Renouvellement des générations : « J’ai fait en sorte de garder une structure à taille humaine et fonctionnelle »
Après 41 ans d’activité, Jean-Claude Flacelière, à la tête d’un troupeau de charolaises à Liernolles dans l’Allier, s’apprête à transmettre son exploitation à un ancien stagiaire, Émerick Marionnet, avec qui il a toujours entretenu de bonnes relations. Le petit corps de ferme, fonctionnel et d’un seul tenant, facilite la reprise en cours.
Après 41 ans d’activité, Jean-Claude Flacelière, à la tête d’un troupeau de charolaises à Liernolles dans l’Allier, s’apprête à transmettre son exploitation à un ancien stagiaire, Émerick Marionnet, avec qui il a toujours entretenu de bonnes relations. Le petit corps de ferme, fonctionnel et d’un seul tenant, facilite la reprise en cours.
Jean-Claude Flacelière, 63 ans, a commencé à songer à prendre sa retraite il y a deux ans. Parti de zéro au début des années 1980, l’éleveur a façonné son système de sorte à conserver une structure d’exploitation à taille humaine, qui lui permette de dégager un revenu mais aussi de disposer de temps libre pour construire sa vie de famille. « J’avais pour objectif de longue date de faire installer un jeune à ma suite, explique Jean-Claude. Mais je souhaitais trouver une personne de confiance, qui continue d’entretenir avec soin le parcellaire et son bocage bourbonnais typique de l’Allier. » Le futur cédant tenait également à passer la main à quelqu’un qui, comme lui, ne se lancerait pas dans une course folle à l’agrandissement et à l’achat d’équipements surdimensionnés.
Des investissements rationalisés
En effet, Jean-Claude a raisonné ses investissements tout au long de sa carrière pour limiter le montant des capitaux à reprendre. Côté bâtiments d’élevage, après la construction d’une stabulation en 1993 pouvant loger 38 vaches, ses choix se sont portés sur la mise en place de deux tunnels, en 2007 et en 2017, pour abriter le reste du troupeau. Chacune des installations isolée et aménagée, de 36 mètres de long par 12 de large, a représenté un coût total de 50 000 euros. Deux hangars de stockage pour le matériel, les fourrages et la paille complètent le tout, dont un a été agencé à partir d’une ancienne étable entravée. « Un espace fait office de case de vêlage ou de box d’infirmerie. La chaîne de curage est toujours fonctionnelle », fait savoir Jean-Claude.
S’agissant du parc matériel, là encore l’exploitant a fait en sorte de se cantonner au strict nécessaire : deux tracteurs de 75 chevaux, avec benne et pailleuse, dédiés aux soins des animaux et un tracteur de tête de 120 chevaux pour le labour. « Le chantier d’enrubannage est délégué à une ETA et je dispose du reste du matériel de récolte en Cuma », explique-t-il. « La bonne anticipation de son départ à la retraite permet à Jean-Claude de bénéficier davantage de temps avant la cessation d’activité pour revendre le matériel, soumis aux plus-values, que le repreneur ne souhaite pas lui racheter », observe Laurent Brun, expert-comptable à Auverco, qui accompagne Jean-Claude dans ses démarches.
Et en attendant de trouver le candidat idéal, Jean-Claude s’est promis de « maintenir une qualité de cheptel et une rigueur de conduite jusqu’au moment de passer la main ». Il a été d’autant plus motivé lorsqu’il a fait la connaissance d’Émerick Marionnet, venu en stage dans le cadre de sa 4e et 3e technologique en production animale, il y a une dizaine d’années. Fils d’éleveur de vaches allaitantes dont l’exploitation est située à seulement 4 kilomètres de celle de Jean-Claude, Émerick, 33 ans, a toujours voulu devenir agriculteur. N’ayant pas la possibilité de s’installer sur la ferme familiale, ce dernier s’est orienté dans la maçonnerie en attendant qu’une opportunité de reprise se présente. Les deux hommes étant toujours restés en contact, c’est tout naturellement que Jean-Claude s’est tourné vers Émerick pour lui proposer de prendre sa suite, en anticipant sa cessation d’activité prévue en novembre 2024. « C’est toujours plus facile de céder à quelqu’un qui connaît déjà la structure et avec qui l’entente est bonne », confie Jean-Claude.
De son côté, Émerick a eu le temps de laisser mûrir son projet, avant de se lancer comme chef d’exploitation. « Jean-Claude dispose d’une taille de structure adaptée pour une reprise individuelle, avec des bâtiments fonctionnels, souligne Émerick. La proximité géographique avec l’exploitation de mes parents, qui donne la possibilité de s’entraider et de partager le matériel, m’aide d’autant plus à me projeter et ne me contraint pas à réaliser de nouveaux investissements dans l’équipement. » Le parcellaire groupé et une partie des terres drainées (30 ha) sont un plus. Le site dispose également, selon Émerick, d’un potentiel pour construire par la suite.
