[Guerre en Ukraine] Le marché européen des fruits et légumes risque d’être déséquilibré cet été
Les marchés ukrainien et russe fermés, les flux de fruits et légumes européens doivent se réorienter, risquant embouteillages et concurrence exacerbée sur les marchés extérieurs. Des craintes importantes pour la tomate, marché en crise conjoncturelle depuis quelques temps.
Les marchés ukrainien et russe fermés, les flux de fruits et légumes européens doivent se réorienter, risquant embouteillages et concurrence exacerbée sur les marchés extérieurs. Des craintes importantes pour la tomate, marché en crise conjoncturelle depuis quelques temps.
Depuis le 24 février, date du début des hostilités, la guerre russo-ukrainienne a profondément déstabilisé les marchés agricoles européens. La flambée des cours des céréales et du pétrole sont emblématiques du désordre actuel. Mais qu’en est-il pour les fruits et légumes frais ?
La production davantage concernée que l’export
Les flux commerciaux de fruits et légumes entre la France et l’Ukraine ne sont pas vraiment le sujet. « Ce n’est certainement pas un problème d’export, confirme Daniel Soares, directeur marketing international à Interfel. La France exporte en moyenne 2 000 t de fruits, dont beaucoup de pommes, vers cette destination. » La France est au 7e rang des fournisseurs de l’Ukraine, pays qui importait environ 130 000 à 140 000 t de fruits et légumes par an.
En fait, les effets potentiels de la guerre russo-ukrainienne se situent en amont de la filière, en particulier en matière d’engrais, un des points forts de l’exportation ukrainienne. Mais le pays est aussi fournisseur de paraffine, entrant dans la composition des bougies antigel. Au moment où, dans le Sud-Est, des premières gelées nocturnes, début mars, ont déjà impacté les vergers d’abricots, cela n’est pas sans causer d’appréhension pour la suite. La perspective d’une interruption totale des flux de gaz naturel russes vers l’Europe, entraînant une hausse massive et générale des prix après une inflation l’année dernière, poserait des problèmes aigus aux serristes français.
Un risque d’engorgement du marché européen
En fait, l’inquiétude vient essentiellement de la redirection des flux de fruits et légumes de certains pays européens travaillant jusqu’à présent avec l’Ukraine. « Si l’impact sur nos exportations est minime, il ne faut pas oublier que la Pologne exporte entre 85 000 et 95 000 t de fruits et légumes – pommes et tomates en particulier – vers l’Ukraine, souligne Éric Guasch, président délégué de la commission internationale à Interfel. Il y a un vrai risque d’effet boomerang sur les marchés européens qui se trouveraient engorgés, situation dont on se passerait bien. À cela, il faut aussi ajouter que certains pays fournisseurs de l’Ukraine pourraient nous concurrencer sur certaines destinations, la Turquie ou encore le Maroc sur le Moyen-Orient par exemple. » Pour le président de la commission internationale d’Interfel, un choc frontal entre origines n’est pas à exclure à court terme, mais aussi à moyen terme, fin 2022 et en 2023 selon les variétés.
La pomme de terre aussi concernée
La pomme de terre n’est pas non plus épargnée par la situation. « La guerre risque d’affecter les flux actuels de pommes de terre de conservation vers les pays d’Europe centrale et l’Est, souligne-t-on au CNIPT. L’Ukraine est un grand pays producteur de pommes de terre mais, du fait de sa consommation intérieure importante, il reste un importateur net d’environ 250 000 t chaque année. Ses principaux fournisseurs sont la Pologne, la Lituanie et la Roumanie. La France n’exporte que peu vers l’Ukraine directement, mais envoie des flux importants de pommes de terre vers des pays limitrophes qui réexportent en Ukraine. Les conséquences de la guerre pourraient donc être importantes pour la filière par effet de ricochet. »
Attention à la tomate en juin
« Nous avons de très fortes craintes pour la tomate à partir du mois de juin, s’inquiète Antoine Gricourt, responsable du bureau d’achats fruits et légumes frais d’Auchan. Déjà, sans la présence de la production européenne, le marché s’est installé depuis trois-quatre ans dans une situation de crise conjoncturelle. Si les flux de produits exportés vers l’Ukraine, en particulier venant de Pologne ou de Turquie, se retrouvent sur le marché français, le risque de déstabilisation est majeur.» Le distributeur nordiste continuera de s’approvisionner auprès des producteurs français, même si l’on remarque déjà, çà et là, l’apparition de ces produits redirigés vers le marché français. « Auchan favorise naturellement l’origine France. Cependant, certains magasins nous ont déjà indiqué que certains grossistes proposaient déjà de la tomate turque. La pratique est autorisée, mais c’est à la distribution d’être ferme : la tomate turque ou polonaise n’a pas à être présente dans les linéaires pendant la campagne française. D’autant que les craintes existent pour d’autres produits : asperge, kiwi, poire… », précise Antoine Gricourt.
L'hémisphère Sud dans l’inquiétude
Le marché des fruits et légumes étant mondial, les événements en Ukraine ont aussi un impact de l’autre côté de l’Atlantique. Plusieurs pays exportent vers ce pays et ses voisins. Ainsi, récemment, l’Acorbanec, l’association équatorienne des producteurs et exportateurs de bananes, soulignait que le marché ukrainien étant totalement fermé – soit environ 180 000 cartons par semaine – et la déstabilisation des moyens logistiques en Russie, environ 750 000 cartons de bananes restaient en souffrance pour les opérateurs équatoriens.
La situation a interpellé Shaffe, l’association des exportateurs de fruits frais de l’hémisphère sud, qui s’attend à des conditions de plus en plus difficiles pour maintenir l’approvisionnement des deux marchés. Elle prévoit que cette situation pourrait encore aggraver l’impact négatif de l’augmentation actuelle des coûts de production et de logistique auxquels sont confrontés les exportateurs et les producteurs de l’hémisphère sud. « Les sanctions de certains pays occidentaux contre les banques russes ainsi que les paiements Swift conduiront à ajouter aux risques encourus par les exportateurs », souligne l’association. L’Afrique du Sud étudie actuellement plusieurs possibilités de reroutage de ses volumes d’agrumes.
"Nous avons de très fortes craintes pour la tomate à partir du mois de juin" s’inquiète Antoine Gricourt, responsable du bureau d’achats fruits et légumes frais d’Auchan.