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Consommation
Fruits et légumes : l’urgence d’une éducation alimentaire des enfants à l’école

Les fruits et légumes sont un premier pas vers une alimentation plus saine et plus durable. Il y a urgence à apporter une éducation alimentaire aux enfants, consommateurs de demain. L’école et la cantine semblent être les lieux les plus adéquats pour cela. Programme “Fruits à l’Ecole”, animations durant les repas à la cantine, manifeste pour un retour des cours de cuisine à l’école… FLD s’est intéressé aux nombreuses initiatives mises en place et projets envisagés par les professionnels et la filière alimentaire pour apporter une éducation alimentaire -et non pas seulement nutritionnelle- aux enfants scolarisés.

Le slogan "5 fruits et légumes par jour" est le plus connu et pourtant les jeunes de moins de 35 ans consomment 3 à 4 fois moins que leurs grands-parents et en moyenne bien en deçà des recommandations (400 g/jour selon l’OMS). Le temps de repas pris ensemble à table se réduit, la transmission intrafamiliale et générationnelle des connaissances culinaires et nutritionnelles se perd. « Les enfants ne savent plus ce que c’est, les fruits et légumes. Aux Etats-Unis, une étude a montré une orange aux enfants et ils ne savaient pas la manger car ils ne savaient même pas comment manipuler ce fruit », a expliqué Sandrine Doppler, consultante et fondatrice de l'Effet Doppler (webinaire de Planète Food Santé le 24 février : “Pourquoi et comment consommer plus de fruits et légumes”). Or, les fruits et légumes sont un premier pas vers une alimentation plus saine et plus durable.

Bien manger, c’est un enjeu de santé publique. On estime que 30 Md€ sont dépensées pour soigner les maladies liées à la malbouffe (obésité, diabète…) et que ce chiffre devrait bondir à 100 Md€ en 2030 si rien ne change. Bien manger, « c’est aussi un enjeu de sauvegarde de nos filières françaises de qualité », selon Emmanuel Vasseneix, président-directeur général de LSDH et coprésident d’Open Agrifood . « L’éducation alimentaire, ça n’est pas que manger des fruits et légumes, mais remettre du lien avec les producteurs et avec la terre et les produits », plussoie Laurent Grandin, président d’Interfel. En cela, l’éducation alimentaire est donc un enjeu et un pari sur le long terme. Olivier Dauvers, journaliste et fondateur du Think Tank agroalimentaire des Echos, traduit : « Si on sait ce qu’on achète, on donne plus de sens à son achat. Eveiller les consciences des futurs acheteurs consommateurs permettra de soutenir nos agriculteurs français. C’est donc une convergence d’intérêt. »

« Et merde, la bouffe c’est la vie !, s’enflamme-t-il. Et en ce sens, savoir comment manger est aussi important voire plus que de savoir que 1+1=2 ! » (Mardis de Medfel, table-ronde du 24 mai 2022). Se battre pour une éducation à l’alimentation est tellement une évidence de nombreuses organisations en ont fait leur combat.

 

Le programme Fruits à l’école, une faillite à la française

« L’école est tout à fait légitime pour l’éducation à l’alimentation : elle est promotrice de la santé et de la lutte anti-gaspillage qui sont inscrits dans les programmes, elle doit développer l’esprit critique des enfants (travailler sur les techniques marketing alimentaires par exemple !) et peut venir en complément du rôle des familles car on a vu que la transmission générationnelle a sauté une génération », estime Emilie Orliange, chargée de méthodologie de projet d'éducation à l'alimentation durable (Webinaire Planète Food Santé en partenariat avec FLD - groupe Réussir et TasteBuds “ Comment (ré) apprendre à bien manger -les multiples leviers de l’éducation alimentaire?” le 22 avril 2021).

Des initiatives professionnelles privées individuelles ou collectives existent. Interfel, avec son réseau de diététiciens, opère depuis longtemps avec plus ou moins de succès dans les écoles. Et le programme “Lait et Fruits à l'Ecole” de l'UE consiste en l'octroi d'une aide financière pour la distribution de fruits et légumes, de lait et de certains produits laitiers aux élèves dans les établissements scolaires. Laurent Grandin regrette la « faillite à la française » de ce programme européen, pourtant à l’initiative de la France. Sur les 18 M€ dont la France dispose pour les fruits et légumes (35 M€ en comptant les produits laitiers), seuls 2 à 3 M€ sont réellement utilisés -avec certaines années à peine 500 000 €!. Un manque que l’interprofession attribue à la lourdeur administrative et à la complexité des dossiers à déposer à FranceAgriMer. Ce qui est regrettable quand on pense que ce programme est le premier en termes de budget pour un programme européen dans la Pac : 150 M€ par an pour tous les pays, pour la partie fruits et légumes seulement. « Ce programme dispose de 500 M€ de dotation au total et l’Europe voudrait même aller jusqu’à 1 Md€ ! »

