Contractualisation en viande bovine : un outil de gestion du risque "prix"
Avec la loi Egalim2, la négociation des prix a lieu en amont des ventes de bovins. L’obligation de contractualisation pose la question de la stratégie de l’élevage par rapport au risque « prix ». Le point avec Nathalie Velay de Cerfrance Alliance Massif central.
Avec la loi Egalim2, la négociation des prix a lieu en amont des ventes de bovins. L’obligation de contractualisation pose la question de la stratégie de l’élevage par rapport au risque « prix ». Le point avec Nathalie Velay de Cerfrance Alliance Massif central.
La contractualisation obligatoire définie dans la loi Egalim2 bouleverse le timing de la négociation entre les éleveurs et leurs premiers acheteurs. Au lieu de la mener au moment de la vente des animaux, voire pour un cycle de production avec la contractualisation qui existait jusqu’à présent, elle doit avoir lieu en amont, et couvrir une période de trois ans.
Pour aborder la contractualisation, les éleveurs doivent se préparer. "Cela nécessite de faire un bilan de son activité commerciale actuelle et pour les années à venir", explique Nathalie Velay du réseau Cerfrance. Se posent les questions suivantes : quels types d’animaux je produis ? À quelle période ? Que représente chaque catégorie d’animaux dans mon chiffre d’affaires ? Sur quels marchés partent mes animaux ? Est-ce que mes produits sont en phase avec le marché ? Qui sont mes partenaires de vente ? Existe-t-il d’autres opportunités commerciales pour valoriser au mieux mes animaux ?
"Cette négociation est l’occasion de prendre du recul, et de se demander quelle est ma stratégie par rapport au risque 'prix'", poursuit la spécialiste. C’est donc tout un cheminement, à l’image de ce que les éleveurs connaissent tous par rapport au risque "climat" notamment.
Définir son niveau d’engagement dans le cadre de la loi
La loi Egalim2 permet en effet, en utilisant les différentes options possibles, de définir son niveau d’engagement avec son ou ses premiers acheteurs. "On peut choisir de rester sur le marché du tout venant, et ainsi se donner l’opportunité de tirer parti des hausses de cotations, tout en respectant le cadre de la loi", explique Nathalie Velay. Dans ce cas, la formule du prix donnera beaucoup de poids à l’indicateur du prix de marché qui est la cotation FranceAgriMer.
Pour se ménager de la souplesse dans le nombre d’animaux à livrer, le contrat peut stipuler par exemple la livraison de 10 bêtes plus ou moins 50 % dans l’année. Et un autre contrat similaire peut être signé avec un autre acheteur si on le souhaite. La seule condition étant que les deux parties, éleveur et acheteur, soient d’accord sur les règles d’engagement, ce type de contrat revient finalement à une simple garantie d’enlèvement.
"Si on choisit au contraire un niveau d’engagement important dans l’objectif de se donner de la visibilité, le contrat le permet." Le poids de l’indicateur de prix de revient validé par Interbev peut être négocié à 50, 60 ou 80 % voire 90 % du prix déterminable pour un maximum de sécurité.
Un point essentiel est de connaître les prix de revient de son élevage pour les différentes catégories d’animaux, qui sont à actualiser régulièrement par les temps qui courent. Cela permet de se positionner par rapport aux prix de vente actuels, et de mesurer sa sensibilité aux marchés. « Le prix de revient de l’élevage est un outil d’aiguillage important pour choisir la pondération entre l’indice de coût de production et le prix de marché la plus adaptée à son élevage à proposer à son acheteur", conseille Nathalie Velay.
Connaître son prix de revient pour chaque catégorie
Ces deux logiques ne s’opposent pas, et peuvent apporter de l’agilité dans les exploitations. L’éleveur, en les panachant, dose son risque "prix" à l’échelle de l’élevage. Par exemple, il peut verrouiller ses ventes pour ses génisses ou pour une partie d’entre elles qui représentent 30 % de son chiffre d’affaires, et en même temps se positionner de façon opportuniste pour une autre catégorie comme les broutards, qui représente elle aussi 30 % de son chiffre d’affaires.
« Tous ces mécanismes rompent avec les habitudes sur l’immédiateté des échanges commerciaux. Il est normal qu’il ne soit pas évident de se les approprier", observe Nathalie Velay. Les contrats permettent cependant grâce à certains articles de se rassurer. Il y a déjà des clauses prévues pour les aléas climatique et sanitaire. Dans l’article 5, il est conseillé d’intégrer un tunnel pour la formule de prix, défini par une borne inférieure et une borne supérieure. "L’intérêt est de s’affranchir des variations extrêmes du prix du marché et du coût de production." Il y a aussi toujours la possibilité de faire un avenant à un contrat commercial, mais sa réalisation doit être motivée par un évènement exceptionnel sur l’exploitation, qui n’était pas prévisible dans les trois ans à venir au moment de la signature.
Très peu de contrats signés pour l’instant
En cette fin de printemps 2022, très peu de contrats sont signés entre les éleveurs et leurs premiers acheteurs. Les cotations restent croissantes, ce qui interroge un peu tout le monde et incite à être attentiste. Mais les charges d’élevage augmentent encore plus vite, et la crainte principale actuelle des abattoirs et de la distribution est de ne pas avoir assez de viande, à cause de la baisse du cheptel. Ce qui donne plutôt à l’éleveur intérêt à négocier maintenant.
La révision des contrats conclus lors des négociations commerciales entre industriels et distributeurs, qui avait été appelée dans le cadre du plan de résilience par le gouvernement pour tenir compte de l’inflation, a tardé. Cependant depuis mi-mai, les premières hausses de tarif à ce niveau de la filière se concrétisent pour la viande.
L’attitude devant le rayon viande bovine des consommateurs en perte de pouvoir d’achat reste la grande inconnue des prochains mois, avec l’impact d’une possible sécheresse sur les volumes d’abattages.
Le prix déterminable comment ça marche ?
Le prix déterminable des bovins finis est obtenu, en euros par kilo de carcasse, par la somme de trois parties A + B + C.
A est un pourcentage de l’indicateur de référence national de prix de revient, réactualisé chaque semestre. En février 2022, ont été publiés les indicateurs calculés sur la conjoncture du second semestre 2021 (et en mai 2022 ceux pour la bio).
B est un pourcentage de la cotation de référence FranceAgriMer. Selon les modalités du contrat, on peut en retirer le coût moyen des frais d’approche.
Et C est la plus-value relative à la qualité bouchère (conformation et race) et à une éventuelle certification des animaux. Pour la partie qualité bouchère, on peut se baser sur des moyennes issues de l’historique des cotations FranceAgriMer. Pour la filière label rouge, une grille officielle est actualisée tous les semestres.
Rappel
Ce sont aux éleveurs de proposer un contrat à leur négociant pour les ventes en ferme. Pour les éleveurs qui adhèrent à une coopérative, les négociations sont menées collectivement au sein des conseils d’administration après modification des règlements intérieurs. Pour les éleveurs qui adhèrent à une organisation de producteurs non commerciale, la contractualisation se réalise par la signature d’un accord-cadre (accord général pouvant servir de modèle à des accords ultérieurs).
La vente directe et la vente sur les marchés aux bestiaux sont exemptées de la contractualisation. C’est aussi le cas des producteurs qui réalisent moins de 10 000 euros de chiffre d’affaires annuel sur une catégorie d’animaux.