Prairies : « Nous semons le même mélange multiespèces sur toutes les parcelles »
En Meurthe-et-Moselle, le Gaec du Cytise a arrêté son choix sur un unique mélange de cinq espèces pour ses prairies temporaires. Il s’équilibre en fonction de la parcelle et de la météo. La luzerne permet de rallonger le tour de pâturage.
En Meurthe-et-Moselle, le Gaec du Cytise a arrêté son choix sur un unique mélange de cinq espèces pour ses prairies temporaires. Il s’équilibre en fonction de la parcelle et de la météo. La luzerne permet de rallonger le tour de pâturage.
Au Gaec du Cytise, à Mandres-aux-Quatre-Tours en Meurthe-et-Moselle, Tristan Choné, associé avec sa femme Anne et sa sœur Aline, ont construit un système bio dans lequel leurs limousines sont nourries uniquement avec les prairies. Le seul concentré que le troupeau consomme est les écarts de tri des céréales produites. « Tous les ans, nous semons huit à dix hectares de prairies temporaires, et il n’y a pas le droit de se louper sur leur installation », présente Tristan Choné.
Les prairies du Gaec sont réparties entre les plateaux argilo-calcaires de Haye plutôt séchants et les sols argileux humides en Woëvre. Après deux ou trois ans de réglage des proportions et de choix des espèces, les éleveurs ont opté pour un unique mélange composé de 8 kg de fétuque élevée, 8 kg de RGA, 7 kg de luzerne, 1,5 kg de trèfle blanc et 6 kg de trèfle violet. « Ce mélange me va bien. Il est souple à gérer aussi bien en pâture qu’en fauche. Les variétés sont choisies plutôt tardives, car pour la fauche, on ne fait que du foin. » L’enrubannage est évité au maximum par souci de simplicité et pour limiter la consommation de plastique. Le pâturage est tournant dynamique, avec des paddocks de 0,5 ou 1 hectare, et un temps de séjour maximum de 48 heures.
Semis au printemps dans une céréale
Le Gaec du Cytise conserve sa pluviométrie sur l’année, mais fait face désormais assez régulièrement à se retrouver cinq mois consécutifs sans eau avec des fortes chaleurs. « On voit un peu plus la fétuque élevée quand il y a des gros coups de chaud, mais elle ne donne pas de rendement. La luzerne et les trèfles valorisent l’eau des fonds et sont les premiers à repousser après le retour de la pluie. »
Tristan Choné utilise 80 % de semences de ferme, ce qui lui revient à environ 100 euros par hectare (coût de la moisson). Il sème en effet des trèfles et des luzernes pures pour un an dans le but de nettoyer certaines parcelles entre deux céréales bio et capter l’azote, ce qui lui permet en même temps de faire sa semence. Pour les graminées, il a l’opportunité de le faire dans des parcelles où, soit la fétuque élevée, soit le ray-grass sont devenus ultra-majoritaires avec le vieillissement du couvert. « Je rachète des semences certifiées bio choisies sans prise de tête parmi les variétés que propose ma coopérative. » Tristan Choné est équipé pour trier les semences et fabrique son mélange pour un hectare à la fois, en le transvasant trois à quatre fois d’un caisson à un autre avant de remplir le semoir.
« J’ai un semoir frontal à la volée que j’ai construit moi-même, et j’attelle à l’arrière la herse étrille de 12 mètres. » L’éleveur sème au printemps dans les céréales en place. Cela va bien dans l’orge, le blé, l’épeautre, le seigle… « Avec des semences qui ne m’ont coûté que 3 à 4 euros le kilo et qui nécessitent peu de temps de travail à dégager, je n’ai pas peur d’aller sur un créneau ambitieux. Généralement, au 15 mars j’ai fini de semer les prairies. En avril, le risque de conditions séchantes est plus fort. »
Pâturage de luzerne et stocks sur pieds
Les prairies temporaires donnent en moyenne 5 tonnes de matière sèche par hectare (tMS/ha). Elles sont conservées entre deux et trois ans seulement, car dans ce système, elles constituent l’outil pour éliminer les adventices des parcelles dans lesquelles se succèdent six ou sept céréales en bio. La durée des prairies temporaires n’est donc pas un objectif.
