Prédation en pâture
Le loup prend goût aux bovins allaitants
L’extension numérique et géographique du loup laisse à penser que la cohabitation entre ce prédateur et les cheptels bovins allaitants va devenir vraiment compliquée si des mesures énergiques ne sont pas prises pour endiguer la progression de l’espèce.
L’extension numérique et géographique du loup laisse à penser que la cohabitation entre ce prédateur et les cheptels bovins allaitants va devenir vraiment compliquée si des mesures énergiques ne sont pas prises pour endiguer la progression de l’espèce.
Malgré le contexte social tendu du moment, la France est encore un pays riche. L’an dernier, elle s’est permise de consacrer plus de 30 millions d’euros pour le loup. Cette somme s’est répartie entre 3 440 000 euros pour l’indemnisation des pertes consécutives à des prédations dans les troupeaux, 24 660 000 euros pour la mise en place des moyens de protection dans les élevages et quelque 2 000 000 euros pour rémunérer les agents de l’État affectés à la gestion de ce dossier. Et ces sommes ne cessent de croître, au rythme de la progression numérique et géographique de l’espèce.
« Le coût annuel de la protection des troupeaux et de l’indemnisation est estimé à 80 000 euros par loup », estimait Michel Meret, directeur de recherche à l’Inra, lequel présentait ces chiffres le 14 mars dernier, lors de la journée Grand angle ovin organisée par l’Institut de l’élevage.
Et le loup est une espèce prolifique. Pas de problème de fertilité ou de mise bas difficile ! Il est loin le temps où l’espèce se cantonnait à quelques cantons proches de la frontière italienne. Il est désormais présent dans 40 départements avec une remarquable faculté d’adaptation à tous les biotopes. Montagne ou plaines, climat méditerranéen ou océanique, tout lui convient dès l’instant qu’il a le gite et le couvert.
Rapide extension géographique
Côté statistique, les dernières estimations de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) faisaient état de quelque 500 individus à l’automne dernier, avant les naissances en cours ou à venir. Donc l’expansion se poursuit et elle est rapide. Fin 2018, l’ONCFS faisait état de 85 Zones de présence permanente (ZPP) et de 72 meutes constituées. À titre de comparaison, le bilan en fin d’hiver 2017-2018 indiquait 74 ZPP dont 57 meutes + 2 meutes sans indice, en sortie d’hiver. « Entre juin et octobre 2018, dix nouvelles ZPP, qui n’étaient pas identifiées en sortie d’hiver, ont été découvertes grâce à la détection de la reproduction, explique l’ONCFS. Toutes se situent dans les Alpes et leur périphérie. Au total, 43 cas de reproduction ont été détectés grâce au suivi par hurlement provoqué, ainsi qu’à l’aide d’images ou d’observations de louveteaux. »
Cette analyse statistique de la situation est contestée par les éleveurs ou leurs représentants. Ils estiment que les chiffres de l’ONCFS sont bien en deçà de la réalité. Pour le loup c’est un peu comme les manifestations. Il y a les chiffres de la police et ceux des organisateurs et entre les deux, comptages et estimations vont du simple au double et parfois bien davantage.
Quoi qu’il en soit, le front de colonisation de l’espèce progresse inexorablement en partant du Sud-Est de la France en direction de l’ouest et du nord. Le Sud du Massif central est concerné depuis une dizaine d'années. Plusieurs veaux naissants prédatés à l’automne dernier en Lozère et dans l’Aveyron ont été répertoriés par les éleveurs. À signaler aussi dans ces départements des troupeaux bovins dont le comportement a changé avec des animaux plus inquiets et plus craintifs. Le loup fait aussi acte de présence plus au Nord (Haute-Vienne, Nièvre, Yonne …). Officiellement il s’agit d’individus isolés, actuellement en recherche de nouveaux territoires et de ce fait susceptibles de réaliser de longs déplacements.
Zones de conquêtes idéales
Des régions très boisées comme le Limousin ou la Bourgogne sont des zones de conquêtes idéales. Leurs campagnes tendent à se vider de leurs habitants et il ne manque pas de fourrés impénétrables pour assurer le gite à ces prédateurs. Côté couvert, le grand gibier y est surabondant et les élevages bovins et ovins sont bien présents avec pour ces deux espèces une forte proportion de cheptels conduits en plein air, en particulier dans le Limousin. Autant de proies faciles à croquer. Le loup est un opportuniste intelligent. Il va à la facilité, et comme il est actuellement surprotégé par la règlementation cela le conduit parfois à attaquer même en plein jour. Et un veau naissant sera plus facile et moins fatiguant à rattraper qu’un chevreuil ou un sanglier !