Faire le lien avec les propriétaires pour renouveler le bail à ferme
Sous réserve de l’accord des propriétaires, le repreneur projette de poser des panneaux photovoltaïques sur le hangar de stockage le plus récent et de créer une extension. C’est là que réside la plus grosse difficulté dans la transmission de cette exploitation : le bâti a été construit avec autorisation sur sol d’autrui. De même, les terres qui entourent le site - 126 hectares au total - sont en location. Sur ce point, l’anticipation du départ à la retraite de Jean-Claude prend tout son sens. Le futur cédant, qui dit se porter « garant d’Émerick auprès des propriétaires », a été à l’initiative de plusieurs entrevues pour établir le lien et gagner leur confiance. La signature d’un compromis de bail rural se dessine pour les 66 hectares, mais s’agissant des 60 hectares restants, les négociations restent encore à mener pour convaincre les seconds détenteurs de renouveler le contrat au repreneur. Émerick devra s’armer de patience et certainement conserver une activité à temps partiel, le temps de disposer d’une taille de foncier suffisante pour se dégager une rémunération d’au moins 2 Smic/UMO.
À son démarrage, le trentenaire a l’intention de reprendre 30 vaches charolaises, conformément au contrat de cheptel de fer signé avec le propriétaire, qu’il complétera par l’achat de 10 autres jeunes vaches et génisses d’élevage. Concernant les stocks fourragers, Émerick les rachètera à la valeur au moment de la reprise. En rythme de croisière, il espère monter à 80 têtes en race pure sur la surface totale reprise de 126 hectares, l’issue finale étant du ressort des propriétaires.
Alors que Jean-Claude finalise l’expertise de son patrimoine pour définir la valeur de la cession au « juste prix » avec son cabinet d’expert-comptable Auverco et les notaires, un travail commun est mené avec la chambre d’agriculture départementale, qui accompagne dans le même temps Émerick dans son parcours de formation et le montage de son dossier à présenter sous peu à la banque. « Il convient de mobiliser la ressource humaine de chacun. Un départ à la retraite, c’est une étape qui se prépare sur le plan moral. L’arrêt d’un métier aussi prenant que celui d’éleveur, exercé avec passion et souvent dès le plus jeune âge, est vécu comme un véritable changement de vie », soutient Laurent Brun.
Pour en savoir plus | Renouvellement des générations : remporter son dernier challenge professionnel
Chiffres clés
- 156 ha de SAU dont 133 de STH et 23 de céréales autoconsommées (triticale, orge, avoine)
- 30 ha en propriété sur le site d’installation historique à 6 km, le reste en location
- 85 mères charolaises en système naisseur avec broutards alourdis en race pure et croisés à 550 kg de moyenne
- 1 UMO
Laurent Brun, responsable du service comptable agricole au sein du cabinet d’expertise comptable Auverco, membre du groupement AgirAgri
« Respecter un capital à reprendre en phase avec la rentabilité de l’entreprise »
« Pour rendre sa structure cessible, l’exploitant agricole doit se prêter à l’exercice difficile mais crucial de respecter un capital à reprendre en phase avec la rentabilité de l’entreprise. Dans le cas de l’exploitation de Jean-Claude Flacelière, le ratio EBE avant charges de main-d’œuvre/produit brut s’établit à 38 % en moyenne, un peu au-dessus de la norme en lien avec la bonne conjoncture bovine. En revanche, l’actif mobilisé pour dégager 1 € d’EBE se situe à 2,8 €, contre 7 € en moyenne en bovins viande. Cet écart raisonnable entre le capital et la rentabilité rend plus aisée la transmission. Les charges de structure par hectare (hors amortissements et frais financiers), à 473 € dont 187 € de frais de mécanisation, sont maîtrisées. En face, la marge brute de l’atelier s’élève à 709 €/ha SFP.
Autre enjeu de taille, les modalités de transfert du capital d’exploitation et du patrimoine doivent être analysées assez tôt car elles engagent le cédant et le repreneur pour de longues années. La fiscalité liée à la transmission est un point à ne pas négliger au risque de mauvaises surprises au moment de la cession. Une fois la date présumée de départ à la retraite fixée, il convient d’établir un audit afin de mesurer les impacts des actifs du bilan à sortir en termes de prélèvements fiscaux et sociaux. S’ensuit une estimation de l’état des besoins privés en retraite (revenu foncier, capital réalisé à la vente…). En fonction du diagnostic réalisé, un plan d’actions doit être mis en place pour réduire l’impact à la fois des plus-values générées par la cession, des réintégrations fiscales, de l’augmentation du patrimoine privé liée à la vente de biens professionnels ou encore de la revalorisation des stocks. »
Côté éco
- EBE moyen 75 000 € soit 480 €/ha
- Produit brut moyen 1 256 €/ha
- Chargement 1,1 UGB/ha
- Endettement 18 %
- Capitaux propres 450 000 €