistes
Dans ce contexte, des essais ont été engagés pour évaluer les possibilités de biocontrôle d’Halyomorpha halys. Une étude a été menée sur les antagonistes naturels présents au nord de l’Italie. Des prélèvements d’ADN dans l’intestin de différents prédateurs généralistes capturés dans les champs ont montré que certains prédataient H. halys, mais en petite quantité. L’étude a montré aussi que le parasitoïde indigène le plus efficace contre la punaise diabolique en Italie est Anastatus bifasciatus, hyménoptère parasitoïde généraliste.
« Ce parasitoïde toutefois se développe lentement, produit moins de trois générations par an et a 32 hôtes de trois ordres, en majorité des hétéroptères et des lépidoptères », analyse Lara Maistrello. Acroclisoides sinicus, hyperparasitoïde obligatoire (il parasite des œufs déjà parasités), a également été détecté comme parasitant des œufs d’H. halys. « Il y a donc un certain potentiel de biocontrôle de la punaise diabolique par certains antagonistes indigènes, conclut Lara Maistrello. Mais ce potentiel est insuffisant face aux dégâts engendrés, qui amènent les producteurs à multiplier les traitements, mettant en péril la protection biologique intégrée. »
Des essais d’introduction de la guêpe samouraï
Les chercheurs se sont donc intéressés aux antagonistes exotiques, notamment à Trissolcus japonicus ou guêpe samouraï, petite guêpe noire originaire d’Asie, qui pond dans les œufs de la punaise diabolique et s’y développe au détriment de celle-ci. « Trissolcus japonicus est spécifique des Pentatomidae, se développe en 14 jours à 25°C, produit plus de trois générations par an et a évolué naturellement avec la punaise diabolique, puisque les deux insectes viennent des mêmes régions », souligne Lara Maistrello.
Une directive européenne interdisant l’introduction d’espèces exotiques, un amendement à la transposition de cette directive a été nécessaire et des autorisations spécifiques ont été demandées par les sept régions et provinces les plus affectées par la punaise diabolique (Piedmont, Emilie-Romagne, Lombardie, Vénétie, Frioul, Trente, Bolzano) pour pouvoir introduire T. japonicus. Des autorisations ont été accordées en 2020, puis à nouveau en 2021 et 2022.
Premiers résultats encourageants
En 2020, deux lâchers par site de 100 femelles et 10 mâles de Trissolcus japonicus ont été réalisés en juin-juillet sur 643 sites des sept régions, dont près de la moitié en Emilie-Romagne. Ils ont été renouvelés en 2021 sur 465 sites et des premiers lâchers ont été réalisés sur 45 sites de cinq nouvelles régions (Ligurie, Ombrie, Marche, Campanie, Sardaigne). Chaque année, des œufs de punaise diabolique pondus naturellement ont été collectés pour en vérifier le parasitisme. Les chercheurs ont aussi analysé le parasitisme des œufs des hémiptères non cibles, sachant que T. japonicus ne parasite que les œufs de quelques pentatomidae, mais pas les coccinelles, abeilles ou autres insectes.
En 2020, 4,3 % des œufs des 643 sites étaient parasités par T. japonicus, 17,9 % par d’autres parasitoïdes, notamment Anastus bifasciatus et Trissolcus mitsukurii, autre Trissolcus exotique. 1,2 % des œufs d’autres hémiptères était parasité par T. japonicus. Et en 2021, 9,20 % des œufs étaient parasités par T. japonicus, 15,21 % par d’autres parasitoïdes. 5,03 % des œufs d’autres hémiptères étaient parasités par T. japonicus. Et sur les 45 sites ayant reçu des premiers lâchers en 2021, 0,9 % des œufs de la punaise était parasité par T. japonicus, 2,88 % par d’autres parasitoïdes.
« Il y a donc de bonnes raisons d’être optimiste, estime Lara Maistrello. Les antagonistes naturels ont une certaine efficacité. Et en un an, le taux de parasitisme des œufs de punaise diabolique par Trissolcus japonicus est passé de 4,3 % à 9,20 %. Le parasitoïde a été retrouvé au-delà de 50 m du site du lâcher. Et cela avec un impact négligeable sur les espèces non cibles. »
« Le manque à gagner en poire, pomme et pêche lié aux dégâts de H.halys en 2019, a été évalué à 600 M€ pour le nord de l’Italie », Lara Maistrello, de l’Université de Modène.
Une punaise très mobile et prolifique
Hétéroptère de la famille des Pentatomidae, Halyomorpha halys est une punaise marbrée présentant 5 stades larvaires. Les adultes hibernent dans des endroits secs, sous l’écorce des arbres, dans les bâtiments, les voitures, sur les vêtements, les emballages… « Elle est très envahissante, s’incruste partout et est très prolifique », souligne Lara Maistrello. Les adultes se déplacent en moyenne de 2 km/jour en volant, jusqu’à 26 m de haut, mais peuvent parcourir jusqu’à 116 km en une journée. Les nymphes se déplacent en marchant jusqu’à 20 m/jour.
En Italie, la punaise produit en général deux générations par an, chaque femelle de la première génération pondant 300 œufs et ses filles, qui deviennent adultes en 40 jours, plus de 200. Plus de 300 espèces de plantes peuvent être infestées par Halyomorpha halys, dont la poire, la pêche, la pomme, le kiwi, l’olive, la noisette, peut-être la prune, la cerise… Les dégâts sont constatés surtout en bordure et sur le haut des cultures, sur les fruits et les graines. Grâce à son dard très long, la punaise injecte de la salive dans le fruit, entraînant des pustules, déformations, liège, décolorations. Si les attaques interviennent près de la récolte, les dégâts ne se voient pas forcément à la récolte, mais des dommages apparaissent pendant la conservation.
L’agriculture de précision dans les vergers
Aux Pays-Bas, un consortium travaille depuis 2016 sur l’utilisation des nouvelles technologies pour améliorer la production de poire.
Portés par l’Université de Wageningen et par Delphy, en collaboration avec Fruit Tech Campus, la station Proeftuin Randwijk, les producteurs et de nombreuses entreprises, le projet Fruit 4.0 et aujourd’hui le Nouveau Projet Fruit 4.0 visent à développer des solutions technologiques pour la production de poire. Les objectifs sont de rendre la culture plus durable, de maximiser le rendement et de minimiser les coûts. Les chercheurs utilisent notamment des systèmes de vision portés par des drones qui survolent les vergers ou tirés par un tracteur entre les rangs, couplés à la localisation GPS et à de l’intelligence artificielle.
300 ha de vergers surveillés par drone
En 2021, plus de 300 ha de vergers ont été surveillés par drone aux Pays-Bas. La vision par drone est utilisée notamment pour déterminer la vigueur de chaque arbre et le nombre de bouquets de chaque arbre, pour éventuellement intervenir ensuite par élagage des racines. Une autre application en cours d’expérimentation porte sur un éclaircissage ciblé et automatisé avec l’éclaircisseur Brevis. Des cameras couleurs portées derrière un tracteur prennent des photos des arbres à différentes hauteurs, avec la localisation GPS, et sont ensuite analysées par intelligence artificielle pour compter le nombre de fleurs par arbre.
Une caméra laser mesure la distance des fleurs à la caméra, ce qui permet de détecter exactement leur positionnement. La carte des fleurs est ensuite convertie en une carte des tâches qui indique quels arbres doivent recevoir une pulvérisation de Brevis. Les essais montrent que l’application localisée de l’éclaircisseur sur les arbres qui en ont besoin permet une production plus régulière et au final augmente la productivité et la qualité.