Cuivre : comment le limiter ?
Le nouveau seuil d’utilisation du cuivre à 4 kg avec possibilité de lissage renforce encore la recherche d’itinéraires pour limiter son utilisation. Le point sur les pistes éprouvées par la viticulture bio.
Le nouveau seuil d’utilisation du cuivre à 4 kg avec possibilité de lissage renforce encore la recherche d’itinéraires pour limiter son utilisation. Le point sur les pistes éprouvées par la viticulture bio.
Le dossier a agité la filière bio durant toute l’année dernière. Ce qui n’a pas empêché le couperet de tomber : le 27 novembre, la Commission européenne a voté un réhomologation du cuivre pour seulement sept ans, avec une restriction d’usage à 4kg de cuivre métal par hectare et par an. Si cela ne devait pas changer beaucoup de choses pour la viticulture conventionnelle, une grande partie des vignerons bio devra adopter de nouveaux réflexes. À titre d’illustration, une étude de 2016 du réseau aquitain d’expérimentation et d’observation de la viticulture biologique (Resaq vitibio) avait conclu que la moitié des viticulteurs bio en Aquitaine utilise une dose moyenne de cuivre supérieure à 4 kg.
Il existe pourtant des solutions pour limiter son emploi. « Un grand nombre d’études montrent qu’une diminution de moitié des quantités de cuivre appliquées atteindrait, dans la plupart des cas, une efficacité identique ou très comparable à celle obtenue avec une utilisation à pleines doses », peut-on lire en conclusion du rapport de l’Inra sur l’utilisation du cuivre en agriculture, publié en juin dernier.
L'observation et la prophylaxie sont plus que jamais indispensables
Les scientifiques donnent pour cela plusieurs pistes que nous évoquons dans les pages précédentes, telles que la qualité de la pulvérisation, l’association avec des produits de biocontrôle, ou encore le déploiement de variétés résistantes. Le premier pas, souligne l’Inra, est déjà de réduire les doses tout en conservant une cadence d’application identique. Une stratégie mise en place avec succès depuis plusieurs années par Jean-Luc Isnard, vigneron au domaine Solence dans le Ventoux. « Je démarre tôt, dès le stade 2-3 feuilles étalées, avec des doses de 50 g de métal par hectare, explique-t-il. Je ne cherche pas à économiser de passage, j’augmente la dose pour la floraison et je redescends entre 100 et 150 g en fin de cycle. Ainsi je ne dépasse jamais les deux kilos par hectare et par an. Mais employé seul, cet itinéraire n’a pas de sens, il y a aussi tout un environnement à prendre en compte. » L’observation et la prophylaxie sont en effet plus que jamais à l’ordre du jour. Tous les témoignages issus de la saison 2018 convergent pour souligner l’importance de maîtriser la vigueur de la vigne mais aussi d’ébourgeonner et épamprer pour ralentir l’installation du pathogène.
Marc Chovelon, chargé d’étude à l’institut technique de l’agriculture biologique (Itab), évoque de son côté une nouvelle piste à explorer, déjà expérimentée pour la tavelure du pommier, un champignon voisin du mildiou. « En éliminant les feuilles quand elles tombent, on élimine l’inoculum. Ça peut être fait par broyage ou par enfouissement sur 1 cm pour que les feuilles et l’inoculum se dégradent dans le sol. Pourquoi ça ne marcherait pas pour la vigne ? ». Les décoctions, tisanes et huiles essentielles appliquées seules et en duo avec le cuivre font également partie de l’arsenal mis en œuvre en bio et en biodynamie (voir témoignage ci-contre).
L’effet des tisanes est variable d’une région à une autre
Mais les études scientifiques manquent pour statuer sur leur efficacité, selon le rapport de l’Inra déjà cité. « Avec des quantités communes, nous constatons une variabilité des résultats d’une région à une autre. La prêle fonctionne très bien en Alsace. Cette plante apporte de la silice dont l’effet éliciteur est constaté. Mais en Provence, c’est moins vérifié. La régionalisation des effets doit être travaillée », commente Marc Chovelon. Ce dernier est également persuadé que l’alimentation de la plante joue un rôle dans sa sensibilité aux maladies. À ce propos, une étude menée par l’Inra de Colmar a comparé de façon scientifique l’impact biologique sur des vignes conduites en conventionnel ou en biodynamie. Les conclusions montrent que les défenses naturelles de la plante sont plus élevées dans les vignes conduites en biodynamie, quels que soit le climat et la pression de pathogène. L’étude n’apporte pas d’éléments scientifiques sur les causes, mais force est de constater que l’équilibre de la plante est un des principaux leitmotivs des biodynamistes. À plus long terme, Marc Chovelon voit aussi dans le développement de l’agroforesterie un moyen de limiter la pression parasitaire, et ainsi les doses de cuivre à employer. « Avec des mers de vignes, on offre une autoroute pour les ravageurs et les maladies », assure-t-il, en évoquant des travaux sur les dispositifs dans les parcelles qui seraient le plus perturbants pour l’évolution spatiale des bioagresseurs.
