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Comment font-ils élever leurs veaux par des vaches nourrices ?

Marc Ben, Thierry Couétil et Jean-François Conan ont chacun leur façon de déléguer l'allaitement des veaux aux vaches. Suivons avec eux les étapes clés.

Derrière l'expression " vaches nourrices " se cachent diverses pratiques pour faire adopter les veaux par des vaches, les élever, sevrer les veaux. Voici trois exemples avec trois éleveurs.

Certains veaux sont-ils élevés par leur mère ?

Marc Ben - Non. Mes nourrices sont des vaches en fin de lactation, déjà pleines.
Thierry Couétil - Après la naissance, le veau reste deux ou trois jours avec sa mère. On remarque que les primipares sont plus douces pour se faire traire par la suite. Puis on fait des regroupements pour garder huit vaches nourrices qui élèvent seize veaux dont quatorze pour le renouvellement. Donc la plupart des nourrices ont leur veau et un autre adopté. Cela arrive qu'une nourrice ait deux veaux adoptés ; quand leur mère n'a pas voulu adopter un autre veau. Dans notre système, l'idéal serait de laisser chaque veau avec sa mère. C'est le système anglais très pâturant, adapté aux grands troupeaux. Dans ce cas, les mères sont traites, le matin par exemple, pendant la période d'allaitement. Le sevrage a lieu entre 6 et 10 mois. Chez nous, pour que ça passe économiquement, on pourrait le faire avec les primipares, qui donnent moins de lait.
Jean-François Conan - Il vaut mieux ne pas laisser à la nourrice son veau biologique, car elle risque de rejeter les autres veaux, ou de moins bien les traiter. Nous laissons 48 heures le veau de la vache qui a été choisie comme nourrice, pour que celle-ci développe son instinct maternel. Puis on les sépare. Et le jour d'après, quand sa mamelle est bien pleine, la nourrice accepte plus facilement les veaux qu'on lui présente.

Quelle vache pour faire la nourrice ?

M. B. - Cela peut être des vaches à cellules, qui boitent ou en fin de carrière.
T. C. - On sélectionne celles qui acceptent un autre veau en plus du leur, ou qui en adoptent deux. Nos nourrices reviennent ensuite dans le troupeau. On ne leur fait pas d'IA, car elles sont au pré à ce moment-là ; on met un taureau. Nous considérons les nourrices comme des vaches en production et nous évitons les vaches à cellules ou avec des problèmes de locomotion.
J.-F. C. - Notre premier critère est qu'elles cherchent les veaux, car nous voulons que l'adoption soit rapide. Une vache à cellules n'est pas une bonne chose pour faire une future génisse, m'a dit un vétérinaire homéopathe. Nous choisissons plutôt de bonnes laitières, en tout cas pas les plus mauvaises.

Combien de veaux par vache ?

M. B. - Cela dépend de la production de la vache. Mon repère est qu'il faut 8 litres par veau. Si une vache produit 24 litres, je lui mets trois veaux. Si elle produit plus, je lui en mets quatre. Mon objectif est de pouvoir sevrer à 4 mois. Si je mettais moins de veaux par vache, ils auraient tendance à se mettre à manger de l'aliment plus tard, et donc à être plus difficiles à sevrer à 4 mois.
T. C. - Au-delà de deux veaux par vache, c'est trop pour les vaches et elles ont des problèmes de reproduction. Les vaches sont plus stimulées par l'allaitement que quand elles donnent leur lait à la machine à traire.
J.-F. C. - Trois veaux par vache.

Les nourrices sont-elles traites ?

M. B. - Pas pendant la phase d'adoption, ni d'allaitement.
T. C. - Pendant la phase d'adoption, les nourrices sont traites le matin. Après le sevrage à 5 mois, on les trait. Pour le veau, l'idéal serait un sevrage à 8 mois. Mais nous voulons vendre ce lait.
J.-F. C. - Non.

Comment faire adopter les veaux à la vache ?

