La filière fruits et légumes s’adapte au changement climatique
L’agriculture est un des premiers secteurs touché par les impacts du changement climatique. S’y adapter constitue un enjeu primordial pour les filières, qui ont entamé un important travail prospectif.
L’agriculture est un des premiers secteurs touché par les impacts du changement climatique. S’y adapter constitue un enjeu primordial pour les filières, qui ont entamé un important travail prospectif.
Augmentation des températures, évènements climatiques extrêmes plus intenses et plus fréquents, présence accrue des ravageurs des cultures… Certains impacts du changement climatique sur l’agriculture en général et sur la production de fruits et légumes en particulier se font d’ores et déjà sentir. Selon le dernier rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), présenté en août dernier, la dégradation des sols et le réchauffement climatique sont deux phénomènes interconnectés qui s’alimentent mutuellement. Ce rapport, qui se base sur 7 000 publications scientifiques, doit servir de base aux prochaines négociations internationales sur le climat. Depuis les années 1960, la croissance de l’utilisation des terres fait partie des facteurs qui entraînent une aggravation du réchauffement climatique. Celui-ci détériore à son tour les sols, moins capables de stocker du CO2 et d’atténuer l’augmentation des températures. L’ensemble de ces phénomènes devrait menacer, à terme, la sécurité alimentaire de régions entières, principalement à cause des sécheresses et de la désertification. Le Giec préconise des mesures visant à une « refonte du système alimentaire, de la production à la consommation » : une « meilleure gestion des cultures », une « meilleure utilisation des fertilisants », « les améliorations génétiques » pour « améliorer la tolérance à la sécheresse et à la chaleur », l’agroécologie… L’organisme plaide pour un système alimentaire plus équilibré, avec des produits basés sur les « plantes, graines, légumes, fruits, noix », ainsi que des produits animaux « produits avec des modèles durables ».
Des impacts par quatre canaux principaux
Mais si le Giec recommande une consommation plus importante de fruits et de légumes, leur production pourrait diminuer avec les conséquences du changement climatique. Ainsi, selon une étude publiée dans les comptes-rendus de l’Académie américaine des sciences (PNAS), les récoltes de légumes mondiales pourraient diminuer de plus de 30 % en moyenne à la fin du siècle si le réchauffement climatique se poursuit à son rythme actuel. Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont passé en revue 174 études sur l’impact de l’environnement sur les récoltes et les contenus nutritifs de légumes depuis 1975. Selon le Giec, le changement climatique affecte la capacité productive des écosystèmes via quatre canaux principaux : l’augmentation moyenne des températures, les changements de fréquence, d’intensité, d’amplitude spatiale et temporelle des événements météorologiques et climatiques extrêmes, la modification des cycles biogéochimiques (augmentation des concentrations en dioxyde de carbone et ozone), les pertes dues aux ravageurs, maladies et mauvaises herbes. Le sujet du changement climatique est au cœur des préoccupations de l’agriculture et de la filière fruits et légumes. Aprifel, l’Agence pour la recherche et l’information en fruits et légumes, a ainsi consacré la 4e matinée annuelle de son conseil consommateur à l’impact du changement climatique sur la filière fruits et légumes, fin novembre. Cette rencontre a permis de partager auprès des consommateurs les défis auxquels fait face la filière et les travaux qu’elle entreprend pour y répondre.
Une approche collective est nécessaire
L’Ademe, agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, a publié en septembre dernier un guide méthodologique intitulé « Comment développer sa stratégie d’adaptation au changement climatique à l’échelle d’une filière agroalimentaire ? ». Ce guide propose une méthode pour accompagner les filières agroalimentaires dans leur adaptation au changement climatique, en tenant compte de son « caractère évolutif et incertain ». « L’adaptation des filières ne saurait se résumer à une juxtaposition d’actions prises individuellement par chacun des maillons et des acteurs concernés […], souligne le guide de l’Ademe. Une approche collective est nécessaire pour s’assurer du succès d’une démarche d’adaptation. » La méthode développée est issue d’une étude et d’une expérimentation au sein de trois filières agricoles : pommes en Pays-de-la-Loire, bovin-viande en Bourgogne et maïs en Occitanie. Elle repose sur l’analyse des impacts du changement climatique, l’identification des menaces et des opportunités afin de construire des stratégies d’adaptation des filières. Pour la filière pomme, « plusieurs types d’impacts liés au changement climatique ont été identifiés : sur la production (manque de coloration, augmentation des dégâts par les ravageurs…), la récolte (décalage dans le temps…), le stockage (besoin de davantage d’énergie pour refroidir les fruits en raison des températures plus hautes lors de la récolte), et la concurrence possible d’autres productions. » Selon l’Ademe, les solutions peuvent relever du choix de variétés plus adaptées aux nouvelles conditions ou, à plus long terme, de la création de nouvelles variétés.
