Contrôle des Safer : ce qui change avec la nouvelle loi
Les sénateurs et les députés ont adopté en urgence une proposition de loi qui confie à la Safer le contrôle de tous les transferts de parts sociales. Objectif affiché : empêcher les agrandissements « excessifs ».
Les sénateurs et les députés ont adopté en urgence une proposition de loi qui confie à la Safer le contrôle de tous les transferts de parts sociales. Objectif affiché : empêcher les agrandissements « excessifs ».
Fini les rachats de parts sociales de sociétés pour s’agrandir en toute discrétion. Après un accord entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire, la loi « portant mesures d’urgence pour assurer la régulation du foncier », dite « loi Sempastous » a été adoptée par le Sénat et l’Assemblée en décembre 2021. La loi s’appliquera à toutes les ventes signées après le 1er novembre 2022, sauf pour les promesses de vente formalisées avant cette date et réalisées dans le mois suivant.
Cette loi renforce nettement les prérogatives des Safer. Ces sociétés anonymes « d’intérêt public » vont en effet disposer d’un droit de regard sur l’ensemble des transactions de terres, sous quelque forme que ce soit. Jusqu’à présent, seuls les transferts intégraux de parts sociales étaient examinés par la Safer. Pour y échapper, de nombreuses transactions étaient effectuées via des transferts partiels. Selon la Safer, ces dernières totalisent aujourd’hui 1,2 milliard d’euros, contre 5 milliards d’euros pour le marché foncier agricole.
Principales mesures de cette loi : l’instauration d’un nouveau contrôle, en plus de l’actuel contrôle des structures. Le législateur confie l’instruction des dossiers aux Safer, qui alerteront les services de l’État si nécessaire. Les agrandissements ne devront pas dépasser un seuil plancher d’agrandissement compris entre 1,5 à 3 fois la SAU régionale moyenne (SAURM). Le curseur précis sera bientôt déterminé par le préfet dans chaque département. Charge aux organisations agricoles de plaider pour la définition d’un seuil adapté à la réalité des exploitations professionnelles.
En France, la surface moyenne d’une exploitation de grandes cultures est aujourd’hui de 130 hectares. À titre d’exemple, en région Grand-Est, ou la SAURM est de 86 ha, le seuil de 1,5 serait dépassé dès 129 hectares. Dans les Hauts-de-France, ce seuil est de 126 ha, contre 104 ha en Normandie. En Île-de-France, ou la SAURM est de 131 ha, le seuil plancher de 1,5 sera atteint dès 196 hectares.
Une maille de contrôle très fine
L’objectif de la loi est clair : éviter les agrandissements « excessifs » avec une maille de contrôle très fine, puisque le seuil plancher intègre toutes les surfaces détenues ou cultivées par le repreneur, en son nom propre ou via une société, qu’elle soit agricole ou non. Le démembrement de propriété ne permet plus d’échapper à ce contrôle et le législateur intègre dans son calcul les surfaces éventuellement détenues par le conjoint, quel que soit le régime matrimonial. La totalité des surfaces agricoles détenues en indivision, et non exploitées soi-même, par exemple après une succession, seront comptabilisées dans leur totalité.
« En prenant en compte toutes les surfaces de terres détenues directement ou indirectement par les porteurs de projet, le législateur met sur un pied d’égalité la propriété et l’exploitation du foncier », explique Christophe Gourgues, notaire à Saint Pierre-du-Mont dans les Landes et président du réseau Ruranot, groupement de notaires experts en droit agricole.
Les holdings agricoles, les GFA et les SCI familiales devront elles aussi obtenir l’accord du préfet, après instruction du dossier par la Safer, avant de céder des parts sociales. Au-delà de l’acquisition de parts sociales, la loi considère comme un agrandissement sujet à examen toute modification du capital social d’une société et toute modification « aboutissant à transférer le contrôle d’une société ».
Se séparer de parcelles pour s’agrandir
Autre nouveauté de la loi : pour négocier l’agrandissement, les porteurs de projet qui dépassent ces seuils devront proposer des « mesures compensatoires », par exemple en s’engageant à vendre ou louer via un bail à long terme une partie de leurs terres à un jeune ou à une exploitation plus petite. La loi offre même la possibilité aux porteurs de projet de résilier certains de leurs baux au profit d’un jeune, par exemple pour des parcelles excentrées de l’exploitation. Pour y parvenir, ils pourront « solliciter le concours de la Safer », laquelle estimera si les engagements sont suffisants ou non, avant d’en informer l’administration. En cas d’infraction, la loi prévoit des sanctions comprises entre 304,90 et 914,70 euros par hectare.
Seules quatre exceptions sont prévues à ce nouveau contrôle :
- les opérations réalisées à titre gratuit ;
- les cessions entre parents et enfants (au 4e degré de parenté inclus), entre époux et entre pacsés, sous condition ;
- les cessions entre associés, à condition qu’ils soient associés depuis au moins neuf ans et qu’ils participent effectivement à l’exploitation des biens de la société ;
- les opérations foncières que les Safer réalisent dans le cadre de leurs missions d’attribution.