M. B. - Je mets trois veaux en même temps avec une vache pour éviter la concurrence entre les veaux. Cela nécessite d'avoir des vêlages bien groupés. Au besoin, on démarre un veau au biberon avant de le présenter à la vache. Pendant quinze à vingt jours, les vaches et les veaux restent en bâtiment dans des boxs de 15 m2 pour une vache et trois veaux. Les qutre ou cinq premiers jours, je bloque les vaches matin et soir pour la tétée, pour qu'elles laissent les veaux boire. En général, ça se passe bien. Si une vache refuse les veaux après ce délai, il faut changer de nourrice. En dehors des tétées, vaches et veaux sont séparés pour que les vaches ne s'agacent pas ; cela facilite l'adoption définitive. Au bout des cinq jours, je laisse les vaches et les veaux ensemble sur une aire paillée. 
T. C. - Une même vache peut être une bonne nourrice une année et repousser un veau l'année suivante. Une vache peut mettre quelques jours à adopter le veau. Il est rare que nous bloquions les vaches. On préfère que ça se fasse naturellement. Nous avons essayé de mettre du vinaigre sur les veaux pour camoufler leur odeur, mais les mères reconnaissent quand même leur petit. Il est importance de les observer plusieurs jours pour, au besoin, changer de nourrice. Nous avons cinq box de vêlage pour réaliser cette phase durant dix à quinze jours, avant d'envoyer tout le monde au pâturage.
J.-F. C. - Notre objectif est que l'adoption soit rapide, en huit à dix jours maximum, car il n'y a que trois box d'isolement. Le premier jour, on bloque la vache au cornadis pour mettre les veaux à téter ; pour assurer le coup. Les jours suivants, la vache est libre, pour les sentir et faire connaissance. Les nourrices vont au pâturage avec les vaches traites et reviennent se faire téter aux heures de traite. Le plus souvent, c'est gagné, elles se dirigent toutes seules vers les box des veaux en rentrant du pâturage. Au bout de huit à dix jours, tout le monde va au pâturage.

Comment intervenir au pâturage ?

M. B. - Les animaux sont au pâturage jusque fin octobre-début novembre près de la stabulation et les nourrices sont complémentées à l'auge. Puis, tout le monde est en bâtiment sur aire paillée.
T. C. - Il n'y a aucune complémentation au pâturage. Les veaux ont des strongles pulmonaires ; nous mettons une solution à base de plantes dans l'eau de boisson pour renforcer l'immunité. Les premières semaines au pâturage, veaux et nourrices restent près de la stabulation où il y a une contention, pour écorner ou soigner une patte. Pour manipuler un veau, on le laisse accompagné d'une vache très douce pour qu'il reste calme.
J.-F. C. - Il n'y a pas de complémentation au pâturage. Il faut de l'herbe de qualité car une nourrice produit plus de lait qu'une vache traite. On les change de paddock tous les quatre jours environ. C'est très facile de les déplacer ; les veaux suivent les vaches. Pour écorner, on fait rentrer les nourrices et les veaux ensemble dans le bâtiment. Il n'y a pas de traitement antiparasitaire ; nous arrivons à gérer en ne faisant pas pâturer des parcelles à risque.

Comment se passe le sevrage ?

M. B. - Mon objectif est de sevrer à 4 mois maximum. Les veaux ont accès à la ration des vaches ; ils commencent à en manger quand ils le veulent. Et je commence à complémenter les veaux à partir de 1 mois. J'ai aménagé un coin paillé pour les veaux avec du concentré (des grains de céréales). Une barre permet de laisser passer les veaux et pas les vaches. La séparation est surtout perturbante pour la vache ; pendant trois jours, elle peut retenir un peu de lait et elle gueule un peu. Pour le veau, ce système permet de ne pas avoir de transition alimentaire ni de logement.
T. C. - Une semaine avant le sevrage, je rentre les veaux et les vaches dans l'aire paillée. Tout le monde a du foin et un peu de céréales. Puis nous les séparons. Les veaux sont sevrés à 5 mois, pour pouvoir traire les nourrices et vendre leur lait. L'inconvénient est que les vaches et les veaux meuglent pendant plusieurs jours.
J.-F. C. - C'est la pousse de l'herbe qui décide du moment de sevrer. En général, les animaux rentrent en novembre, donc le sevrage a lieu à 7 ou 8 mois. Dès la rentrée en bâtiment, nous séparons les nourrices des veaux. Il n'y a pas de transition. Ça meugle pendant cinq jours des deux côtés. Pendant cette période, il faut aller voir les veaux pour qu'ils s'attachent à nous et soient moins craintifs. Les vaches retiennent un peu leur lait les deux premières traites et puis tout rentre dans l'ordre.

