Livradois Forez
Les élevages agro-écologiques sont plutôt alternatifs
Les élevages caprins les plus agro-écologiques se sont construits petit à petit en jouant sur les synergies et complémentarités entre activités et ressources. Étude en Auvergne.
Alors que l’élevage est de plus en plus attendu pour combiner production et respect de l’environnement, tendre vers des formes agro-écologiques est une voie d’évolution possible pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui et demain. Dans le cadre du projet Mouve, l’Inra et VetAgro Sup ont enquêté 18 éleveurs caprins du Livradois Forez pour évaluer leur proximité avec l’agro-écologie.
Dans cette région, à l’intersection du Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire et de la Loire, les caprins sont minoritaires mais ils s’intercalent entre des systèmes de plus grande taille majoritairement bovins. Faible consommateur d’espace et demandant peu de capital à l’installation, l’élevage caprin permet à des éleveurs de vivre de leur métier en s’appuyant sur la fabrication fromagère et la vente directe pour générer de la valeur ajoutée.
Les grands principes de l’agro-écologie comme repère
Les grands principes de l’agro-écologie ont été caractérisés par Bertrand Dumont, directeur de recherche à l’Inra de Clermont-Theix : améliorer la santé animale, diminuer les intrants, réduire la pollution en optimisant le fonctionnement, renforcer la diversité dans les élevages et préserver la biodiversité dans les écosystèmes.
Ainsi, la gestion raisonnée du pâturage, les traitements alternatifs et préventifs des animaux (huiles essentielles, oligo-éléments, argile, homéopathie) et les transitions alimentaires, mais aussi le retour des chèvres en bâtiment les jours de pluie pour éviter les problèmes pulmonaires, ont été enregistrés comme des pratiques visant à améliorer la santé animale.
Afin de réduire les intrants, la consommation de concentré est limitée. Cette diminution d’aliments concentrés passe aussi par l’utilisation de fourrages de qualité via l’intégration de mélanges graminées-légumineuses à l’assolement, le déprimage des parcelles destinées au foin, l’utilisation du fumier pour la fertilisation des parcelles plutôt que des engrais chimiques, la diminution du déplacement des animaux et des équipements pour permettre des économies d’énergie.
Pour réduire la pollution, les éleveurs combinent élevage et cultures sur les exploitations ce qui permet le recyclage des éléments du fumier et du lisier par la fertilisation des parcelles. De même, le maintien de surfaces en prairies permanentes participe à limiter la production des gaz à effet de serre, les lixiviations(1) et à favoriser le stockage du carbone.
Le renforcement de la diversité dans les systèmes d’élevage est principalement lié à la valorisation de la complémentarité entre espèces dans les systèmes. Le recyclage du petit-lait par des porcs, la complémentarité des troupeaux bovins ou équins sur des parcelles utilisées par les chèvres au pâturage, la valorisation de fromages issus de lait de mélanges permis par la mixité vaches-chèvres sont autant d’exemples où l’association de l’élevage caprin à d’autres espèces est envisagée par les éleveurs de façon positive.
Enfin, les pratiques de gestion telles que fauche tardive des fourrages, choix d’une race locale ou menacée, maintien de la totalité des surfaces en prairies permanentes participent à la préservation de la biodiversité dans les écosystèmes.
Des hors-cadre autonomes avec d’autres activités
Parmi les quatre types d’élevage caprins identifiés, les chercheurs ont décrit comme « raisonnés » six élevages de l’échantillon où les principes de l’agro-écologie sont le plus largement mobilisés.
En moyenne, ce groupe est constitué d’éleveurs à trajectoire longue de 22 ans depuis l’installation et âgés de 51 ans. Installés hors cadre, ces éleveurs sont rentrés dans le métier par passion et challenge. Ils visent dorénavant à tenir jusqu’à la retraite. Les projets sont des projets de couple et s’appuient sur le service de remplacement ou le salariat pour arriver à « faire le travail ». Les éleveurs ont raisonné la construction de l’atelier caprin au fur et à mesure du temps avec d’autres activités. Complémentarité et diversité sont valorisées. La quantité de ressources mobilisable pour produire a été intégrée au raisonnement de la configuration du système. Les systèmes sont autonomes sur le plan fourrager. Le niveau de production des chèvres (estimé à 610 litres par chèvre) est plus faible que celui des élevages livrant le lait de leurs chèvres, mais les éleveurs misent sur la transformation du lait et la commercialisation en circuit court de leurs fromages pour améliorer la plus-value. L’atelier chèvres est toujours l’atelier principal mais il est associé à d’autres ateliers animaux. Dans certains cas, des chevaux valorisent les refus des chèvres, dans d’autres, les ovins pâturent les parcelles les plus éloignées ou se voient attribuer les fourrages les moins bons, des porcs recyclent le petit-lait. Les éleveurs ont aussi d’autres activités comme les gîtes, chambres d’hôtes, accueil à la ferme, ferme pédagogique et la production d’énergie solaire.
Une gestion sanitaire préventive et un pâturage raisonné
En « systèmes raisonnés », les éleveurs visent à diminuer les intrants tels que les fertilisants ou les concentrés achetés. Pour cela, ils recherchent l’autonomie fourragère, utilisent au maximum le fumier pour la fertilisation des parcelles à la place des engrais chimiques, valorisent les refus des chèvres dans l’alimentation d’autres ateliers, maximisent le pâturage. Ils raisonnent aussi les apports de concentré en fonction du niveau de production, de l’état physiologique des chèvres ou du type de fourrages. Pour favoriser la santé des animaux et limiter les traitements sanitaires, les éleveurs adoptent une gestion préventive des problèmes. Par exemple, ils ne laissent par téter les chevreaux sous la mère pour la prévention du CAEV. Pendant l’été, le bien-être de leurs animaux est assuré par des arbres au pâturage ou par l’accès possible à des bâtiments.
Diverses raisons sont évoquées à l’utilisation de race à faible effectif par ce groupe. Si certains annoncent ouvertement participer à la sauvegarde d’une race menacée et contribuer ainsi à la préservation de la diversité au sein de l’espèce caprine, d’autres utilisent des boucs Rove, Massif central ou Anglo-nubien pour renforcer la robustesse des animaux ou produire du lait de qualité pour la transformation fromagère.
Au final, la forme d’élevage décrite traduit une dynamique d’évolution basée sur un modèle plutôt « alternatif » dans ce territoire où l’élevage majoritairement bovin suit le processus classique d’agrandissement allié à une certaine intensification, dans le cadre de reprise familiale. Elle ne constitue toutefois pas la seule voie d’évolution agro-écologique pour les élevages caprins de ce territoire qui sont pratiquement toujours des élevages diversifiés avec d’autres ateliers animaux.