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IVe gamme
« Au bord du gouffre », la salade en sachet veut son interprofession

La filière de la salade en sachet a dénoncé les difficultés auxquelles elle fait face, en particulier depuis la crise, lors d’un voyage de presse inédit début juin. Appelant les distributeurs à revaloriser ses produits, le Syndicat des Fabricants des Végétaux Prêts à l’Emploi a aussi confié participer à des travaux pour la mise en place d’une vraie interprofession d’ici quelques mois.

 

Difficultés de recrutement au champ et en usine, flambée des coûts, revalorisation insuffisante par les distributeurs... La filière de la salade en sachet se dit « au bord du gouffre ».
© Julia Commandeur - FLD

Ce devait être un voyage de presse ludique et décontracté, afin de faire découvrir aux médias les spécificités de la salade en sachet, « les métiers, nos savoir-faire, nos producteurs ». Prévu depuis longtemps, ce premier voyage de presse, initiation à une prise de parole plus large, a été repoussé par le Covid. Depuis, le contexte économique a changé. Et c’est un cri d’alarme que le SVFPE (syndicat des fabricants de produits végétaux prêts à l’emploi) a poussé les 8 et 9 juin lors de ce fameux premier voyage de presse en Provence. Les fabricants de salade IVe gamme ont témoigné de la « situation économique difficile » et de « la forte inquiétude de la situation et de l’avenir de nos entreprises, nos salariés et nos producteurs », selon Pierre Méliet, président du SVFPE et directeur général de Florette France.

« Déjà fragile », les dangers qui pèsent sur la filière se sont aggravées : le cycle inflationniste « qu’on voyait venir » a été accéléré par la sortie du Covid et par la guerre en Ukraine : hausse des coûts agricoles et industriels (par exemple, à date, +300 % sur le prix des engrais), aléas climatiques de plus en plus fréquents et importants et qui induisent des surcoûts (perte de récolte, destruction de matériel, charges fixes à amortir). La main d’œuvre, en termes de coût (hausse des salaires) et disponibilité, est en outre extrêmement problématique.

 

Une petite filière pas entendue, des acheteurs « jamais disponibles »

« Il est important que nos clients distributeurs comprennent nos difficultés, ce qui n’est pas le cas. Nos marques [les quatre entreprises du syndicat sont Bonduelle, Florette, Les Crudettes et Rosée des Champs, NDLR] sont connues oui, mais nous ne sommes pas de gros industriels qui pèsent dans les discussions », dénonce Pierre Méliet. Le SFVPE dénonce une revalorisation des prix qui n’est pas suffisante, « pas à la hauteur des enjeux de la filière, pas que pour nous mais aussi pour nos producteurs ». Sans vouloir donner de chiffres, les opérateurs parlent « d’un rapport de 1 à 3 minimum par rapport à la revalorisation nécessaire. »

« On n’a passé qu’un tiers à la moitié de ce dont on avait besoin, estime Dominique Duprat, vice-président du SVFPE et directeur général du pôle végétal de LSDH (Les Crudettes). Le lait a réussi à se faire entendre, puis le porc et désormais ça commence avec le bœuf. Mais on ne parle jamais des fruits et légumes, on est trop petits. On est au bord du gouffre. Egalim 2 autorise à une réouverture des négociations vis-à-vis des hausses sur la matière première agricole -quid des autres hausses de coûts ?- mais bizarrement les acheteurs sollicités ne sont jamais disponibles. »

 

Salade en sachet : une problématique de main-d’œuvre

La salade, avec ses 95 % d’eau, est un produit extrêmement fragile. C’est donc « un vrai travail d’orfèvre » de faire de la salade IVe gamme, selon les termes des professionnels, avec une majorité du travail qui est manuel, à la fois au champ et dans l’usine. Or la filière souffre d’une perte de main d’œuvre : désintéressement et manque d’attractivité des métiers (pénibilité), perte de savoir-faire depuis quelques temps. Salaires au-dessus du Smic, mise en place de services (logement, transport) pour les saisonniers… Rien n’y fait, les travailleurs français ne veulent pas travailler dans ces filières difficiles. Raphaël Néa, chef de production de l’exploitation Reveny, témoigne : « La main d’œuvre est notre principale poste de dépense, 40 à 60 % selon les espèces. 1 ha de salades, c’est environ 1 ETP. Nous embauchons jusqu’à 250 personnes en pleine saison. Mais les conditions de travail sont compliquées : vent, chaleur, pluie, postures de travail… Nous embauchons de la main d’œuvre étrangère, nous les logeons, nous organisons la récupération chaque jour, et sur un salaire de 1 200 à 1 500 €, 80 % est envoyé dans le pays d’origine et permet de faire vivre 5 à 6 familles. Nous avons une réelle problématique à trouver de la main d’œuvre et une difficulté à rémunérer à hauteur du travail, car nos produits ne sont pas valorisés ».