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Selon le Giec, la dégradation des sols et le réchauffement climatique sont deux phénomènes interconnectés.
Trois manifestations du changement climatique
Températures moyennes en hausse
Selon l’Observatoire régional sur l’agriculture et le changement climatique (Oracle) Nouvelle-Aquitaine, l’augmentation des températures depuis 60 ans (+ 0,3 °C par décennie) est trois fois plus forte que celle observée sur l’ensemble du XXe siècle (+ 0,1°C par décennie). Les calendriers culturaux et l’évapotranspiration des cultures s’en retrouvent fortement impactés. Ainsi, la date de début de floraison en arboriculture fruitière a été avancée de 1,6 jour par décennie entre 1967 et 2015 dans la région Nouvelle-Aquitaine.
Sécheresse des sols accrue
Les différents scénarios élaborés par l’organisme Drias/Les futurs du climat s’accordent sur une augmentation continue de la sécheresse des sols en France métropolitaine, tout au long du XXIe siècle. Le niveau moyen d’humidité des sols pourrait correspondre au niveau « extrêmement sec » de la période de référence 1961-1990. Ces prévisions présentent cependant des nuances selon les régions considérées, avec une évolution moins forte pour les sols des régions méditerranéennes, qui présentent déjà une sécheresse importante.
Pression phytosanitaire plus importante
La température a un effet direct sur les ravageurs. Les insectes, notamment nécessitent des températures seuils pour se développer. Mais l’humidité est également un facteur essentiel, particulièrement pour les maladies fongiques, ce qui rend difficile l’élaboration de modèles fiables pour prévoir la pression des bioagresseurs. L’apparition récente de Monilia fructicola sur fleurs d’abricotiers dans la Drôme pourrait être liée à l’augmentation des températures moyennes, tout comme l’apparition d’une troisième génération de carpocapse sur pommier.
En pratique
L’Inra et le Gis Fruits préparent un ouvrage collectif sur l’adaptation des productions fruitières aux changements climatiques. Ce projet appelé "FruitAdapt", coordonné par Jean-Michel Legave (Inra Montpellier), implique une trentaine de scientifiques et vise à rassembler et synthétiser les connaissances pour aboutir à des propositions d’adaptation à ces changements. Afin de bien connaître les préoccupations d’ordre climatique au niveau des exploitations fruitières, le Gis Fruits recueille des témoignages de professionnels sur les effets et conséquences du changement climatique, via ce questionnaire de dix questions. Sortie prévue de l’ouvrage en 2020.
L’arboriculture fruitière vulnérable
En raison du caractère pérenne de la plupart des espèces fruitières, l’arboriculture est particulièrement vulnérable face au changement climatique. Depuis le début des années 2000, l’Inra et différents partenaires travaillent sur l’identification des caractères déjà modifiés par les évolutions climatiques. La tendance va ainsi vers plus de précocité de la floraison en Europe occidentale. Ces modifications phénologiques se seraient produites sous forme de rupture et non de façon progressive du début des années 1970 au début des années 2000. Dans le cas du pommier Golden Delicious, les avancées moyennes depuis la fin des années 1980 peuvent être estimées à onze jours en région septentrionale comme c’est le cas en Rhénanie et à huit jours en Anjou. Pour les principales espèces fruitières, plusieurs impacts potentiels ayant des effets sur l’induction florale, la qualité et la durée de la floraison, la fécondation des fleurs chez les variétés non autofertiles, la date de maturité, la durée de croissance et la qualité du fruit, l’émergence de fruits doubles, l’éclatement des fruits mais aussi l’évolution des populations de bioagresseurs, ont été identifiés.