Comment se prémunir dans les cheptels bovins allaitants face à l’arrivée avérée ou imminente de cet animal ? Difficile d’envisager la mise en place de chiens patous dans des lots de vaches suitées ! Dans la mesure où le loup n’est plus en voie de disparition, la solution la plus souvent évoquée serait de le faire changer de statut vis-à-vis de la Convention de Berne. Il s’agirait de le faire passer « d'espèce strictement protégée » (Annexe II) à « espèce protégée » (Annexe III). Cela permettrait de desserrer les contraintes qui se traduisent actuellement par sa surprotection. La manœuvre n’est pas facile. L’animal bénéficie d’une belle image dans l’opinion publique. La plupart des Français sont favorables à sa présence, dans la mesure où ce ne sont pas eux mais les défenseurs de l’élevage et du pastoralisme qui dans leur quotidien d'éleveurs et de bergers sont confrontés aux contraintes liées à son retour. Pas facile non plus de contrer l’activisme des associations « pro-loups ». Elles ont l’art et la manière de défendre la cause de ce bel animal. Quoi de mieux que la vision idéalisée et aseptisée des films de « propagande lupine » diffusés sur des chaînes de service public à des heures de grande écoute. Autant d’émissions qui présentent la beauté de l’animal sans faire état de la façon dont il se nourrit. Un loup a de longues dents pointues et c’est pour s’en servir ! Une proie de grande dimension est le plus souvent attaquée par l’arrière en lacérant cuisses et flancs et en finissant tout simplement souvent par commencer à dévorer la proie encore vivante. Il ne manque pas d’images à ce sujet sur les sites de vidéos de partage en ligne et sur les groupes de discussion des détracteurs du loup. La nature est belle. Elle est aussi parfois terriblement cruelle.
Comprendre "l'émotion des éleveurs"
Face à la progression du nombre de loups et de la facture induite, il semblerait que le gouvernement ait fini par prendre conscience du problème. Le ministre, Didier Guillaume, est un élu de la Drôme, un des départements les plus concernés par cette problématique.
À l’occasion du grand débat national à Gréoux-les-Bains dans les Alpes-de-Haute-Provence consacré au thème de l’environnement et de la transition écologique, le président de la République a annoncé que le pourcentage des loups pouvant être abattus serait augmenté car le seuil de 500 individus a été atteint. « Est-ce que l’on va éradiquer le loup ? Non, même si je comprends l’émotion des éleveurs face à ces attaques croissantes », a déclaré Emmanuel Macron. Mais de préciser que des dispositions très claires allaient être adoptées pour adapter le niveau des prélèvements, et le faire passer de 10-12% à 17-19%. Un pourcentage qui permettrait de ce fait, de doubler le nombre de loups qui pourraient être abattus en le faisant passer à quelque 100 têtes par an.
Rappelons que d’après les données de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui centralise les données, il y a eu en France en 2018 un total de 47 loups « prélevés », 4 loups braconnés pour lesquels une enquête est en cours et 27 loups retrouvés morts sans pouvoir déterminer si la cause de cette mort était naturelle ou accidentelle.
Mais si le politique entend prêter une oreille attentive aux problèmes des éleveurs, il n’en oublie pas pour autant la façon dont la plupart des Français analysent le retour de cette espèce. Certes il est difficile de connaitre précisément quelle est la proportion de Français favorables au retour du loup dans les campagnes. Il est cependant bien évident qu'elle est nettement supérieure à celle de ses farouches opposants. Et derrière chaque protecteur ou admirateur de Canis lupus se cache aussi un électeur…
12 515 animaux domestiques indemnisés en 2018
L’an dernier, il y a eu un total de 3 674 constats indemnisés ou en cours d’instruction pour 12 515 animaux victimes de la prédation par un loup, et ceci dans 31 départements. Les ovins sont de loin les plus concernés. Mais ils sont loin d’être les seuls. Le bilan par espèce fait aussi état de 440 caprins, 127 bovins, 15 chiens, 12 équins et 30 autres animaux dont l’espèce n’est pas précisée (lamas, alpagas…).
Les deux premiers mois de l’année en cours laissent à penser que la courbe ne va pas s’infléchir. En janvier et février, les données sur les dommages font état de 278 constats indemnisés et en cours d’instruction. Chiffre sensiblement similaires à ceux des deux années précédentes. Il est cependant précisé que les comparaisons d’une année sur l’autre doivent être analysées avec précaution. « Compte tenu des délais liés à la réalisation des constats, à leur transmission à la DDT(M) et à leur instruction, les données ne correspondent pas exactement aux dommages à la date indiquée et doivent être complétées par les constats en attente. »
À voir sur internet
Il existe différents sites sur le loup en France dont ceux — les plus nombreux — des partisans du retour de cette espèce. Parmi les sites plus « neutres » citons celui l’ONCFS (loupfrance.fr) dont la mise en ligne est récente. Difficile aussi de passer sous silence celui mis en place à l’initiative de la Fédération nationale ovine(leseleveursfaceauloup.fr).
Pour le adeptes des documentaires, à signaler l’excellent reportage réalisé par la Confédération paysanne. Intitulé « Les loups et nous ». Il est très facile à retrouver sur Youtube et décrit très bien au travers de nombreux témoignages le calvaire vécu par les éleveurs d’ovins du Sud-Est de la France depuis vingt ans.