Les labels huile et chevreau en concurrence au Maroc
L’utilisation de l’arganier est partagée entre l’huile d’argan et l’élevage caprin. Une concurrence ravivée avec la mise en place d’indications géographiques.

Forêt du Sud-Ouest marocain, située entre Essaouira et Agadir, l’Arganeraie longe la frange littorale et pénètre dans les contreforts du Haut Atlas. Parmi les espèces forestières, l’arganier, espèce arboricole et fructifère, s’inscrit dans un système agro-sylvo-pastoral où élevage et collecte des fruits se côtoient depuis des millénaires permettant aux familles d’y trouver des moyens d’autosubsistance autour de l’huile d’argan et du chevreau de l’Arganeraie. Ayant longtemps contribué à l’autosubsistance alimentaire locale, le déploiement des indications géographiques pour ces deux productions qui les destinent à des marchés de niche pose de manière nouvelle la question de leur cohabitation.
L’huile d’argan a porté au Maroc l’élan du terroir et a contribué à installer nombre de coopératives et d’industries de transformation. On prête à l’huile des vertus cosmétiques, médicales et culinaires, tout en valorisant le savoir-faire des femmes rurales, deux volets de qualification de l’activité qui ont conduit l’Union européenne à enregistrer en 2009 l’huile d’argan comme produit agricole protégé par une indication géographique. Mais cette réappropriation de la ressource arganier peut aussi être vectrice d’exclusions, notamment à propos de l’élevage caprin avec qui les conditions de cohabitation sont nouvellement éprouvées.
Contestation des forestiers et des producteurs d’huile
À la suite de l’huile d’argan, c’est aujourd’hui au chevreau de mener un projet de certification en lien avec une nouvelle loi marocaine sur les indications géographiques. Il doit pour cela démontrer son attachement au terroir. Or, l’élevage caprin est largement basé sur le parcours forestier et le pâturage de l’arganier et ces pratiques contribuent à donner au chevreau sa typicité. Lors de l’arbitrage ministériel du projet, une contestation s’est construite et au cours de laquelle l’Amigha, le syndicat de défense de l’huile d’argan, et les forestiers sont venus disqualifier cette activité. Les motivations principalement avancées sont liées la dégradation des ressources notamment lors du pâturage aérien.
Redéploiement des légitimités au détriment de l’élevage
Pourtant, à observer cette activité, d’étroites complémentarités sociales et techniques ont été construites par les communautés rurales de la région de Haha. L’Arganeraie devient source de tension car elle fait l’objet d’appropriations rivales, encouragées par une spécialisation des activités qui déconstruit sa nature multifonctionnelle. Pourtant, les usages de collecte destinés à la production d’huile et de pâturage associé à la fourniture de viandes font partie des droits d’usages qui régissent l’utilisation des terres. Des règles coutumières par les familles et les communautés ont confirmé ces droits. Par exemple, la pratique de l’Agdal permet de mettre en défense des terres de parcours à certaines périodes de l’année afin d’y collecter les fruits.
L’introduction des indications géographiques donne lieu à l’émergence d’un nouveau maillage d’acteur et un redéploiement des légitimités qui se fait souvent au détriment de l’élevage. Il s’en dégage une vision naturalisante de la forêt, une sanctuarisation qui écarte progressivement les processus de domestication, tout au moins en favorise certains plutôt que d’autres.