La chèvre Cachemire à la conquête du Beaujolais
Le lancement par un petit groupe d’éleveurs d’une production de cachemire en Rhône-Alpes fait naître une nouvelle filière caprine en France.
Lancer une production de cachemire française, c’est le défi que s’est lancé un groupe d’éleveurs et de techniciens de Rhône-Alpes. Si leurs cheptels cumulés s’élèvent pour le moment à 200 chèvres, ils comptent bien faire des émules pour arriver rapidement à 1 000 ou 1 500 animaux. « Ça peut être une production intéressante pour les agriculteurs et viticulteurs qui cherchent des ateliers de diversification, expliquent-ils. C’est aussi une alternative pour l’entretien des parcelles en reconversion ou en déprise, notamment dans le Beaujolais où beaucoup de viticulteurs cherchent des issues à la crise ». Les chèvres cachemires ont la particularité de pouvoir jeûner et résister à des températures très extrêmes ; elles sont donc parfaitement adaptées à un élevage extensif en plein air intégral et peuvent servir pour l’entretien de jachères, de taillis… La grande région lyonnaise, qui possède une tradition industrielle et artisanale dans la confection de produits de haut de gamme, comme la soierie, est bien adaptée au lancement d’une activité supplémentaire dans le textile de luxe. Le savoir-faire et les outils utilisés pour travailler la soie sont en effet les mêmes que pour travailler le cachemire.
Un sous-poil de qualité extraordinaire
Le cachemire est un sous-poil de la chèvre présentant des qualités de finesse (14 à 18,5 microns) et de longueur (35 à 70 cm) extraordinaires. La chèvre cachemire n’est pas une race mais on désigne ainsi les chèvres rustiques présentes dans plusieurs régions du monde et qui ont la capacité de produire cette fibre rare et précieuse. Ces chèvres issues de contrées d’altitude ou de steppes de climat froid gardent leur capacité de production de sous-poil, même placées dans d’autres zones géographiques, et cette capacité peut être améliorée par la sélection génétique. Les expériences françaises connues montrent qu’une chèvre cachemire produit 120 à 180 g de poils fins remplissant les caractéristiques du cachemire par an. La qualité ou finesse du cachemire d’un animal ne change pas mais la quantité produite évolue tout au long de sa vie. Les conditions d’élevage peuvent aussi avoir un impact sur la production de cachemire. Si l’animal est trop nourri, le poil risque d’être moins fin ; s’il ne l’est pas assez, il sera cassant. Les sous-poils constituants le cachemire sont cachés sous une toison de poils longs et grossiers qu’il va donc falloir trier.
Un seuil critique pour s’équiper
Mais transformer cette fibre nécessite des investissements. « À la différence du mohair, le cachemire est tellement fin qu’il ne peut pas être transformé à l’ancienne, il faut du matériel professionnel. explique Olivier Cuer, éleveur de chèvres angora et cachemire, et président de l’Association française des éleveurs de chèvre cachemire. Pour cela, il y a un seuil critique à atteindre, estimé à 300 kilos. Difficile d’atteindre seul ce seuil. Pour ma part je ne produis qu’une trentaine de kilos avec mes 80 chèvres. Il faut s’organiser à plusieurs pour avoir une filière qui tourne. » Les éleveurs français et leurs partenaires se sont aujourd’hui regroupés au sein de l’Association française des éleveurs de chèvres cachemire. Ils réalisent le tri, l’éjarrage et le contrôle qualité de leur matière. Pour maîtriser les coûts et donc leurs revenus, ils ont acquis, avec le soutien de la Région Auvergne Rhône-Alpes et de la Fondation Hermès, une éjarreuse qui devrait pouvoir entrer en fonction en juillet. « Le fait d’avoir un groupe comme la fondation Hermès qui croie en nous, c’est très valorisant, se réjouit Olivier Cuer. Aujourd’hui, en nous associant, nous avons entre 150 et 200 kilos de fibre brute à passer à l’éjarreuse. »
Les éleveurs feront ensuite faire le filage et cardage à façon pour récupérer le fil et le faire transformer en une large gamme de pelotes de laine, pulls, chaussettes ou bonnets. Le développement du nombre d’éleveurs et d’animaux devrait permettre la mise en place d’une chaîne de sous-traitance pour réaliser des produits 100 % français, de très haut de gamme, à forte valeur ajoutée. Ces produits pourront être commercialisés par le réseau agro-touristique du Beaujolais, région lyonnaise et Rhône-Alpes.
L’association des éleveurs de chèvres cachemire prévoit de travailler avec l’Inra et Capgènes pour contrôler les qualités de production des reproductrices et introduire des boucs de l’étranger. Les critères de sélection reposent sur la finesse et la longueur de la fibre ainsi que le poids de cachemire produit par an mais aussi son homogénéité et la conformité aux standards morphologiques. La chèvre cachemire a aussi de très bonnes qualités bouchères et gastronomiques qui permettent d’espérer valoriser la viande de très bonne façon. Avec ces deux productions, les premières études économiques réalisées montrent un revenu estimé entre 800 et 900 euros par chèvre.
Des chèvres rustiques adaptées au plein air intégral
Un marché mondial dominé par la Chine et la Mongolie
La production de cachemire dans le monde est estimée à 18 000 tonnes, venant de Chine à 65 % avec 38 millions de chèvres et de Mongolie à 20 % avec 11,5 millions de têtes. Depuis 10 ans, les ventes de produits cachemire sont en progression constante en Europe et en France, mais ils sont exclusivement importés en produits finis ou semi-finis. L’origine des produits est principalement la Chine ou la Mongolie, puis la Turquie. En 2014, le marché français du cachemire était de l’ordre de 100 millions d’euros. 70 % du marché était partagé entre les trois « grands » du luxe : Éric Bompart, Hermès, LVMH, et les 30 % restants étaient partagés entre 70 petits opérateurs. À titre d’exemple, Éric Bompart, dont la renommée est importante achète et transforme toute sa laine cachemire en Chine dans une usine partenaire. Les industriels français approchés par l’association trouvent un intérêt à long terme à la diversification de leurs approvisionnements du fait de l’augmentation des coûts de production et de la diminution des quantités produites en Chine et Mongolie.