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Le plantain et la chicorée à la rescousse des picodons d’été

Le pâturage de plantain et de chicorée offre une alternative intéressante pour les producteurs de picodons en conditions séchantes. Résultats d’expérimentation à la ferme expérimentale caprine du Pradel.

Un essai mené en 2023 à la ferme expérimentale caprine du Pradel (Ardèche) a évalué les conséquences du pâturage estival de plantes résistantes à la sécheresse telles que le plantain et la chicorée sur la qualité des fromages picodons.

Les parcelles de chicorée et de plantain ont été implantées fin septembre 2022 et associées chacune avec un mélange de trèfles blanc et violet. L’année 2023 a connu un printemps sec sur la zone Drôme-Ardèche avec, sur le site du Pradel, seulement 150 millimètres de pluie cumulés entre janvier et fin mai. L’essai a donc eu lieu dans des conditions séchantes du 5 au 19 juin sur la quatrième pousse des deux cultures. Des tris d’espèces lors de ce tour de pâturage ont montré que nos deux espèces cibles ont représenté plus de 55 % du mélange. Trois lots de vingt-quatre chèvres ont ainsi pâturé à volonté (soit 10 h/j) les parcelles de chicorée, de plantain et de luzerne pour celui en témoin. En complément, chaque chèvre a reçu individuellement 800 grammes par jour de concentrés.

Des cultures avec de bons potentiels agronomiques

Même s’ils restent inférieurs à ceux d’une parcelle de luzerne (10 à 12 t de MS/ha sur toute l’année), les rendements sont très intéressants, avec 5,8 tonnes de matière sèche par hectare pour le plantain et 6,4 tonnes pour la chicorée avec les quatre premières pousses (de mars à mi-juin). Une cinquième pousse a été valorisée à l’automne et a permis de monter les rendements à 7,2 tonnes pour le plantain et 7,9 tonnes pour la chicorée. Ces données sont confirmées par le Ciirpo, station de recherche ovine dans le Limousin (dans le cadre du projet FASTOChe), qui a montré que les rendements de ces deux cultures sont meilleurs si elles sont semées en mélange, comme l’essai réalisé au Pradel.

Les qualités alimentaires de ces plantes sont également satisfaisantes. Toutefois, même si le taux de matière azotée totale de la chicorée et du plantain atteint 14 à 16 % en moyenne sur les quatre premières pousses. Ces plantes semblent également présenter des bonnes digestibilités (estimées en laboratoire), ce qui présage de bonnes valeurs énergétiques. Aucun problème d’appétence n’a été détecté au pâturage, que le plantain soit en fleur ou la chicorée en tige, les chèvres les consomment bien.

Cependant, ces plantes ne peuvent être valorisées qu’au pâturage, car l’utilisation de fourrages fermentés est interdite en AOP picodon. Or, accumuler les tours de pâturage sur une même parcelle pendant une durée supérieure à trois mois est déconseillé d’un point de vue du parasitisme en strongles gastro-intestinaux. Il est donc conseillé de créer une période de rupture de pâturage en faisant, par exemple, pâturer d’autres espèces (bovins ou équins) ou avec de l’affouragement en vert.

Des ressources conformes au cahier des charges AOP

La production laitière des chèvres est similaire pour les lots alimentés avec de la luzerne et ceux avec le plantain avec 4,6 kilos de lait par jour en moyenne. La production est plus faible pour le lot chicorée avec 4,3 kilos par jour, mais le taux butyreux est plus élevé de près de 3 points (33,5 contre 36,2 g/kg de lait) pour le lot chicorée, comparé aux deux autres lots. Sur le taux protéique, les trois lots sont similaires avec 32,5 grammes par kilo de lait. Une baisse de l’urée (150 à 200 mg/l en moins) a été observée pour les lots plantain et chicorée par rapport au lot luzerne (500 mg/l). Ce qui montre une meilleure efficience de l’utilisation des protéines pour ces lots.

