Inflation
Flambée des coûts de l’énergie : en péril, les entreprises de la filière fruits et légumes demandent un bouclier énergétique spécifique
Interfel a réuni la presse ce jeudi 22 septembre afin que les professionnels témoignent de l’impact de la hausse des coûts de l’électricité et du gaz sur leurs productions et leur entreprise. Un « dossier collectif » a été déposé pour demander aux pouvoirs publics des aides adaptées au secteur.
Interfel a réuni la presse ce jeudi 22 septembre afin que les professionnels témoignent de l’impact de la hausse des coûts de l’électricité et du gaz sur leurs productions et leur entreprise. Un « dossier collectif » a été déposé pour demander aux pouvoirs publics des aides adaptées au secteur.
« Lors du Covid, mes salariés ont tenu, on a nourri les Français pendant deux ans. Aujourd’hui, nous sommes dans une très mauvaise posture et on nous demande d’assumer seuls, d’impacter nos prix sur les consommateurs, mais c’est impossible ! C’est la crise de trop. » C’est quasiment en larmes que Philippe Brehon, producteur d’endives, a témoigné devant la presse de la dure réalité de la flambée des coûts de l’énergie, ce jeudi 22 septembre.
C’est pour faire état des « risques et de la détresse » des entreprises de la filière fruits et légumes et témoigner de la « situation d’urgence, conjoncturelle et structurelle, en matière d’énergie » que l’interprofession Interfel et son président Laurent Grandin ont tenu cette visioconférence.
Production, chauffage pour la protection et l’étalement du calendrier, stockage en chambre froide, mûrissage… L’énergie en particulier l’électricité intervient de manière indispensable à tous les stades. Interfel estime qu’un quart des entreprises arrive en fin de contrat d’électricité et doit les renégocier avant la fin de l’année. On parle de hausse de prix passant de 50 € le MWh à 200 €, voire même des propositions de contrat jusqu’à 700-800 € le MWh !
« Nous sommes dans une filière de produits périssables, on ne peut pas se permettre six mois de chômage partiel ou des coupures d’électricité. Il en va de la survie d’un certain nombre de nos entreprises : entre un quart et un tiers de nos exploitations sont en risque de disparaître ! » La filière représente, selon les chiffres de l’interprofession, 75 000 entreprises et 450 000 emplois, en plus d’être un enjeu de santé publique (manger 5 fruits et légumes par jour) et dans la volonté de souveraineté alimentaire.
« On est très inquiets pour cet automne, et l’ensemble de nos coûts, pas que ceux de l’énergie, ont flambé. A ceci s’ajoute la problématique du pouvoir d’achats des consommateurs qui ne pourront pas absorber une répercussion sur les prix », souligne Laurent Grandin.
Un bouclier énergétique au-delà de ce que pourra assumer la filière
Interfel et les familles qui la composent ont ainsi déposé auprès des pouvoirs publics un dossier collectif composé de témoignages concrets et chiffrés, métier par métier et produit par produit, quant à l’impact de la hausse des coûts de l’énergie et des enjeux directs et indirects. Il comprend aussi les demandes de la filière : un accord-cadre pour la filière des produits périssables et les engagements de la filière. « On a fait des demandes très raisonnables », estime le président d’Interfel.
La principale demande : un bouclier énergétique calibré pour le secteur. La filière s’engage dans ce dossier collectif à assumer jusqu’à un doublement du coût de l’électricité, et demande au-delà des aides d’Etat à hauteur de 70 %. Si le secteur s’inscrit dans les plans de sobriété, « là où il peut », il demande aussi à être exonérée des coupures d’énergie prévues pour cet hiver. « On peut difficilement demander plus sachant que les consommateurs vont subir des hausses de factures de +15 % », regrette, pragmatique, Laurent Grandin.
