Les AOP laitières française face à de nombreux défis
Entre hausse des matières premières, sécheresse et inquiétudes sur le pouvoir d’achat, le moral des AOP laitières n’était pas au beau fixe à l’assemblée générale du Cnaol fin septembre dans le Jura.
Entre hausse des matières premières, sécheresse et inquiétudes sur le pouvoir d’achat, le moral des AOP laitières n’était pas au beau fixe à l’assemblée générale du Cnaol fin septembre dans le Jura.
Les cinquante et une AOP laitières françaises étaient réunies pour leur assemblée générale annuelle le 30 septembre à Labergement-Sainte-Marie (Jura). Accueillies par les AOP Morbier et Mont d’or, elles ont débattu de la valorisation économique des appellations d’origine.
« Il y a en France une vraie dynamique des AOP en volume et en valeur, a présenté Jean-Marc Chaumet du Cniel, l’interprofession laitière, en introduction. Premier pays en nombre d’AOP laitières en Europe, la France est deuxième en volume derrière l’Italie, avec respectivement 238 000 et 593 000 tonnes de fromages sous indication géographique. 25 % des fromages produits en France sont sous AOP et représentent un tiers du chiffre d’affaires fromager ! 26 % des éleveurs caprins produisent pour au moins une AOP et 13,4 % du lait de chèvre est utilisé dans la fabrication des AOP. Et cette proportion est en constante progression. »
Inquiétudes sur la consommation
Côté circuits de distribution, l’évolution est positive également, que ce soit en grande surface, en e-commerce ou encore en circuits spécialisés. Ces derniers sont en forte progression, selon l’économiste. « La part des fromages AOP dans les ventes de fromages en France est passée de 24 à 32 % en sept ans. La progression en valeur se fait à la fois par le prix et les circuits de distribution. » Les fromages AOP au lait de chèvre sont les plus vendus en libre-service, à hauteur de 82,5 %. Les prix de vente des fromages AOP affichent une progression de 2,5 % entre 2020 et 2021, tandis que les fromages sans AOP progressent de 1,9 %. En 2021, les fromages AOP se sont vendus en moyenne 6,20 euros le kilogramme de plus que ceux sans AOP. Ce différentiel est en hausse de 0,20 euro par rapport à 2020.
Face à ces chiffres positifs, le président du Cnaol, Hubert Dubien, a rappelé l’équilibre fragilisé des filières AOP à court et moyen terme : « Entre pression du foncier, renouvellement des générations, difficultés à recruter, sécheresse et bouleversements climatiques, les défis se multiplient. » Malgré la notoriété en progression du logo AOP, Hubert Dubien s’inquiète des conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat et la consommation. Les premières tendances de l’année montrent une consommation en léger retrait. Les produits d’appellation étant avant tout des produits « plaisir » et plus haut de gamme, ils pourraient être particulièrement touchés.
Définir des indicateurs économiques
Le projet AOP laitière durable dévoilé en 2021 se déploie progressivement. À date, quarante-cinq AOP ont envoyé leurs engagements. « L’objectif est de finaliser les indicateurs de suivi au niveau du Cnaol, pour ensuite mener le travail de réouverture et modification des cahiers des charges, en lien avec l’Inao, pour 2030, a indiqué le président du Cnaol. Notre démarche collective AOP laitières durables a aussi pour but de donner encore plus de sens au logo pour le consommateur et les institutions. » Sur le volet environnemental, les engagements les plus plébiscités sont l’origine locale des aliments et des fourrages produits sur la zone d’appellation, voire l’exploitation, mais aussi la limitation des concentrés alimentaires en quantité, ainsi que la préservation de la diversité microbienne, notamment liée à la fabrication de fromages au lait cru. Le volet économique est plus difficile à appréhender.