Laurent Grandin reste néanmoins optimiste. « Après dix ans d’échec, une forme de simplification s’est installée, avec un système de forfait moins contraignant. Enfin on commence à développer des choses. Cette année je pense que nous utiliserons 5 à 6 M€ sur les 18 M€ -voire 20 M€- qui sont alloués. Et avec Aprifel qui vient d’être reconnu association d’intérêt public, nous pensons que nous aurons une accréditation automatique pour le retour de l’Agence dans les écoles. »

 

Mobiliser tous les acteurs, y compris ceux de la RHD

Pour Hermine Chombard de Lauwe, déléguée générale du Conseil national de la Résilience alimentaire, manger 5 fruits et légumes par jour ne suffit pas,  « il faut activer tous les leviers et mobiliser tous les acteurs [de la filière alimentaire] ». « La restauration est un acteur clé pour changer les habitudes alimentaires », a appuyé Agnès Epalle, directrice marketing communication chez Alpina Savoie. Dans le cadre d’Egalim (un repas végétarien par semaine à la cantine), le célèbre pastier des Alpes a ainsi lancé une gamme Astucieuses Mix Végétal à destination de la restauration, des pâtes de céréales et légumineuses. « Du deux en un pour les chefs, puisqu’ils ont les féculents et les protéines en un produit, souligne Agnès Epalle. On garde le plaisir des pâtes qui rassurent les enfants, on a la facilité de préparation. Et dans un deuxième temps, nous allons créer des outils pédagogiques pour sensibiliser aux légumineuses à la cantine, pour apprendre à consommer mais aussi à cuisiner nos produits. »

« Education alimentaire et éducation nutritionnelle sont deux choses différentes, approuve Carole Galissant, directrice Transition Alimentaire et Nutrition chez Sodexo. Il s’agit dans l’éducation alimentaire de remettre l’aliment au centre, de voir son histoire, comment il pousse, comment on le transforme », précise-t-elle. Pour elle, c’est sûr, la cantine est le lieu idéal pour découvrir des fruits et des légumes et surtout prendre de bonnes habitudes alimentaires pour le reste de sa vie. « La cantine a son rôle car c’est la répétition de la présentation au quotidien de menus équilibrés qui donne des bases aux enfants. 10 jours, 10 légumes, 10 féculents, 10 protéines… Par mimétisme, l’enfant acquiert les bons réflexes. »

 

Des animations végétales pour Sodexo

Sodexo est très impliqué dans les animations autour des fruits et des légumes et de manière générale autour de la végétalisation de l’assiette. Sodexo fait ainsi faire rimer l’année scolaire avec des animations qui suivent les fêtes calendaires, les thématiques d’alimentation durable (Semaine du Goût, l’anti-gaspi…) et une nouvelle recette autour d’un légume une fois par mois. Les animations s’accompagnent de visuels (Sodexo avait essayé de montrer les légumes bruts avant la dégustation mais cela entraînait trop de gaspillage), d’explications des personnels encadrants (« la verbalisation est le premier acte d’acceptation de l’assiette »), et quand cela est possible, d’intervenants extérieurs (diététiciens, cuisiniers ou producteurs comme Christian Hubert, producteur de légumes secs en Île-de-France), même si « c’est techniquement difficile à mettre en place ».

Sodexo ne propose pas d’animations autour des viandes, « même si elles ont de très belles histoires à raconter », la priorité est donnée au végétal : fruits et légumes, céréales complètes/semi-complètes, légumineuses, car « c’est là où le bât blesse ». Sodexo essaye aussi de remettre au menu des légumes oubliés qu’on ne proposait plus en restauration collective (courges, salsifis…). Parfois malheureusement, le personnel encadrant découvre les fruits et légumes avec ces animations. Et « le plus beau des succès », c’est quand les enfants rapportent cette connaissance à la maison et même parfois demandent à leurs parents de remanger tel aliment ou de refaire tel recette découvert à la cantine. Les fruits, pour être consommés, doivent être prédécoupés. Avoir les bons outils -mettre un découpe-pommes sur la table et accompagner les enfants à l’utilisation- sont des leviers efficaces.

Réfléchir à une alimentation saine et durable c’est aussi la penser en amont, rappelle Carole Galissant. « Est-ce qu’on est capable de prendre toute la production d’un agriculteur, ses jolies pommes comme les plus moches ? Avec la généralisation des compotes et des purées maison à la cantine, cela nous permet de valoriser tous les volumes d’un producteur. » Sodexo est engagé en production avec des filières d’approvisionnement durables et locales.

