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Le retour en force des accords de libre-échange met sous pression la filière bovin viande

La Commission européenne compte placer les traités commerciaux parmi ses dossiers prioritaires en 2023. Quasi tous les accords sur le point d’être ratifiés ou en cours de négociation incluent des contingents de viande bovine. Autant de nouvelles qui ne laissent présager rien de bon pour les producteurs européens.

Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, l’avait annoncé lors de son discours sur l’état de l’Union : elle proposera en 2023 la ratification des accords avec le Chili, le Mexique et la Nouvelle-Zélande, et poursuivra les négociations avec des « partenaires importants », comme l’Australie et l’Inde. L’élection de Lula à la tête du Brésil, plus sensible à la cause environnementale que son prédécesseur, ouvre également une opportunité pour Bruxelles de débloquer le processus de ratification avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), resté en suspens depuis 2019.

La Suède, qui préside le Conseil de l’Union européenne (UE) depuis le 1er janvier 2023, et l’Espagne, qui prendra la suite, ne cache d’ailleurs pas leur ambition à soutenir le programme de libre-échange dans la région indo-pacifique et en Amérique latine.


Mercosur, la crainte d’une ratification imminente

Parmi les nombreux accords sur la table, c’est de loin celui du Mercosur qui suscite le plus d’inquiétudes au sein de la profession. Au début de cette année, le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans avait déclaré que l’UE espérait signer l’accord « avant le prochain sommet avec l’Amérique latine qui aura lieu les 17 et 18 juillet à Bruxelles ». Une annonce à laquelle Jérémy Decerle, député européen et fervent défenseur du monde agricole, s’était empressé de réagir : « il va falloir choisir entre la voie de la libéralisation incontrôlée des échanges et celle du relèvement de nos standards de production ». Car en l’état, « aucune avancée n’a été obtenue au cours des derniers mois, pour intégrer une forme de conditionnalité dans les modalités de l’accord », fait savoir Marine Colli, consultante pour le compte de l’interprofession bovine (Interbev) et de la Fédération nationale bovine (FNB).

Or, pour accélérer la ratification, la Commission européenne pourrait isoler la partie "commerce" de l’accord mixte pour passer outre l’aval des parlements nationaux des Vingt-sept. Le Conseil de l’UE et le Parlement européen garantiraient alors à eux seuls la légitimité et l’inclusivité du processus d’adoption. À la veille du salon international de l’Agriculture, la fondation pour la Nature et l’Homme, l’institut Veblen et Interbev appelaient le président de la République à maintenir son opposition à ce projet d’accord "viande contre voitures". « Cela suppose d’abord de s’opposer aux manœuvres de la Commission qui visent à le découper pour mettre fin au droit de véto d’un seul État membre sur le volet commercial du texte », indiquaient les trois organisations.

Le projet d’accord avec le Mercosur prévoit un nouveau contingent de 99 000 tonnes équivalent carcasse (téc) de viande bovine dont 55 % réfrigérées et 45 % congelées, à un droit de 7,5 %, ainsi que la suppression des droits de douane au sein du contingent Hilton existant, soit 61 000 téc. « Ce n’est pas parce que l’UE ouvre un nouveau contingent, certes de façon progressive, que les pays du Mercosur remplaceront les volumes exportés à droits pleins par ceux obtenus via ces contingents », met en garde Philippe Chotteau, du département Économie de l’Institut de l’élevage (Idele), soulevant le risque le plus probable d’effet cumulé.

Selon l’institut, l’entrée en vigueur de nouvelles concessions sur la viande bovine mettrait le marché européen, destination de choix pour la valorisation des aloyaux, face à des volumes plus importants de viandes très compétitives. « En 2018, déjà 12 % des aloyaux consommés sur le marché communautaire étaient issus du Mercosur », relève l’agroéconomiste. Et d’après les projections de l’Idele, cette proportion pourrait s’élever à 24 %, en volumes, d’ici à 2030. Ces exportations croissantes, aux mains de groupes de taille gigantesque comme JBS, resteraient par ailleurs très en deçà des standards européens, tant en termes de structures de production que de normes sanitaires, environnementales, sociales ou de bien-être animal.