La question de la valeur est centrale pour les AOP. Sa répartition et la transparence de la part de tous les acteurs ne sont pas toujours évidentes. Les éleveurs étant souvent encouragés à détailler leurs coûts de production, ceux des transformateurs et distributeurs, eux, le sont rarement, créant un déséquilibre dans les relations. Plus de 80 % des AOP souhaitent s’investir sur le renouvellement des générations, autant dans les élevages que dans les entreprises de transformation, sur la diversification des circuits de production et de commercialisation, sur la valorisation des produits auprès des acteurs du marché. « Économie et rémunération sont des sujets tabous dans nos métiers. Nous devons permettre à chacun de vivre de son travail. C’est le plus difficile, car cela ne se décrète pas ! » a rappelé Hubert Dubien.
Le loup, menace pour le pâturage
Plusieurs sujets d’actualité ont également été abordés, notamment l’attente du décret sur la mention « fermier » permettant de sécuriser le cadre des produits transformés à la ferme et affinés à l’extérieur. Le décret concernant l’application de la loi Egalim 2 pour les AOP est également toujours en attente, même si le ministre l’a annoncé lors de son discours retransmis en vidéo. La présence de plus en plus forte du loup a également été évoquée, car elle remet en cause pastoralisme et pâturage.
Parmi tous ces défis, Hubert Dubien a tenu à conclure sur une note positive : « Je suis confiant. Nous avons toujours su nous adapter, et le consommateur est notre principal allié. Nous lui offrons ce que nos terroirs ont de meilleur : le bon, le goût, l’authenticité. »
Nutri-Score : exemption pour les AOP
Étiquetage nutritionnel et Nutri-Score sont revenus à plusieurs reprises dans les échanges lors de l’assemblée générale et le président du Cnaol, Hubert Dubien, l’a rappelé dans son discours : « Le Nutri-Score n’est pas compatible avec nos AOP, nous demandons une exemption. » Plusieurs actions ont eu lieu aux niveaux national et européen dans ce sens, et tout récemment, l’autorité italienne de la concurrence s’est prononcée contre.
Fiscalité et restauration collectives menacées
Sébastien Vignette, secrétaire général à la Confédération de Roquefort, à la pointe sur ce sujet, est intervenu pour rappeler que le système du Nutri-Score « malmène de façon injuste l’image de nos produits. Au-delà de l’étiquetage, c’est la fiscalité et notre place en restauration collective qui pourraient être impactées. Et le ripolinage de l’algorithme présenté il y a quelques semaines est insatisfaisant, avec des gains limités, voire une régression pour certains fromages. Ce système ne prend pas en compte les additifs, les acides gras saturés, les micronutriments d’intérêt, le degré de transformation, et n’éduque pas à la portion ! » Il a appelé à l’unité et aux actions collectives sur ce sujet.
Demandes de dérogation temporaires
Les épisodes de fortes chaleurs généralisées ont touché largement les AOP. Dans certains territoires, près de 70 % des éleveurs ont dû arrêter le pâturage et passer en ration hivernale dès cet été, entamant considérablement les stocks fourragers. Dans la crainte d’un manque de fourrage pour passer l’hiver, douze AOP laitières avaient déjà sollicité une modification temporaire de cahier des charges fin septembre. Dans les prochaines semaines, près de la moitié devrait y avoir recours. « S’adapter relève de notre durabilité. Elle se fera dans le respect des fondements de nos AOP en préservant notre lien au terroir et la qualité de nos fromages, beurres et crèmes », a tenu à rappeler Hubert Dubien, président du Cnaol.
Soutenir les jeunes
« La sécheresse est un défi supplémentaire pour nos AOP. Les dérogations sont souvent utilisées pour sécuriser des jeunes installés qui n’ont ni les stocks ni la trésorerie pour des achats de fourrages. On constate que dans les appellations qui vivent des épisodes de sécheresses depuis plusieurs années des solutions ont été mises en place et il n’y a pas de demandes de dérogations. Ces situations extrêmes permettent aussi de mettre en relation les éleveurs avec d’autres producteurs de leur territoire, des céréaliers notamment, et de créer des liens. C’est aussi notre rôle au Cnaol de repérer les initiatives, de partager entre AOP. »