 

 

Une filière déjà déséquilibrée par les difficultés sur l’amont agricole

L’équilibre économique des producteurs est donc mis à mal. « C’est une crise grave : sur 360 maraîchers, nous en avons perdu 10 % en deux ans : arrêt de l’activité ou bien bascule sur d’autres productions comme le blé, plus rémunératrices [on parle de 450 €/t sur le blé], dénonce Pierre Méliet. Il y a une réelle problématique de valorisation de la chaîne, qui existait déjà mais qui s’est aggravée avec la crise. » Or sans producteur de salade pour la IVe gamme, pas de produits finis. « On a besoin de partenaires agricoles qui connaissent nos métiers et exigences et vice-versa. » Et cette filière de la salade en sachet représente plus de 1 000 collaborateurs agricoles et 3 500 en usine, soit plus de 4 500 emplois directs. « Dans cinq ans aurons-nous encore des maraîchers français pour nous proposer des salades prêtes à l’emploi ? », s’alarme le président du Syndicat.

L’indice Ipampa de l’Insee (indice des prix d'achat des moyens de production agricole) est passé, pour cette période de l’année, de 100 en 2021 à 140 cette année, alors qu’il était relativement stable auparavant. Et on ne parle là que de la partie agricole.

A l’exploitation Reveny, on estime la hausse du coût à produire entre +7 et +15 %, à date, car les « hausses se poursuivent tous les jours, en engrais, en énergie… » Raphaël Néa poursuit : « On perd de l’argent sur ce qu’on produit car les prix ont été négociés en décembre, avant les hausses de gasoil. On perd 2 à 3 centimes par kilo de salade produit. Les engrais ont pris entre 300 et 600 %, les semenciers ont fait passer des hausses de 5 à 8 %, avec la hausse de l’acier les machines que l’on achètera seront 40 % sur plus chères… On demande aux clients finaux des hausses de 3 à 8 centimes sur le sachet, ce n’est pas grand-chose. »

 

Prix de revient d’une salade en sachet. Selon le SFVPE, la matière première et la main d’œuvre représente 65 % du prix de revient d’un sachet de salade, du fait de la fragilité du produit qui demande beaucoup de manutention tout au long du processus de fabrication. Dans le détail, la salade (matière première) compte pour 45 % du prix de revient, la main d’œuvre directe 20 %, les frais fixes 15 %, l’emballage 10 % et le transport 10 %.

 

 

Vers une interprofession des salades IVe gamme ?

Face à toutes ces difficultés et au désir de se faire entendre, les opérateurs amont et aval de la IVe gamme souhaitent s’organiser très rapidement en interprofession. Une démarche envisagée et initiée « avant même Egalim ». Pierre Méliet confirme : « Côté transformateurs, nous sommes déjà bien organisés et représentatifs avec le SFVPE [lire ci-dessous]. C’est au tour des producteurs de s’organiser. Mais le projet d’interprofession est bien avancé, il devrait aboutir avant le début d’année. »

« Cette interprofession reflète notre volonté commune de fédérer et de trouver une valorisation à nos produits », témoigne Dominique Duprat. Et les missions de cette future interprofession ? « Nous y travaillons actuellement à les définir, pour avoir un projet simple et clair, glisse Dominique Duprat. L’interprofession aura pour grand objectif de pérenniser puis développer la filière de la salade IVe gamme, en France, pour avoir des maraîchers, des transformateurs et des consommateurs en France de salade en sachet origine France. »

 

Une filière déjà organisée côté industriels

Créé en 1986 (début de la salade IVe gamme en 1984), le SVFPE (syndicat des fabricants de produits végétaux prêts à l’emploi) représente les fabricants de salades (l’essentiel des produits) et des légumes et fruits IVe gamme. Le SVFPE affiche 110 000 t de salades mises en sachet, 90 % des volumes et 95 % du chiffre d’affaires du secteur avec 4 entreprises/marques GMS et RHD : Florette, Les Crudettes (LSDH), Bonduelle Fresh France et Rosée des Champs.

Un Guide des Bonnes Pratiques Hygiéniques a été mis en place en 1983 par les professionnels de la filière pour permettre aux différentes entreprises de s’appuyer sur un socle commun de procédures pour fournir des salades en sachet d’une qualité sanitaire irréprochable. Conçu par et pour les professionnels, il a été évalué par l'Anses et validé par les ministères chargés de l'alimentation (DGAL), la santé (DGS) et la consommation (DGCCRF) et a fait l’objet d’une mise à jour (publication en 2018 au Journal Officiel).

« Nous sommes peu d’acteurs en effet, confirme Pierre Méliet. De 80 opérateurs dans les années 90, nous nous sommes professionnalisés. On a tous démarré tout petit. Mais même si aujourd’hui nous sommes connus et reconnus, nous ne sommes pas de gros industriels comme Coca Cola et nous avons du mal à nous faire entendre et faire entendre nos difficultés dans les négociations annuelles avec nos clients distributeurs ».

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