Décapitalisation : une baisse du cheptel-mère de 20 % à horizon 2030 aurait des conséquences quasi irréversibles « bien au-delà des fermes »
Dans le cadre des Matinales de la Recherche tenues le 18 mars à Paris, la société de conseil Ceresco a projeté, pour le compte d'Interbev, les conséquences de la décapitalisation bovine en France à horizon 2030. En prolongeant l’érosion observée entre 2020 et 2022, la baisse du cheptel de vaches mères, de 19,1 % d’ici cinq ans, pourrait entraîner des « réactions en chaîne » d’ampleur. Illustration au travers d’indicateurs économiques, sociaux et environnementaux.
Dans le cadre des Matinales de la Recherche tenues le 18 mars à Paris, la société de conseil Ceresco a projeté, pour le compte d'Interbev, les conséquences de la décapitalisation bovine en France à horizon 2030. En prolongeant l’érosion observée entre 2020 et 2022, la baisse du cheptel de vaches mères, de 19,1 % d’ici cinq ans, pourrait entraîner des « réactions en chaîne » d’ampleur. Illustration au travers d’indicateurs économiques, sociaux et environnementaux.

Si la décapitalisation du cheptel bovin français ne décélère pas, « 1,4 million d’hectares de prairies permanentes pourrait disparaître d’ici 2030, soit l’équivalent de la taille du département des Yvelines chaque année pendant huit ans », illustre Bertrand Oudin, Président Directeur Général de Ceresco à l’occasion des Matinales de la Recherche de l’interprofession du bétail et des viandes (Interbev).
1,4 Mha de prairies permanentes pourrait disparaître d'ici 2030.
La société de conseil a projeté le devenir des surfaces en prairies qui, demain, ne seraient plus mobilisées par les bovins. Extensification, artificialisation, maintien des prairies permanentes et temporaires en l’état pour la méthanisation, reconversion en friches ou en forêts… Les diversifications possibles sont difficiles à anticiper avec précision.
Le retournement des prairies et le relargage du stock de carbone associé inquiète
« La principale inquiétude concerne le relargage du stock de carbone existant en cas de retournement des prairies », partage Bertrand Oudin. Dans son rapport d’activités de recherche, Interbev estime que la réaffectation de ces surfaces en prairies pour d’autres usages entraînerait « une libération de gaz à effet de serre (GES) pouvant atteindre jusqu’à 64 Mt eq. CO2 et annulerait ainsi tous les efforts de la filière pour limiter ses émissions ».
De nombreuses autres externalités positives permises par l’élevage se voient aussi affectées telles que la conservation de la biodiversité et la réduction de la vulnérabilité face aux risques climatiques. « Nous avons tendance à sacraliser la prairie comme un puits de biodiversité, mais sans un animal qui l’entretient, elle perd sa richesse », appuie Maryvonne Lagaronne, éleveuse dans les Pyrénées-Atlantiques et présidente du comité de filière bovins viande de l’Institut de l’élevage (Idele). L’étude d’impact attire par ailleurs l’attention sur la baisse des apports en fertilisants organiques, qui pourrait déséquilibrer dangereusement certains systèmes.
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Autre effet en cascade qui découle de la disparition de l’élevage et de leurs prairies dans certaines zones, « la tendance à la spécialisation des territoires, qui pose un vrai problème en termes de résilience climatique », souligne Guillaume Gauthier, éleveur en Saône-et-Loire et président de la commission enjeux sociétaux à Interbev.
L'importation davantage d’émissions de gaz à effet de serre « qu’on ne maîtrise pas »
La problématique des gaz à effet de serre se joue aussi vis-à-vis des importations françaises de viande bovine. Si le rythme de décapitalisation se poursuit, les scénarios tendanciels prévoient une baisse de 20 % du nombre d’animaux finis destinés au marché français d’ici 2030. « Le découplage entre ces dynamiques de production et de consommation (1) entraîne un recours accru aux importations, qui s’accentuerait », alerte l’interprofession.
« La réduction des émissions de GES générées par la baisse de cheptel serait remplacée voire largement compensée par les émissions liées aux importations croissantes de viande bovine et pourrait atteindre 10 millions de tonnes éq. CO2 en 2030, contre 4,8 en 2022 », poursuit l’étude.
Des réactions en chaîne sur le tissu économique local et le maintien des services dans certains territoires
Une autre problématique prégnante mise en lumière dans cette étude concerne le maillage territorial. Les chiffres sont sans appel : près de 37 000 emplois directs seraient en jeu, dont la moitié au niveau de la production. Parmi les zones les plus touchées figure le Massif central.
Près de 37 000 emplois directs menacés
« Dans le Cantal par exemple, 7 % des emplois sont liés à l’élevage », illustre soulève Bertrand Oudin, de Ceresco, avant d’ajouter : « Le non-renouvellement des exploitants agricoles s’opère à bas bruit mais l’impact sur la première transformation est déjà ultra-visible dès qu’il est question de la fermeture de sites ou de restructurations ».
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La décapitalisation bovine aurait également de graves conséquences sur la compétitivité de la ferme France : « La balance commerciale de la filière viande bovine, excédentaire de 740 millions d’euros aujourd’hui, tomberait à -330 millions d’euros de déficit en 2030 ». « Le chiffrage des conséquences de la décapitalisation bovine en France au travers d’études d’impacts multicritères de ce type doit se poursuivre pour nourrir et préciser les intérêts de l’élevage bovin et ainsi appuyer notre souveraineté alimentaire », révèle Emmanuel Bernard, président de la section bovins d’Interbev.
(1) Prise en compte de la consommation moyenne par habitant de viande bovine sur les dix dernières années, corrélée aux projections de la démographie en France