Dernière nouveauté, et non des moindres : le préfet pourra, sur avis de la CDOA, suspendre une demande d’autorisation d’exploiter jusqu’à 8 mois, le temps de permettre à un autre candidat à la reprise de se manifester, et de lui attribuer l’autorisation s’il s’avère prioritaire.
Surcoûts et procédures allongées
Plusieurs inconnues demeurent, qui seront prochainement précisées dans le décret d’application, à commencer par le délai d’instruction des dossiers. Il ne devrait pas être inférieur à celui d’une demande d’autorisation d’exploiter, lequel est de quatre mois.
En prenant en compte le temps nécessaire à la constitution de dossiers parfois complexes, cette nouvelle étape prolongera facilement les procédures de cessions de six mois. Un tel report peut avoir des incidences fiscales et sociales lourdes, en particulier pour le cédant. « Si un agriculteur ne peut cesser son activité au 31 décembre, il est réputé actif pour l’année qui suit, donc soumis à impôts et prélèvements MSA », précise Patrick Van Damme, directeur du centre de gestion AS76.
Un surcoût est également à prévoir. D’une part car le dépôt d’un dossier sera payant, pour un montant forfaitaire lui aussi à préciser par décret. D’autre part car l’appui d’un spécialiste aguerri, dont les honoraires sont rapidement significatifs, semble utile pour effectuer ce type de déclaration sans erreur et sans risque de refus ou de report. Un non-respect du cahier des charges sera passible d’amendes jusqu’à 2 % du montant de la vente.
Retour à des schémas de reprise classiques
La cession de parts sociales étant désormais un sujet complexe et incertain, les porteurs de projet pourraient revenir à des schémas de reprise plus classiques. La cession de foncier entre personnes physiques ou la conclusion de baux (cessibles), qui permettent de valoriser des actifs, restent soumises uniquement à une autorisation d’exploiter, accordée par le préfet et examinée par la CDOA. Cette autorisation est accordée sur déclaration via un formulaire Cerfa disponible en ligne. Si les propriétaires sont d’accord et en l’absence de demande concurrente, les CDOA ne s’opposent pas aux projets.
Reste aussi un moyen simple d’échapper à la fois au contrôle des structures et au contrôle de la Safer : confier la vente… aux Safer. La vente de biens par substitution constitue un pan important de leur activité. La démarche implique publicité, présentation en commission locale et examen en comité technique Safer mais pas davantage. Et ces étapes bien balisées sont faciles à franchir comparées à celles de la nouvelle loi.
Cette voie implique le versement de frais à la charge de l’acheteur, correspondant à 7 % du montant de la transaction, mais l’opération est totalement exonérée de droits de mutation et d’enregistrement. La pratique est décriée car elle est assimilée à une dérive qui abonde le chiffre d’affaires des Safer au détriment des finances publiques. Mais pour l’acquéreur, le coût est neutre. Et sur ce point, le législateur n’a pas prévu de loi d’urgence.
Un texte qui suscite la polémique
À l’initiative de cette proposition de loi, les Safer se sont rapidement félicitées de l’adoption du texte, qualifiée d’« initiative courageuse et innovante. […] Il s’agit d’une étape importante, et même historique, pour limiter la concentration excessive des terres et relancer l’installation. » De fait, un tel mécanisme n’existe nulle part ailleurs en Europe. La FNSEA, les JA et les chambres d’agriculture, se sont également félicitées de ce texte, remerciant les parlementaires pour « leur esprit constructif ». « La profession agricole voit dans l’aboutissement de cette loi une étape importante dans la lutte pour l’accès au foncier pour les jeunes. »
Pas sûr toutefois qu’un tel satisfecit redore le blason des organisations syndicales : dans les exploitations de grandes cultures, la colère et la consternation dominent, contenue par la peur de « se faire blacklister par une Safer toute puissante », à tort ou à raison. Seuls les jeunes applaudissent. Ces derniers mois, les notaires ruraux (GIE Ruranot, Acterra et Jurisvin), les avocats (Anavor) et les propriétaires privés (FNPPR et Fnaim) se sont émus d’un possible conflit d’intérêt : tous s’interrogeaient sur le crédit d’un système de contrôle et de régulation instruit par le principal opérateur du marché, pour le compte de l’administration.
« Le risque principal de cette loi est de paralyser les projets, soulève Christophe Gourgues, président du GIE Ruranot. Sous prétexte d’un objectif de souveraineté alimentaire et d’installation, auquel on ne peut être que favorable, on va rigidifier le marché et paralyser l’évolution de l’agriculture. » Pour apaiser les craintes, les parlementaires ont prévu une évaluation « de l’impact et de la justesse du dispositif de contrôle ainsi créé » dans trois ans. Leur attention portera notamment sur l’impact de la loi sur le prix du foncier et sur le volume des transactions. Selon leurs conclusions, le texte pourrait être révisé ou suspendu.