Dossier Fraise : installer la faune auxiliaire
Membre d’un groupe DEPHY, Nathalie Puech utilise la protection biologique intégrée et favorise le développement de la faune auxiliaire présente naturellement autour des serres abris.
Membre d’un groupe DEPHY, Nathalie Puech utilise la protection biologique intégrée et favorise le développement de la faune auxiliaire présente naturellement autour des serres abris.
Nathalie Puech, fraisicultrice à Vergt en Dordogne fait partie de la première heure du groupe DEPHY ferme animé par Sylvie Valbuzzi, technicienne de la Chambre d’agriculture de Dordogne (voir témoignage). Pour autant, la protection biologique intégrée (PBI) et l’utilisation des insectes auxiliaires n’étaient pas étrangères à cette productrice dynamique puisque son père Alphonse Puech avait déjà réalisé des essais de lutte biologique contre le thrips de fraisier dans les années 1990. « La baisse d’efficacité des produits phytosanitaires sur le thrips nous a amenés à s’intéresser à la lutte biologique. On savait qu’il fallait aller dans ce sens », témoigne-t-elle. Depuis, l’intérêt n’a pas faibli et s’est même accentué. Aujourd’hui, Nathalie Puech conduit ses cinq hectares de tunnel hors-sol en protection biologique intégrée.
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La fraise entre dans le système
Un environnement favorable aux auxiliaires
La PBI mieux connue et plus utilisée
« A partir de 2001, nous sommes progressivement passés à cette technique de culture au fur et à mesure que les moyens de désinfection du sol ont disparu », mentionne la productrice. Ainsi, sous les tunnels 5 m plastique, les trois buttes de fraisier en sol ont progressivement été remplacées par deux rangs de support de culture sur des piquets. La configuration vallonnée des parcelles et la longueur des rangs, 70 m, obligent à une bonne rétention en eau et ont orienté le choix du substrat vers des sacs 100 % tourbe. Nathalie Puech qui ne produit que des fraises remontantes avec des variétés comme Charlotte, Mara des bois et Murano, à partir de plantation de tray en janvier, ne vise pas le créneau précoce. Sa saison de récolte débute mi-avril jusqu’aux grosses gelées de fin octobre. La productrice est principalement confrontée aux attaques de thrips en début de production puis à celles de Drosophila suzukii au cours de l’été et de l’automne. La protection biologique consiste donc à installer Amblyseius cucumeris et Amblyseius swirkii à l’apparition des premiers thrips. La présence et le développement de ces acariens prédateurs auxiliaires permettent de maîtriser le ravageur. Toutefois, les conditions climatiques (trop) favorables peuvent entraîner des difficultés de maîtriser des populations en juin. « Nous utilisons alors des produits compatibles avec la PBI, qui ont un effet limité sur les auxiliaires si ceux-ci sont bien installés et permettent une maîtrise efficace des populations de thrips », témoigne la fraisicultrice.
Aucun apport d’auxiliaires
Des lâchers d’auxiliaires contre les pucerons et les acariens sont effectués avec moins de succès. En revanche, elle compte sur une faune auxiliaire autochtone très présente autour, puis dans ses tunnels. En effet, les abris entourés de vergers de noyers et de châtaigniers bénéficient d’un environnement très favorable à la biodiversité avec notamment des syrphes et de chrysopes en abondance. Vu le peu de traitement réalisé, ceux-ci n’hésitent pas à s’installer et se développer dans les fraisiers si les populations de pucerons augmentent. « On observe également de nombreuses momies, preuves de la présence d’auxiliaires parasitoïdes de pucerons, sans jamais avoir effectué de lâcher », mentionne Sylvie Valbuzzi. « Certaines parcelles proches des châtaigniers ne reçoivent aucun apport d’auxiliaires. La maîtrise des ravageurs s’y fait naturellement », assure la productrice. Toutefois à partir de fin juin, la pression et les dégâts engendrés par Drosophila suzukii nécessitent des interventions chimiques pour réduire les populations. En effet, malgré les précautions prophylactiques suivies à la lettre (ramassage et élimination de tous les fruits, raccourcissement du rythme de récolte…), ce ravageur cause des pertes importantes avec des arrêts de récolte prématurée.
Acclimater et installer l’auxiliaire
Toutefois, à l’exemple de la lutte par acclimatation menée avec Torymus contre le cynips dans ses châtaigneraies qui commence à donner des résultats, Nathalie Puech a réalisé en 2019 des lâchers de Trichopria drosophilae dans les bosquets et les haies qui entourent des tunnels de fraise. Trichopria est un parasitoïde, qui pond ses œufs dans les pupes de drosophiles dont Drosophila suzukii. L’objectif est d’acclimater et d’installer l’auxiliaire durablement dans l’environnement (voir encadré). « Nous avons attendu trois à cinq ans pour voir les premiers effets positifs de la présence de Torimus dans la châtaigneraie, nous nous donnons le même délai pour juger de l’intérêt de la stratégie avec Trichopria », espère Nathalie Puech. La présence endémique de Trichopria pourrait permettre de limiter les pics d’infestation du ravageur, facteur limitant de la production de fraises remontantes dans le Périgord.
Lutte biologique augmentative
Trichopria drosophilae est une « micro-guêpe » déjà présente en Europe qui fait partie des parasitoïdes indigènes de Drosophila suzukii. Ce parasitoïde cherche et pond dans les pupes de la drosophile pour se multiplier. Mais ses populations naturelles, surtout présentes en automne, sont trop faibles pour réguler la drosophile en début de saison, lui permettant ainsi de pulluler. Il est donc intéressant de lâcher cet insecte, à un moment où les drosophiles sont encore en faible nombre dans l’environnement pour augmenter artificiellement son efficacité : c’est le principe de la lutte biologique augmentative (ou inondative).
Avis d'expert : Sylvie Valbuzzi, Chambre d’agriculture de Dordogne
« Le groupe DEPHY fraises sur substrat Nouvelle-Aquitaine est composé, depuis 2012, de douze exploitations, huit en Dordogne et quatre en Lot-et-Garonne. Depuis le départ, le groupe est engagé dans la diminution des intrants phytosanitaires en utilisant la faune auxiliaire. Il est nécessaire d’identifier les facteurs favorables et défavorables à son installation pour sécuriser les stratégies qui intègrent les auxiliaires. Tout n’est pas acquis et reproductible dans les stratégies mises en place. Les thématiques du projet visent également à favoriser la biodiversité (plantes de services, enherbement, nichoirs) et améliorer la pulvérisation. Le groupe a un objectif de baisse de -24 % de l’IFT moyen sur cinq ans, avec dans certaines situations une réduction de plus de 50 %. »