Législation
Contractualisation : la filière n’est pas prête pour le 1er mars
L’obligation de contractualiser l’achat des fruits et légumes est donc fixée au 1er mars. Plus cette date approche, plus les craintes se font jour. A tel point que le report de cette date est demandé. Tour d’horizon, non exhaustif, mais instructif.
Gilles Vignaud, président d’Interfel
Les membres d’Interfel se placent, naturellement, sous l’autorité de la loi. La loi prévoit un ordre de préséance qui subordonne, en quelque sorte, le décret à l’accord interprofessionnel : nous prenons acte et prévoyons donc que, si nous nous mettons d’accord sur un ou des accords interprofessionnels sur l’enjeu de la contractualisation, ils auront vocation à se substituer, au moins pour partie, au décret qui entrera sous peu en vigueur. Je confirme donc que l’interprofession s’est saisie de cet enjeu, la totalité de ses membres ayant jugé qu’il devait faire l’objet d’un travail interprofessionnel. Au point où nous en sommes, ce travail va consister à catégoriser les produits et les thèmes. La promotion hors lieu de vente, la préparation des campagnes, le débouché des producteurs sur carreau, sont des thèmes par lesquels l’enjeu de la contractualisation peut être approché ; mais cet enjeu ne peut pas sérieusement être approché de la même manière pour des produits très saisonniers et périssables, des produits stockables présents toute l’année, ou des produits caractérisés par d’autres spécificités.
Bruno Dupont, président de la FNPF
La contractualisation est mal perçue par certains producteurs. Il faut donc l’expliquer. Elle n’est pas en contradiction avec la loi du commerce. Cela nous engage en déterminant les volumes et en effectuant un planning. Un contrat type devra être effectué pour chaque espèce avec une certaine souplesse. S’il manque des volumes, c’est au fournisseur et non à la GMS d’aller chercher le complément là où il se trouve, y compris à l’importation si nécessaire. Mais la contractualisation ne doit pas entraîner de dérives. S’il n’y a pas d’accord d’ici le 1er mars, nous aurons échoué et le décret s’appliquera. J’espère qu’on y arrivera : cela va sauver la filière en améliorant les revenus. La contractualisation va peut-être permettre de fédérer les producteurs.
Jérôme Bédier, président de la FCD
Ce décret ne nous convient pas. C’est une décision prise par l’Etat, sans que l’interprofession puisse avoir le temps de donner sa décision. Trois ans, ce n’est absolument pas raisonnable. L’Autorité de la concurrence a rendu un avis dans le même sens. On a proposé une contractualisation sur une période d’un an. Après, il est possible que dans certains cas ce soit faisable sur trois ans, mais de manière générale la campagne f&l, c’est une durée d’un an. S’il y a une obligation de manière formelle, effectivement, cela ne va pas faciliter le circuit court. Il faut rappeler qu’en volume, le premier acteur du circuit court, c’est la grande distribution ! On passe beaucoup d’accords circuit court. Et sur ce thème, il faut être prudent, et rappeler que des régions agricoles sont spécialisées sur certaines productions. Il faut certes privilégier le circuit court, mais sans angélisme. Nous demandons donc une modification du décret.
Jean-François Jacob, secrétaire général de la Sica St Pol
Concernant la contractualisation, il n’y a rien de nouveau. Il faut rappeler que la Sica St Pol utilise la contractualisation depuis les années 60 ! En revanche, concernant ce décret, il s’agit d’un outil parmi d’autres. Mais la contractualisation n’occulte pas les problèmes de compétitivité. Or, ce qui est important, c’est que les producteurs sont organisés, qu’ils gardent leur liberté d’entreprendre et qu’ils soient compétitifs sur un marché qui n’est pas que français, mais européen voire mondial. La contractualisation comme elle est énoncée n’est donc pas la solution, on vend de l’illusion aux producteurs en leur faisant croire qu’ils auront une garantie de revenus. Si on va trop loin dans la contractualisation, il y a un risque que ce soit le marché à terme qui pilote la vente de nos produits et non plus le marché du jour. Dans ce cas-là, ce ne seront plus les vendeurs qui piloteront le marché mais les acheteurs. On serait plutôt pour une contractualisation partielle. Du point de vue du droit, il y a aussi le risque que ce décret soit contesté par Bruxelles.