« Bon espoir » de voir les demandes aboutir
La filière n’a pas encore eu de retour du gouvernement mais à ce stade, cela paraît favorable, selon Laurent Grandin. « Le ministre de l’Agriculture s’est engagé en personne et il a l’air décidé, je pense qu’il fera le maximum pour qu’on aboutisse à ces solutions. »
Les hausses des prix de l’énergie étant attendus à se poursuivre ces prochaines années, les mesures envisagées qui couvrent la campagne 2022-2023 incluent des clauses de revoyure année après année pour s’adapter.
Témoignages poignants et chiffrés concrètement
Certains des témoignages contenus dans le dossier collectif ont été rapporté à la presse directement par les producteurs et opérateurs. Les voici, filière par filière :
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Endive : « des aides d’Etat totalement inadaptées »
FLD avait, dans un long reportage-photo au printemps, expliqué les étapes de production de l’endive et démontré ainsi pourquoi elle coûtait aujourd’hui si cher à produire.
Philippe Brehon, producteur d’endives, a rappelé à la presse ces étapes et l’enjeu économique de l’endive. A 95 % produite dans les Hauts-de-France, l’endive est un légume 100 % origine France et le quatrième le plus consommé des Français. Elle représente 150 000 t produites en France et 450 producteurs français.
« Nous avons déjà subi des “belles” hausses lors de la dernière renégociation et nous avons donc renégocié pour un an au lieu de trois. Ma facture d’électricité était de 21 000 € pour 2021, elle sera de 210 000 € après intervention de l’Etat (290 000 € sinon). Et selon les propositions d’EDF d’il y a 3 semaines, je monterai à 800 000 € en 2023. Hier ils m’ont proposé 700 000 € si je m’engage pour 3 ans, sinon c’est plus de 1 M€ !!! La part de l’électricité dans mes coûts est passée de 3 % à 10 % et va dépasser les 30 % ! »
Pourtant les endiviers n’ont pas attendu les hausses de l’électricité pour investir : pompes à chaleur pour dégivrer à l’eau chaude, etc. Philippe Brehon a acheté en prévision des coupures un groupe électrogène qu’il devrait recevoir en décembre pour continuer à faire tourner son endiverie et faire travailler ses salariés.
En parallèle, il constate des « aides de l’Etat complètement inadaptées ». Le dispositif d’aides gaz et électricité a été mis en place pour les industries et les fruits et légumes rentrent difficilement dans les critères. Et quand ils y rentrent, « l’aide reçue correspond in fine à ce que je dois verser à mon comptable pour établir le dossier », témoigne le producteur d’endives.
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Pomme : « En instantané il n’y a pas de répercussion, puisque c’est le marché qui fait le prix »
Alors que les récoltes sont en cours, l’ANPP estime qu’un quart des exploitations devront renouveler leur contrat d’électricité d’ici la fin de l’année. Daniel Sauvaitre, pomiculteur et président de l’ANPP, s’alarme : « On parle de hausses faramineuses, des prix passant de 50-80 € MWh à des propositions de 500 € MWh ! Certains producteurs, sous la panique, ont accepté 800 € MWh !! Or le prix de vente ne tient pas compte du prix de revient, en instantané il n’y a pas de répercussion, puisque c’est le marché qui fait le prix. »
Eric Guasch, expéditeur, confirme : « Avec des ratios de hausses de 1 à 10 totalement insupportables, on ne peut plus faire face car nos entreprises produisent des produits à faible valeur ajoutée. La dépendance agroalimentaire de la France va s’accentuer si les pouvoirs publics n’interviennent pas fortement auprès de tous les maillons de la filière. »
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Serre : risque de disparition de la filière « sous deux ans »
Jacques Rouchaussé, président de Légumes de France, a témoigné pour les serristes. Double peine pour eux, touchés par les hausses dans l’électricité mais aussi le gaz. L’énergie est le premier poste à charge des producteurs en serre verre et les hausses dans les propositions de contrat sont faramineuses. Jacques Rouchaussé donne l’exemple d’un de ses producteurs qui arrive en octobre à la fin de son contrat : d’une facture d’électricité à 40 000 €/ an (49 € le MWh), il devrait passer, avec la proposition du nouveau contrat de son fournisseur d’énergie à 30 fois plus (1 500 € le MWh) soit une facture de plus de 1,23 M€ ! Ce producteur va donc arrêter sa production…
« Si on réduit la chaleur dans les serres, on modifie l’équilibre de croissance des plantes. On propose des reports de plantation, mais ça implique une baisse des volumes produits. Quand on sait que seul un fruit et légume sur deux est produit en France, dans un enjeu de souveraineté alimentaire… Il faut que le gouvernement prenne sa part, sinon la filière serre française va disparaître sous deux ans. » Les productions sous serre représentent 80 % de la production de tomate, 95 % en concombre, 60 % en fraise.
