Des marraines pour éduquer les chevrettes
L’Inrae a placé pendant deux mois des chèvres adultes avec des chevrettes recevant du lait reconstitué. Le but de ces marraines : ajouter un enrichissement social, potentiellement favorable aux jeunes. Résultats d’essais exploratoires.
La majorité des éleveurs séparent les chevreaux et chevrettes de leur mère à la naissance, principalement pour limiter la transmission de maladies tel que le Caev ou la paratuberculose. Si le colostrum et le lait peuvent être remplacés par du colostrum thermisé ou du lait reconstitué, les autres rôles de la mère, comme les soins, les contacts corporels apaisants et la socialisation, ne sont pas toujours compensés. En observant et imitant leur mère, les jeunes apprennent progressivement à manger solide et à identifier les dangers.
Sur la base de recherches antérieures effectuées chez l’agneau et d’avis d’éleveurs caprins, l’Inrae, en partenariat avec l’Anses et l’Institut de l’élevage, a testé l’élevage de chevrettes en présence de chèvres adultes non allaitantes. À l’unité expérimentale de Bourges (Cher), douze jeunes chevrettes ont été placées avec deux chèvres adultes non allaitantes et ayant déjà mis bas, les « marraines ». Ces marraines sont restées soixante jours avec les chevrettes puis ont été retirées une semaine avant le sevrage. Un autre lot de douze chevrettes est resté sans marraine. Des opérateurs de l’Inrae ont noté le comportement des animaux toutes les cinq minutes, six heures par jour et deux jours par semaine.
Je t’aime, moi non plus
« Globalement, les chevrettes avec marraines ont passé davantage de temps en repos, explique Raymond Nowak, le chercheur de l’Inrae. Elles ont aussi moins joué, couru ou sauté que celles sans marraines. » Dans l’expérience, les chevrettes avaient un espace où elles étaient les seules à pouvoir aller, séparées des marraines par des barrières aux barreaux resserrés. Les chevrettes avec marraines ont passé moins de temps dans cette zone protégée que celles sans marraines. Une fois les marraines enlevées de l’enclos, les chevrettes se sont même réapproprié l’espace.
Les interactions entre les adultes et les chevrettes étaient aussi enregistrées. Avec cette méthode de mesure, les activités de contact telles que le flairage sont restées des événements rares et furtifs. Les contacts sociaux étaient parfois de l’évitement et deux chevrettes n’ont jamais été vues interagir avec les marraines. « Il y a des interactions différentes qu’avec les mères, observe Raymond Nowak. Entre les marraines et les chevrettes, c’est un peu je t’aime, moi non plus. »
Des chevrettes plus curieuses mais pas plus grosses
Contrairement à l’hypothèse initiale, la présence des marraines n’a pas significativement influencé la consommation d’aliments solides et la croissance des chevrettes était similaire dans les deux groupes. Cependant, l’arrière-train des chevrettes élevées avec marraines apparaît à certains moments plus propres. Cet effet qui pourrait être lié à un partage de microbiote avec les adultes suggère un meilleur état de santé global.
Des tests comportementaux réalisés après un mois et demi de cohabitation ont montré que les chevrettes élevées avec des marraines bêlaient moins lorsqu’elles étaient isolées dans un couloir inconnu. Elles se montraient plus curieuses et exploraient davantage cet environnement lorsqu’elles étaient placées entre deux cases contenant soit les marraines, soit des chèvres inconnues. Elles passaient également plus de temps près des marraines que les chevrettes élevées an allaitement artificiel standard. Malgré le peu d’interactions sociales observées dans l’enclos d’élevage, les marraines sont attractives et rassurantes pour leurs chevrettes dans des situations d’inconfort.
« La cohabitation se passe bien et on peut penser que les adultes enrichissent la flore intestinale des chevrettes », résume Raymond Nowak. Cette première étude exploratoire va se poursuivre en étudiant notamment le comportement après le sevrage et les effets sur la santé des adultes. Les marraines étaient indemnes de Caev mais pas à la paratuberculose. Les chevrettes auront des prélèvements sérologiques pendant au moins trois ans pour voir une éventuelle contamination. Il reste aussi à évaluer cette technique en élevage commerciale et voir notamment à partir de combien de marraines il peut avoir un effet sur la transmission du microbiote vers les jeunes.