Au cours de l’essai, un volet était consacré à l’évaluation de l’aptitude à la transformation fromagère de ces laits en picodon AOP. Les rendements obtenus au démoulage sont légèrement supérieurs pour le lot chicorée par rapport aux lots plantain et luzerne (+0,5 à 0,9 kg de fromage pour 100 kg de lait). Cela peut s’expliquer par une plus forte humidité des fromages, et à un rapport entre TB/TP du lait supérieur pour ce lot. Néanmoins, en fin d’affinage à 12 jours, ces écarts de rendements entre les lots s’amenuisent.

Le jury expert a dégusté les picodons à 18 jours d’affinage et aucune différence n’a pu être mise en avant entre les trois modalités, tant sur l’aspect, l’odeur, la texture et le goût.

Une réflexion collective et prospective sur l’avenir de la filière picodon

En parallèle des essais au Pradel, la filière picodon a mis en place une réflexion collective pour réfléchir au futur de l’AOP dans le contexte climatique changeant. Dans le cadre du projet ADAoPT, trente-deux producteurs ont participé à une journée de débat en novembre 2022, au cours de laquelle le jeu de La Grange, développé par Inrae, a été mobilisé. L’approche globale du jeu a permis de prendre du recul pour analyser les équilibres en place au sein du territoire. À la fin de la journée, trente idées d’actions diversifiées ont été formulées. Un questionnaire en ligne a ensuite été envoyé à l’ensemble des producteurs de l’appellation d’origine protégée pour rendre prioritaire ces actions. À l’issue de ce sondage, quatre thématiques sont ressorties : l’eau (économie d’eau, gestion de l’eau) ; les fourrages (approvisionnement, variétés résistantes, séchage, pastoralisme) ; l’économie et la valorisation ; le travail (conditions, pénibilité, mécanisation, loup).

Des groupes de travail dédiés réfléchissent à des solutions concrètes. Sur l’eau, par exemple, quatre éleveurs volontaires se réunissent tous les trimestres pour affiner un plan d’action et apporter des solutions à leurs pairs. Après avoir identifié les principales problématiques – irrigation, abreuvement, mais surtout nettoyage des installations de traite et de la fromagerie –, un questionnaire a été diffusé au printemps 2024 auprès des cent trente élevages de l’appellation pour mieux connaître les usages de l’eau dans les exploitations ; vingt-cinq réponses sont revenues complètes. Plusieurs fiches pratiques seront rédigées d’ici au début l'année 2025 pour répondre aux questions concrètes d’éleveurs identifiées dans l’enquête.

Par ailleurs, des éleveurs de l’AOP ont intégré des groupes Cap’Climat Territoire dans le but de coconstruire des systèmes adaptés au changement climatique, notamment sur la question fourragère, et donc de définir des leviers d’adaptation adaptés localement.

Les AOP doivent s’adapter au changement climatique

Les dernières années ont été marquées par des sécheresses intenses successives et donnent lieu sur les zones en AOP/IGP à l’augmentation de demandes de dérogation en lien avec la production fourragère. Ainsi, les filières se questionnent sur les leviers d’adaptation mobilisables au regard de leurs cahiers des charges. C’est dans cet objectif qu’a été mis en place le projet national ADAoPT, porté par le Conseil national des appellations d’origine laitières. Il vise à accompagner les AOP laitières dans l’adaptation au changement climatique, en leur permettant d’appréhender ses conséquences sur les ressources naturelles de leur terroir, en lien avec la qualité des fromages produits et en cohérence avec les caractéristiques fondamentales de ces signes de qualité. L’AOP picodon est partenaire du projet et a ainsi bénéficié de deux types de travaux. D’abord une expérimentation sur les conséquences du pâturage estival de plantes résistantes à la sécheresse à la Ferme du Pradel. Ensuite, une réflexion sur les avenirs possibles de la filière dans un contexte de changement climatique marqué.

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