Trois éleveurs, trois objectifs

Marc Ben, dans le Loiret. En EARL, avec son frère et un salarié, en conventionnel ; 100 vaches laitières croisées à 8 300 l ; 80 veaux élevés par an par 20 à 25 vaches nourrices : des femelles et des mâles pour l'atelier taurillons et bœufs. Les veaux et les nourrices vont au pâturage d'automne puis sont logés dans un bâtiment existant, sur aire paillée.

Sa motivation : un gain de temps. Une solution qui évite d'investir dans une nouvelle nurserie.

Thierry Couétil, dans la Manche. En Gaec à deux associés, en bio ; 65 vaches laitières croisées à 5 000 l ; 14 à 16 veaux élevés par an par leur mère ou une nourrice, au pâturage.

Sa motivation : un travail simplifié par rapport à des buvées de lait entier (la poudre de lait est interdite en bio). Une meilleure santé et croissance des veaux. Une solution qui évite d'investir dans une nurserie.

Jean-François Conan, dans le Finistère. En Gaec à deux associés, en bio ; 80 vaches laitières croisées à 4 800 l ; 18 à 21 veaux élevés par an par 6 à 7 nourrices, au pâturage.

Sa motivation : une meilleure santé des veaux et plus du tout de problèmes de coccidiose. Une pratique bonne pour le bien-être animal. 

 

 

Les avantages et inconvénients selon les éleveurs

Les avantages :

moins de travail d'astreinte ;

des veaux en bonne santé ;

de bonnes croissances qui permettent de faire du vêlage 24 mois ;

un coût alimentaire réduit. Le BTPL a évalué les frais d'alimentation des nourrices à 85 €/veau en système nourrice (fourrage et concentré), contre 150 €/veau nourri avec de la poudre de lait et 200 €/veau nourri au lait entier.

Les inconvénients :

les vêlages doivent être bien groupés ;

la phase d'adoption est délicate et demande du temps d'observation ;

les animaux sont plus sauvages si on ne passe pas un minimum de temps avec eux ;

les animaux sont stressés par la séparation ;

les vaches peuvent être épuisées par l'allaitement. Attention au nombre de veaux par vache et à l'alimentation de celles-ci, avec 10 à 15 % de ration en plus par rapport à une vache traite ;

l'allaitement favorise l'anœstrus ;

entre 1 000 et 1 300 litres de lait non vendu par veau pour un sevrage entre 5 et 8 mois.

Mise en garde

S'il y a de la paratuberculose, ne surtout pas le faire !

Ce qui pourrait être amélioré

Caractère des veaux, groupage des vêlages... Nos trois éleveurs estiment encore pouvoir faire mieux.

Marc Ben - Mes veaux sont plus sauvages, car comme je veux gagner du temps, je ne vais pas les voir souvent. Mais ça en devient problématique. Il m'arrive de réformer une vache à cause de son caractère trop brusque. Pour améliorer mon système, il faudrait que je passe un peu plus de temps avec eux.

Thierry Couétil - Je constate que ce sont les vêlages de mars-avril qui donnent les meilleurs résultats, avec des vaches qui maigrissent moins et qui devraient être moins sujettes à un anœstrus. À partir de juin, l'herbe est de mauvaise qualité, il y a plus de parasites, donc on a plus de problèmes. Il faut donc réussir à garder des vêlages groupés sur le début du printemps. Et nous allons essayer de mettre davantage les premières lactations comme nourrice ; ce sera économiquement plus intéressant.

Jean-François Conan - Mon système est bien rodé aujourd'hui, avec des vêlages groupés sur deux périodes : 50 au printemps et 30 sur septembre-octobre. Les nourrices sont inséminées en décembre après leur retour en bâtiment et le sevrage. Je ne m'embête pas à essayer de les inséminer avant.

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