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Alimentation
Un écart entre la recherche et la réalité sur le terrain pour le calcul de la ration

Les objectifs des éleveurs (limitation des achats d´aliment, saturation de la capacité d´ingestion des animaux.) seraient à l´origine du non-respect des recommandations alimentaires de l´Inra.


UF ou PDIN sont des sigles qui devraient remémorer quelques souvenirs à tous les éleveurs, particulièrement aux plus jeunes d´entre eux. Appris sur le banc des écoles, le calcul de rationnement et les tables qui y sont associées ont été élaborés par l´Inra. Pour autant, cet institut n´avait aucune idée quant à ses réelles applications jusqu´à une étude, faite en partenariat avec la chambre départementale d´agriculture de la Creuse et présentée aux 14e Rencontres Recherches Ruminants. Elle a permis aux scientifiques d´y voir un peu plus clair. L´objectif de cette étude était de mieux connaître le raisonnement des éleveurs allaitants creusois lorsqu´ils distribuent les rations alimentaires hivernales à leurs animaux. Huit éleveurs de Charolais et quatre de Limousins se sont portés volontaires pour une étude sur deux ans, durant les hivers 2004 et 2005. Les naisseurs-engraisseurs représentaient un tiers environ, et les deux-tiers restants géraient un système intermédiaire avec vente de broutards et finition de génisses de boucherie.
Patrick Veysset, chercheur à l´Inra de Clermont-Theix. « Le calcul de ration tel qu´il est préconisé a avant tout une valeur analytique. » ©E. Durand

La méthode
Durant l´hiver, un technicien passait trois fois dans chaque élevage afin de quantifier la quantité de stock fourrager et d´aliment de l´exploitation et son évolution. Il suivait en même temps les lots d´animaux, définis à l´avance, en notant la variation d´état corporel pour les vaches et la variation de poids pour les génisses et les mâles à l´engrais, ainsi que les rations distribuées. En parallèle, des échantillons de fourrage ont été analysés par l´Inra de Clermont-Theix.
D´après l´analyse de ces fourrages (foin et ensilage), la valeur énergétique reste à peu près conforme à celle des tables Inra mais les valeurs azotées (PDIN) sont 20 à 30 % plus faibles que celles des tables. On note aussi une grande variabilité entre exploitations. Les chercheurs ont constaté que finalement « c´est l´autonomie en matière sèche (MS) qui est recherchée, et le tonnage récolté prime sur la valeur nutritionnelle. » Patrick Veysset insiste : « la ressource principale est le foin, même s´il est récolté tardivement, car le but premier est de remplir la grange (objectif de quantité) ».

Au niveau du bilan alimentaire, explique-t-il, « les besoins énergétiques sont couverts à 98 % par les fourrages grossiers, alors que les besoins azotés ne le sont qu´à 71 %, du fait de la faible valeur en PDIN des foins ». Cependant « il est intéressant de noter que les éleveurs, d´un point de vue énergétique sur-évaluent les doses. Par exemple, les vaches adultes reçoivent 10 à 17 % d´UF en trop et les génisses de 1 an, avec une croissance importante, 9 à 16 % d´UF supplémentaire. Ces résultats, s´ils sont proches quelle que soit l´année, sont assez différents entre systèmes de production. Il y a donc « un effet système ». Les naisseurs-engraisseurs sur-évaluent davantage que les naisseurs, de même que les éleveurs ayant opté pour les vêlages d´automne ont plus tendance à sur-évaluer, que ceux en vêlages d´hiver. Et Patrick Veysset continue sur le fait « qu´à l´engraissement, les éleveurs dépassent de 30 à 40 % les normes de l´Inra, car ils ne veulent prendre aucun risque sur l´état de leurs animaux. » Par contre, la race (Charolaise ou Limousine) ainsi que l´altitude (de 350 à 650 m) ne semblent pas jouer sur le système d´alimentation et expliquer ces écarts au modèle.

Objectifs de l´éleveur
Les objectifs premiers des éleveurs semblent donc être, selon l´étude, « de saturer la capacité d´ingestion des animaux avec le fourrage et de limiter les achats, tout en simplifiant les pratiques ». La stratégie de rationnement est plus liée à l´habitude qu´à un raisonnement lié au tables Inra, particulièrement lorsque les animaux ne perdent pas d´état. A l´inverse, l´augmentation du prix des céréales ou un autre changement de contexte va probablement modifier la stratégie de l´agriculteur.
« Afin d´équilibrer les rations, il faudrait théoriquement substituer, en moyenne et par exploitation, douze tonnes de céréales par quatre tonnes de tourteau. En 2005, cette opération n´aurait pas eu de conséquences financières. Avec le prix des céréales de 2007, il y a un potentiel d´économie de près de 1200 euros par exploitation, sans compter une probable meilleure valorisation de la ration », explique Patrick Veysset.

Il poursuit sur le fait que « les éleveurs ne veulent pas jouer sur l´effet accordéon de leurs animaux, ce qu´aurait tendance à recommander l´Inra, car ils n´ont pas d´indicateur pour savoir jusqu´où ils peuvent puiser dans les réserves et les capacités d´adaptation de leurs animaux. Ils ne veulent pas prendre de risques ».
Au final, les objectifs des éleveurs sont liés à leur environnement et les recommandations de l´Inra devraient peut-être plus en tenir compte, de même pour les méthodes de conseil aux éleveurs. « Plutôt qu´être normatifs, il vaudrait mieux s´appliquer aux objectifs des éleveurs », conclut Patrick Veysset. Il est vrai, comme le fait remarquer un agriculteur de l´assistance, que « faire du rationnement avec un animal, c´est possible. Mais sur un troupeau, c´est nettement plus compliqué. Mettre une balle de foin à disposition en permanence est quand même ce qu´il y a de plus simple à gérer ».

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