Comprendre
Des précisions attendues
Les conditions d’application en France de la nouvelle réglementation européenne limitant l’usage du cuivre à hauteur de 4 kg/ha/an avec possibilité de lissage sur sept ans sont encore floues.
La réglementation européenne s’imposant à tous les vignerons, qu’ils soient en bio ou en conventionnel, le contrôle devrait désormais être réalisé par la DGCCRF (1) et non plus par les organismes certificateurs.
Quant au calcul des quantités, la précédente réglementation étant en vigueur jusqu’à fin 2019, l’année 2019 devrait être considérée étant la dernière année à 30 kg/ha/an sur cinq ans et la première année pour les 28 kg/ha/an sur sept ans. À suivre.
« L’OAD a permis une diminution du nombre de passages"
Éric Maille, conseiller en viticulture biologique à Agrobio Périgord (Dordogne).
« Dans le cadre du réseau Écophyto, l’outil d’aide à la décision (OAD) Promété a été testée de 2016 à 2018 sur des parcelles dans 4 fermes Dephy. Pour chaque parcelle, nous avons suivi un témoin non traité, une modalité où l’agriculteur choisissait de traiter et une modalité où le traitement était décidé en fonction des prévisions de l’OAD. Traiter avant les pluies est fondamental. L’OAD va déterminer si la pluie va être contaminatrice ou pas. Il modélise le volume de spores par rapport à un seuil de contamination. Une station était physique, le vigneron la trouvant plus fiable. Les trois autres stations étaient virtuelles.
Nous avons pu noter que chaque année, l’OAD permettait une diminution du nombre de passages sans impact sur la récolte. La marge est plus ou moins grande selon les domaines et la pression maladie avec des diminutions de 0 à 10. Mais même pour un vigneron qui ne fait que 6 à 8 traitements par an, on lui fait gagner entre 0 à 2 traitements. Les IFT ont été réduits de 28 % pour le mildiou. Cela signifie des économies sur la main-d’œuvre, le gasoil et une limitation du compactage des sols.
Nous voudrions tester et valider ces résultats à une échelle supérieure.
Concernant la facilité d’utilisation, l’interface n’est pas intuitive pour des gens qui ne sont pas des grands habitués de l’informatique, mais avec un minimum de formation, c’est maîtrisable."
« Je pense que l’effeuillage deux faces a sauvé la récolte"
Philippe Chaume, domaine Chaume-Arnaud en biodynamie à Vinsobres (Vallée du Rhône)
« Je n’avais jamais connu de pression aussi forte du mildiou. Dès les premiers symptômes, après la nouaison, nous avons décidé d’effeuiller manuellement la totalité de la zone fructifère et d’enlever les entre-cœurs, sur nos grenaches et merlots palissés. Les raisins étaient à nu sur 25 cm, sur les deux faces. ça a un coût, nous avons dû employer six étudiants en plus pendant un mois. Mais je ne regrette pas : nous avons limité les pertes à moins de 10 %. J’avais beaucoup moins de mildiou que sur mes parcelles en gobelet non effeuillées, l’aération des grappes a gêné le champignon.
On ne l’avait jamais fait auparavant, on craignait les risques de brulures des grains au soleil, par chance ça n’a pas été le cas cette année. Nous avons maintenu une bonne surface foliaire en hauteur pour compenser les feuilles enlevées.
Le mistral ainsi que le positionnement et la répétition des traitements au cuivre ont joué également.
« La tisane d’écorce de chêne permet de durcir la feuille"
Emmanuelle Schoch, Mas Seren en agriculture biologique, à Anduze (Gard)
« Les Cévennes sont une zone très favorable au mildiou, donc je commence tôt, par un traitement préventif dès le débourrement. J’utilise des écorces de chêne que je récolte autour de nos vignes. J’en fais une décoction à raison de 50 g pour 3,5 l d’eau pendant 24 h puis je porte à ébullition. Je l’utilise ensuite en dilution. Le but est de durcir la feuille. Je fais un passage de tisane seule aux stades pointe verte et 2 à 3 feuilles étalées. À partir de 3 à 4 feuilles étalées, je mélange avec du cuivre. J’utilise parfois de l’huile essentielle d’écorce d’orange. C’est plutôt contre l’oïdium mais je trouve que ça fonctionne aussi contre le mildiou. La tisane n’est pas magique. Il y a un tout un travail. Je taille assez sévèrement, j’ébourgeonne pour éviter un feuillage trop dru, j’épampre tôt pour éviter que la végétation stagne au pied, je veille à un bon palissage pour l’aération. L’an dernier, j’ai fait deux passages de plus avec la décoction et le cuivre. J’ai repoussé le travail sous les rangs à la fin juin pour ne pas libérer le champignon emprisonné dans l’herbe. ça m’a aidée. Je n’ai rien perdu en 2018 ».