Philippe Pons, président de la CSIF
Nous sommes surpris par l’avis de l’Autorité de la concurrence qui estime que le recours à l’importation peut-être un moyen de contourner l’obligation de contractualiser. La contractualisation concerne tous les f&l livrés en France, y compris importés. C’est ce que l’administration, que nous avons interrogée, nous a jusqu’à présent confirmé. Si cet avis indique un changement de position, ce serait une nouveauté. Sur le fond, et nous avons communiqué notre position à l’Autorité de la concurrence, nous sommes favorables à la contractualisation, en tenant compte des spécificités de nos métiers. Opérant sur des produits provenant de longues distances, avec des fournisseurs qui eux-mêmes arbitrent leur commercialisation entre différents marchés, il est stratégique de sécuriser notre approvisionnement. Des partenariats existent déjà afin de garantir des relations durables, dont des contrats pouvant couvrir plusieurs années. Il y a un risque pour les importateurs, comme pour tous les opérateurs situés en France, de se voir imposer des obligations qui ne s’imposeront pas aux concurrents situés hors de l’Hexagone. Les flux risquent de se détourner vers ces entreprises, ce qui pénaliserait aussi les ports français, et les opérateurs logistiques qui y sont basés.
Jean-Louis Ogier, président de la section f&l de la Coordination Rurale
Dès les débats relatifs à la LMA, la CR s’est positionnée contre la contractualisation obligatoire et ses dangers. Danger pour les producteurs : comment feront-ils pour prévoir la quantité et la qualité de la marchandise sur les trois années à venir ? Il est totalement impossible de prévoir à l’avance le calibrage des pommes ou la sucrosité des melons. Les marges de sécurité des contrats devront être tellement importantes pour couvrir les producteurs que les contrats ne signifieront plus rien. Danger à l’égard des marchés physiques : la période de trois ans nie leurs réalités et menace de tuer les métiers qui fonctionnent en direct avec les producteurs. Près de 25 % de la production de f&l s’échange en dehors des circuits des centrales d’achat et de la grande distribution : c’est donc un producteur sur quatre qui est menacé par la contractualisation et sa logique de programmation. La CR a demandé au ministre d’exclure du champ d’application de la contractualisation les marchés physiques, que ce soit pour les f&l ou pour les autres produits de l’agriculture.
Bernard Piton, président de l’UNCGFL
Notre fédération n’est pas opposée au développement de la contractualisation ; le contrat est source de différenciation durable. Mais il y a deux pierres d’achoppement dans le décret. La première, c’est pour beaucoup de nos PME l’obligation de montage “d’usines à gaz” administratives qui déboucheront soit vers des “avatars” de procédure, soit vers la “clandestinité” ; il faut continuer le business quotidien : nos produits et nos salariés n’attendent pas. Le deuxième est d’ordre plus stratégique. Le décret entrave les fondements de l’économie de marché pour orienter la filière dans une économie de programmation. Si c’est la pression du marché qui gagne, on observera une bonne partie de la filière dans la combine ou l’illégalité. Si c’est la programmation qui gagne, le marché de gré à gré s’effacera au profit d’une offre plus standardisée. Quel modèle de société va l’emporter ?
Daniel Corbel, président de l’Aneefel
Le décret relatif à la contractualisation impose aux acheteurs que nous sommes de nouvelles obligations et place la profession d’expéditeur dans une situation d’extrême complexité et incertitude. Ceci se complique d’autant plus que s’appliquent dans le même temps les autres dispositions de la LMA qui modifient les relations commerciales dans la filière, aggravant encore le désarroi des professionnels.
Angélique Delahaye, présidente de Légumes de France
Les nouvelles dispositions en matière de contractualisation sont potentiellement discriminantes et pourraient entraîner l’émergence de distorsions de concurrence entre catégories de producteurs ou d’opérateurs de la filière, notamment en fonction de leur mode de mise en marché. Les acheteurs risquent de se tourner préférentiellement vers un fournisseur avec qui ils n’auront pas d’obligation de contrat, ceci qu’on soit sur un carreau de producteur ou non. Les producteurs qui travaillent en circuit court doivent cependant pouvoir valoriser leur spécificité et formaliser leur relation avec leurs clients en GMS. Les relations commerciales de faible volume sont en revanche plus problématiques. Par ailleurs, les professionnels de la restauration ne semblent pas concernés par l’obligation de contrat qui ne concernerait que les opérateurs qui revendent les f&l en l’état. Cette interprétation reste à confirmer.