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Banane : nécessite de faire mûrir ce fruit, le plus accessible en prix aux familles modestes
Philippe Pons, importateur et mûrisseur et président de l’interprofession banane AIB, témoigne : « Le mûrissage, c’est un processus en continu qui ne tolère pas une coupure d’électricité. Une coupure de plus de 2h serait tragique. » Il rappelle que les entreprises de mûrissage travaillent avec « des marges très faibles » et qu’à l’électricité il faut ajouter les autres coûts : le transport, les emballages avec l’impact de la loi AGEC… D’autres filières que la banane nécessitent-elles aussi de faire du mûrissage : avocat, mangue, poire, kiwi…
La disparition des bananes du rayon serait dramatique, dans la mesure où elle est le deuxième fruit le plus consommé (17 % des volumes de fruits et légumes) et l’un des moins chers avec un prix d’accès moyen à 1,70 €/kg, donc très accessible pour les foyers modestes.
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Import agrumes et tropicaux : face aux coûts maritimes, limiter l’offre pour limiter les risques
Alain Kritchmar, importateur et représentant de la CSIF, s’est permis d’ajouter un témoignage pour le secteur du grand import et importation des DOM. « L’import sera aussi impacté : nos coûts de transport sur les longues distances ont doublé, avec des coûts maritimes passant de 3 000 – 4 000 € à 8 000 – 10 000 €. Pour être absorber, ces coûts devront automatiquement être appliqués sur nos prix de ventes : on va vers une limitation de l’offre pour éviter les risques. »
Et comme le rappelle Laurent Grandin, cette offre concerne principalement les tropicaux et agrumes qui viennent compléter et diversifier l’offre française de fruits et légumes.
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Distribution : le rôle-clé des grossistes pour nourrir les plus modestes
Conservation en frigo, gasoil pour les livraisons, des stocks de 2 à 2,5 jours de fruits et légumes frais qui ne peuvent souffrir des coupures d’électricité en termes de fraîcheur et de qualité, et des gammes, certes minoritaires, de produits élaborés dont une rupture de la chaîne du froid implique de jeter les produits (sécurité sanitaire)… Benoit Gilles, grossiste et président du Comité Interfel Centre-Val de Loire, a témoigné des contraintes avec lesquelles les grossistes aussi doivent jouer.
« Nous servons la restauration commerciale et collective, les revendeurs détaillants et GMS aussi… Nous avons aussi un rôle social méconnu : les cantines scolaires sont parfois le seul moment où faire un repas complet pour les plus modestes. Rappelons aussi le rôle clé de l’alimentation à l’hôpital. »
Des hausses de prix consommateurs limités cet été
Laurent Grandin en a profité pour préciser que malgré le contexte météorologique qui a affecté la consommation et la production, les volumes et les niveaux d’activité cet été ont été « satisfaisants » et supérieurs à ceux de l’année dernière à même période, et que contrairement à ce qui avait pu être relayé dans la “grande” presse, à fin juin les prix des fruits et légumes ont été équivalents ceux de l’année dernière et que juillet-août avaient vu une « légère inflation, de l’ordre de 2 % » mais qu’avec les « arbitrages des consommateurs entre toutes les espèces que nous proposons », le panel Kantar devrait conclure à une inflation des prix fruits et légumes à 0 %.