« L’élevage bovin risque d’en souffrir violemment, alors même que cette production est mise sous pression de contraintes qui ne cessent de s’ajouter », pointe Jérémy Decerle, député européen et membre des commissions de l’Agriculture et du Commerce international.

Chili, une entrée en vigueur d’ici à 2024

S’agissant du traité conclu avec le Chili, le chapitre commercial intitulé "accord de libre-échange intérimaire" a bien été scindé. Il entrera en application dès sa ratification par le Conseil et le Parlement européen d’ici à 2024. L’accord-cadre global sera, quant à lui, présenté aux différents États membres. « Mais toute la subtilité est là. Même dans le cas où un Parlement national rejetterait l’accord-cadre global, celui de libre-échange intérimaire continuerait de s’appliquer. Ainsi, pour ce qui concerne les contingents en termes de volumes et de conditionnalité, ni la France seule au Conseil, ni le Parlement français n’auront de capacité de blocage », alarme Interbev. En viande bovine, le volume ouvert passera de 2 900 téc à 4 900 téc sur un an dès l’entrée en vigueur du texte, sans clauses miroir aucunes. « En 2021, seuls 4 % du quota était utilisé en volume », situe Philippe Chotteau.


Mexique, sous la menace d’un traité scindé en deux

Pour le Mexique, si Bruxelles a affirmé son intention, en 2023, d’accélérer le processus de ratification de l’accord, les négociations ne sont pour l’heure pas à un stade très avancé. « La Commission a envisagé pour le Mexique la même architecture de ratification que celle pour le Chili, informe Baptiste Buczinski, de l’Idele. Mais les autorités mexicaines hésiteraient désormais à ratifier l’accord modernisé. La libéralisation de l’accès à certaines matières premières mexicaines pour les Européens semble les freiner. »

Dans le cadre de ce traité, l’UE prévoit d’octroyer un contingent de 20 000 tonnes de viande bovine, dont 10 000 t d’abats, à droits de douane réduits (7,5 %) ouvert sur une période transitoire de cinq ans. « Il s’agit d’une décision sans précédent car aucun abattoir n’avait encore été agréé », précise Marine Colli.


Nouvelle-Zélande, une première percée sur les clauses miroirs

L’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande conclu au dernier jour de la présidence française du Conseil de l’UE, en juin 2022, suit son cours dans la procédure de ratification. Une fois entré en vigueur, l’accord commercial autorisera les importations à droits nuls ou réduits en provenance de Nouvelle-Zélande, mais uniquement par le biais de contingents tarifaires. En viande bovine, ce sont 10 000 tonnes qui ont été concédées à un droit intra-contingentaire de 7,5 %, avec une mise en place progressive sur sept ans. Et le droit de douane du contingent Hilton sera réduit de 20 % à 7,5 %.

Si les modalités du texte sont loin de répondre à toutes les conditions exigées par la filière bovine française, de premières avancées sont à souligner. Il s’agit là du premier accord commercial de l’UE qui comportera un chapitre consacré aux systèmes alimentaires durables. Une clause de conditionnalité interdit notamment l’importation de viandes néo-zélandaises issues de bovins engraissés en feedlot. « Cette mesure s’avère finalement peu contraignante puisque le pays ne compte qu’un seul feedlot sur son territoire et l'immense majorité des bovins y sont finis à l'herbe. Mais elle constitue tout de même un précédent quelque part », relève Philippe Chotteau. Pour l’interprofession bovine, de telles garanties prendraient tout leur sens dans de futurs accords négociés avec des pays dont les modes d’élevage s’avèrent bien plus discutables.

Australie, les négociations ont été relancées

Après une interruption de plusieurs mois liée à la crise des sous-marins, les pourparlers entre l’Australie et l’UE ont repris dans la perspective de la conclusion d’un accord de libre-échange d’ici l’été 2023. Treize cycles de négociations ont déjà eu lieu, en vue de progresser sur différents chapitres, notamment ceux liés aux systèmes alimentaires durables. Mais les avancées restent insuffisantes pour envisager une conclusion politique proche. Les produits sensibles n’ont pas encore été discutés en l’état actuel des négociations, mais l’interprofession bovine se dit « très inquiète » concernant les modalités qui seront appliquées.