Maman d’élèves engagée et ingénieur agroalimentaire, Marie-Pierre Membrives a souvent rappelé le manque d’outils dans les cantines. Elle a aussi lancé Cantines Rêvolution, qui entend, avec le soutien de l’Association de l’Alimentation Durable, d’interpeller les pouvoirs publics pour mettre en place les conditions d’une cantine de qualité, partout et pour tous. Premier objectif de Cantines Rêvolution : la création d’un baromètre de satisfaction national et indépendant pour identifier les attentes des parents et des enfants. Le questionnaire devrait être lancé dans les prochains mois, selon Marie-Pierre Membrives lors du débat citoyen d’Open Agrifood au Salon de l’Agriculture le 28 février.

 

Graver dans le marbre le retour des cours de cuisine à l’école

Si bien des initiatives ont été mises en place, à droite, à gauche, par des enseignants impliqués, par la Semaine du Goût…, elles ne sont pas généralisées partout, et pas tous les enfants et adolescents y ont donc accès. Rien de tel, donc, que des programmes scolaires pour graver dans le marbre cette obligation.

Parmi les projets, un “Manifeste pour une éducation à l’alimentation pour tous et partout”, à l’initiative l’Open Agrifood, le Think tank agroalimentaire, l’association du frais alimentaire Acofal (Interfel, CNIPT, Interbev et France Filière Pêche), Euro-toques et les Enfants Cuisinent. L’objectif de ce projet est de (re)mettre l’alimentation au cœur des programme scolaires, avec notamment des cours de cuisine à l’école.

Savoir réaliser les principaux plats et recettes de base de notre alimentation pour être ensuite en capacité de se débrouiller par soi-même avec des produits frais, quelques sauces, une vinaigrette, une béchamel… et apprendre à décoder les informations sur les emballages (liste d’ingrédients, pouvoirs sucrants, origine des ingrédients, impacts sur le produit fini…) : le rêve et l’ambition des rédacteurs et signataires du manifeste. « L’alimentation, ça s’apprend d’abord en cultivant, en faisant, en observant, pas dans les livres. On le voit très bien : les petits spots ne sont pas suffisants, Top Chef et autres émissions n’ont jamais poussé les gens qui ne cuisinaient pas à s’y mettre », estime Florence Dupraz, directrice d’Open Agrifood.

Le Manifeste, qui a déjà été signé par près de 200 organisations professionnelles ainsi que par d’innombrables privés et personnalités publiques, est à retrouver sur le site Internet de l’Open Agrifood. Reste que les programmes scolaires ne sont pas extensibles, entre les matières indispensables (maths, français, histoire-géo), l’ouverture aux arts et à la dépense physique et les nouvelles sensibilisations d’enjeu sur l’éducation sexuelle, le développement durable… Le gouvernement semble réceptif à l’idée, sans pour autant se positionner concrètement. Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a ainsi été présent le 28 février lors du débat citoyen “L’école peut-elle être une solution pour mieux manger ?” , qui a souligné l’urgence d’une éducation alimentaire. Le ministre y a confirmé l’importance, selon lui, d’une « éducation alimentaire à l’école qui soit aussi une éducation à l’agriculture, pour reconnaître les difficultés de l’agriculteur qui est derrière l’aliment ».

 

Un débat citoyen pour que les enfants s’expriment : morceaux choisis. Lors de cette soirée débat citoyen au Salon de l’Agriculture, Open Agrifood a fait venir des enfants de 9 à 12 ans pour témoigner sur leurs besoins, leurs craintes, leurs (mé)connaissances de l’alimentation -saine et durable. Florence Dupraz, directrice d’Open Agrifood, précise : « Pour l’enquête audiovisuelle, nous avons fait un choix très diversifié au niveau social (REP et REP+ : Stains par ex), au niveau géographique (Sète, Orléans, région parisienne…) et au niveau enseignement public/privé ». Petit florilège de ce qui a pu être dit par nos chères têtes blondes : « bien manger, c’est manger des légumes, mais pas que » ; « les carottes râpées ça compte ? » ; « la publicité c’est quand même dérangeant » ; « l’industrie agroalimentaire c’est quand on a des choses pas bien, des colorants, tout ça » ; « bien manger c’est facile quand on a du temps » ; « à la télé on en parle mais pas trop, à part le petit bandeau 5 fruits et légumes » ; « c’est le rôle de l’école [de nous apprendre à bien manger], déjà la cantine nous fait manger plein de légumes » ; « les surgelés c’est plus rapides mais c’est pas bon pour la santé, c’est plein de choses pas bonnes [amalgame surgelés/produits ultra-transformés] ». Dans ces remarques et ces questions, on remarquera, bonne nouvelle, une conscience importante d’une alimentation diversifiée et à base de produits frais, mais aussi la difficulté quant au temps que cela prend, le coût et l’accessibilité surtout. On notera aussi beaucoup d’a priori, d’amalgames et de méconnaissance, énormément d’anxiété et de peur -est-ce le siècle qui veut ça ? - mais aussi l’envie : l’envie de mettre les mains dans la terre et dans les saladiers, pour se reconnecter au vivant et aux produits et surtout le plaisir de cuisiner et de consommer.

 

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