La luzerne se plaît et prend beaucoup de place dans les multiespèces sur les plateaux de Haye. Elle est souvent pâturée à différentes périodes de l’année. « Je la conduis en fil avant pour 24 heures. Le fil est avancé le soir, au moment où il n’y a pas de rosée et que les plantes sont pleines de sucres. La luzerne est ainsi plus digeste », explique l’éleveur. C’est tôt au printemps et à l’automne, quand la plante est très poussante et qu’il fait froid et humide, que le risque de météorisation est le plus important. « Il m’arrive de dérouler une botte de foin à l’avance au sol pour quatre ou cinq paddocks journaliers. Les vaches mangent d’abord la luzerne puis finissent la journée sur le foin avant d’attaquer le soir le nouveau paddock de luzerne. » Tristan Choné estime gagner 60 jours de pâturage par an pour l’ensemble du troupeau grâce à la luzerne et à la gestion du pâturage.
« Les euros s’envolent quand on sort une botte de foin du bâtiment, alors j’ai développé depuis longtemps une alternative pour les périodes sans pousse : les stocks sur pieds », explique aussi l’éleveur. « Ce qu’André Voisin appelait du sécheron ou demi-sécheron dans son ouvrage de 1957 Productivité de l’herbe ». Au printemps, une partie des paddocks qui pourrait être récoltée en foin sont laissés sur pied. En été, quand la pousse de l’herbe ralentit et que l’herbe verte se fait rare, le lot de vaches gestantes pâture ces paddocks au fil à raison de 30-40 m² par vache et par jour (en moyenne 7 ha nourrissent les 25 vaches du 15 juillet au 1er octobre) sans complémentation. « C’est équivalent à un foin moyen d’après l’analyse. Selon la période, il y a plus ou moins de refus. L’avantage d’avoir cette densité d’animaux, c’est que les refus sont piétinés et font office de litière au sol, ce qui est favorable à la repousse de la prairie dès les premières averses. »
Chiffres clé
Avis d’expert - Amélie Boulanger, conseillère Herbe et fourrages à la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle
« Des prairies productives et à valeur alimentaire équilibrée »
« Les éleveurs sont dans la logique d’un système où les charges sont toutes maîtrisées au maximum, et où les prairies temporaires libèrent assez rapidement leur place pour les céréales en agriculture biologique. Ils ont choisi un mélange multiespèces simple qui passe partout et qui a un coût d’implantation limité grâce à la production de semences. Selon le climat et la nature de la parcelle, le couvert évolue durant les deux à trois années de son exploitation en restant productif et en s’adaptant au contexte pédoclimatique. Sa valeur alimentaire est équilibrée et correspond aux besoins du troupeau allaitant. »
Un « triticale pois » semé dans une prairie
Pour augmenter la production fourragère d’une prairie naturelle dégradée après avoir servi de « parking », Tristan Choné a essayé d’y semer pendant deux ou trois ans en direct une association triticale pois. « Quand les conditions sont réunies, je fais pâturer un lot de 25 vaches suitées pendant une bonne dizaine de jours en fin de printemps, période à laquelle les pois sont au stade recherché (fin remplissage des gousses) sur un hectare – soit une bande de 20 m2 par vache et par jour – avec un fil avant et un fil arrière », partage l’éleveur.
Un râtelier avec de la paille permet de jauger si les vaches ont à disposition leur ration quotidienne. « C’est en effet très difficile à jauger à l’œil, car la densité du couvert varie beaucoup d’un endroit à l’autre de la parcelle. » L’éleveur estime le rendement à 5 tMS/ha.
Ce pâturage est disponible avant que la pousse de l’herbe ne soit lancée. Il a aussi l’intérêt d’apporter une forte fertilisation à la parcelle par la concentration des bouses et pissats. L’éleveur ne pratique pas systématiquement cette technique, car le résultat est incertain et il faut être très réactif pour semer, ce qui n’est pas si évident avec du matériel en Cuma.
« Cette technique est très aléatoire. On a observé beaucoup d’échecs en sursemis dans des prairies permanentes d’après nos expérimentations ces dernières années. Les résultats semblent meilleurs en prairie temporaire. Un sursemis réussi de triticale pois peut faire gagner 2 à 3 tonnes de matière sèche par hectare en moyenne », avise Amélie Boulanger, de la chambre d’agriculture de Moselle.