« L’exclusion des viandes issues de feedlots d’un éventuel contingent de viande bovine à droits préférentiels concédé à l’Australie constitue une clause de conditionnalité prioritaire, au regard de la dynamique de restructuration actuelle de l’élevage bovin dans ce pays. Les sécheresses consécutives, l’attrait du marché asiatique ainsi que la demande intérieure en viandes grain fed - qui représentent 80 % de la viande bovine vendue en supermarchés en Australie - viennent en effet stimuler le développement des feedlots », avait indiqué la FNB dans un communiqué datant de novembre 2022.


Inde, encore loin du compte

Les discussions entre l’Inde et l’UE ont été officiellement relancées depuis l’été 2022, lors de leur troisième cycle de négociations commerciales. Un quatrième round est d’ores et déjà prévu à Bruxelles en mars 2023 mais les divergences importantes entre les deux parties laissent difficilement entrevoir la conclusion d’un accord de libre-échange d’ici la fin de l’année.

Pour l’heure, les échanges d’offre incluant les secteurs sensibles restent inconnus, mais il apparaît assez probable que l’Inde, qui détient le plus grand cheptel bovin du monde, devant le Brésil et la Chine, souhaite pousser un contingent de viande bovine important.

À savoir

La France avait posé trois lignes rouges à l’acceptabilité de l’accord d’association avec le Mercosur :

  • Le traité ne peut en aucun cas conduire à une augmentation de la déforestation importée au sein de l’UE ;
  • Les politiques publiques des pays du Mercosur devraient être entièrement conformes à leurs engagements climatiques au titre de l’accord de Paris ;
  • Les produits agroalimentaires importés bénéficiant d’un accès préférentiel au marché de l’UE devraient être conformes, de jure et de facto, aux normes sanitaires et environnementales de l’UE.

« Les pays tiers cherchent des alliés en cas de conflits géopolitiques »

« À travers ces accords de libre-échange, l'UE et les différents pays concernés cherchent tous des alliés en cas de conflits géopolitiques », explique Philippe Chotteau, du département Économie de l’Idele. L’ouverture ou l’augmentation de contingents aux produits agricoles à destination du Vieux continent, négociés dans le cadre de ces traités commerciaux, permet aux pays exportateurs de viandes de diversifier leurs débouchés en cas de fermeture soudaine d’un marché. Ce raisonnement s’applique particulièrement pour les pays du Mercosur, qui orientent plus de la moitié de leurs exportations de viande bovine, en volumes, vers la Chine. Mais ce ne sont pas les seuls : la Nouvelle-Zélande, l’Australie, les États-Unis ou encore le Canada réservent des parts majeures aux pays d’Asie. « Pour se prémunir des effets en cascade qui impliquent des embargos, les grands producteurs cherchent des alternatives pour réorienter leurs flux, reprend l’expert. À cet effet, les Néo-Zélandais ont beaucoup investi dans les technologies de conditionnement sous vide pour la viande de bœuf réfrigérée, assurant des durées de conservation sans aucun pépin sanitaire durant quatre mois ».

Retour sur le Ceta

S’agissant du traité de libre-échange entre l’UE et le Canada, le Sénat n’a toujours pas été saisi sur le projet de loi de ratification, voté par l’Assemblée nationale en juillet 2019. Il s’applique cependant de plein droit, mais de façon provisoire. Dans l’attente de la ratification de l’accord global, de nouveaux contingents s’ouvrent progressivement. Le quota total d’importation à droits nuls accordé au Canada s’élève à 64 950 téc. Au nouveau contingent de viande bovine concédé (environ 50 000 téc) s’ajoute un passage à droits nuls des parts du Canada dans les contingents actuels d’importation (4 162 téc du Panel hormones et 14 950 téc du Hilton). Les volumes à destination de l’UE restent à ce jour anecdotiques. Les viandes, qui doivent être garanties sans hormones, posent en effet de sérieuses complications à la filière canadienne en termes de pratiques et de traçabilité.

(1) 30 840 t de viande de bœuf réfrigérées, 15 000 t congelées et 3 000 t de viande de bison.

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