Des investisseurs, pas forcément des éleveurs
Les acheteurs de génétique allaitante des pays de l'est sont le plus souvent des hommes d'affaires qui diversifient leurs activités en misant sur l’élevage. Ils donnent priorité à des animaux efficaces et faciles à conduire. Témoignages de leurs fournisseurs français.
Les acheteurs de génétique allaitante des pays de l'est sont le plus souvent des hommes d'affaires qui diversifient leurs activités en misant sur l’élevage. Ils donnent priorité à des animaux efficaces et faciles à conduire. Témoignages de leurs fournisseurs français.
Dans les « pays de l’est », les acheteurs de génétique allaitante peuvent avoir des profils assez différents. Et la dimension des troupeaux varie selon les pays », estime Jean-Luc Kress. L'éventail des profils d'acheteurs est large, depuis le « véritable éleveur » qui possède 80 vaches croisées et décide de passer progressivement en race pure en achetant des génisses jusqu’à l’investisseur qui a un commerce ou une entreprise dans un secteur d’activité pas forcément lié à l’agriculture mais souhaite mettre en valeur la ferme ou le kolkhoze qu’il vient de racheter. Avec la Blonde, analysée comme performante mais pointue à conduire pour des éleveurs qui n’ont pas une grande "tradition" des cheptels allaitants, "il y a le plus souvent, derrière, l’existence de circuits ou de démarches propres à ces investisseurs qui leur permettront de mieux en valoriser la viande." souligne Jérôme Nègre, responsable commercial de Blonde Génétique. « Mes débouchés, c’est essentiellement la Hongrie et la République tchèque où le Charolais a une bonne cote. De gros élevages ont été mis en place. Ils ont souvent démarré en réalisant du croisement d’absorption », explique Simon Perrot. « En Pologne et Hongrie, nous avons des clients qui ont constitué des troupeaux il y a une vingtaine d’années. Ils n’achètent plus beaucoup de femelles mais diversifient leurs souches en achetant régulièrement quelques taureaux en France », ajoute Olivier Rambert. « Les Pays baltes, la Roumanie, la République tchèque et la Croatie ont des surfaces en herbe à valoriser. Ce sont des pays tout à fait adaptés pour l’allaitant », explique Daniel Miquel. Il s’agit la plupart du temps d’anciens kolkhozes, sur lesquels les surfaces en herbe n’ont pas été utilisées depuis parfois des années. Il y a donc un peu de travail pour remettre en ordre le parcellaire et rénover les bâtiments souvent vétustes et mal adaptés.
« La dimension des cheptels mis en place chez nos clients est comprise entre 100 à 150 vaches pour les plus petites unités et atteint 700 à 800 mères pour les projets plus importants », explique Giuseppe Pantaleoni. Ces investisseurs rachètent du foncier et/ou le louent. « Ils analysent le foncier agricole comme un placement pour diversifier leurs investissements. Ces grosses unités sont gérées comme des entreprises et non comme des exploitations familiales telles qu’on les rencontre classiquement en France », estime Daniel Miquel.
Internet ne remplace pas les discussions d’homme à homme
Internet permet aux acheteurs potentiels de se documenter avant de contacter des fournisseurs ou de leur rendre visite sur des salons ou foires agricoles, en France ou dans leurs pays respectifs. « Dans ces pays, la plupart des acheteurs n’hésitent pas à se déplacer. Au-delà des présentations sur les salons, ils veulent pouvoir analyser comment sont élevés les animaux. Venir voir des élevages français est forcément apprécié, mais ils sont aussi intéressés pour visiter dans leur pays des élevages pilotes qui ont acheté leurs premiers animaux en France voici quelques années, » souligne François Nolorgues. « Les informations piochées sur internet, c’est une chose, mais rien ne remplace le contact humain. Il faut aller sur place. Visiter les fermes, présenter la race, ses performances. C’est indispensable. Il faut être là au bon moment avec les bonnes personnes », estime Giuseppe Pantaleoni. « Le côté humain, on ne l’enlèvera jamais. Il faut qu’un éleveur ait confiance. Et ça, ça ne se fait pas sur internet. Il faut non seulement arriver à trouver des acheteurs qui aient envie d’investir, mais il faut surtout convaincre ceux qui ont suffisamment de moyens. Un bon client doit être solide financièrement parlant. Avec de l’allaitant, le retour sur investissement se fait à moyen et long terme. C’est différent avec des génisses laitières, lesquelles sont vendues pleines pour la plupart et donnent du lait quelques mois après leur arrivée. Avec des allaitantes achetées à 18 mois, il faut attendre trois ans avant de vendre quelque chose », souligne Jean-Luc Kress.
Dans ces pays de l’ex-Europe de l’est, les élevages de grande dimension mis en place par des investisseurs sont souvent sous la responsabilité de salariés, généralement vétérinaires ou ingénieurs, auxquels sont confiés la gestion de l’exploitation et le management des ouvriers en charge de la conduite du troupeau. Si ces responsables ont globalement de bonnes connaissances zootechniques, les salariés chargés des soins du bétail au quotidien sont souvent moins compétents, tout du moins au moment de l’arrivée des animaux, dans la mesure où la conduite d’un troupeau allaitant est assez mal connue. « Les salariés n’ont pas le savoir-faire de la plupart des éleveurs français. Ils n’ont pas « le coup d’œil » pour voir si un animal est malade ou mal nourri », explique Olivier Rambert. « Pour que cela réussisse, il faut un service après-vente. L’idéal est de pouvoir prendre ces salariés « en stage » en France pour les familiariser avec le métier d’éleveur allaitant », ajoute Yves Jehanno.
"Les premiers exports doivent donner satisfaction si on veut qu'ils en appellent d'autres"
Ce « suivi après-vente » détermine la réussite de ces projets. En cas d’échec, l’investisseur sera tenté d’incriminer la qualité de la race et/ou des animaux vendus et leur mauvaise adaptation. « Et cet échec sera inévitablement largement exploité par nos concurrents », rappelle Olivier Rambert. À l’inverse, un client satisfait aura tendance à recommander son fournisseur à ses voisins. « Il faut aller voir ce que cela devient. Comment l’élevage fonctionne. Si les animaux vendus produisent bien. Sans ce suivi, le risque d’échec est important », insiste Beppe Pantaleoni. La bonne stratégie est évidemment de mettre en place quelques élevages « vitrines » bien conduits, avec de bons résultats techniques. Pas simplement du bétail de concours agréable à regarder, mais d’abord des troupeaux qui produisent. « Cela permet d’organiser des portes ouvertes de façon à montrer ce qu’il est possible d’obtenir. Il faut être très rigoureux pour les premiers animaux exportés. Ils doivent donner satisfaction si on veut que ces premières expéditions en appellent d’autres. Quand je travaille sur un pays, mon objectif est de pérenniser une implantation. Le fusil à un seul coup, ce n’est pas trop mon truc ! » ajoute François Nolorgues.
S'adapter aux attentes des clients
Les animaux français sont analysés comme bien adaptés à ces différents marchés avec surtout une bonne complémentarité entre les races côté format et adaptation au climat et aux conditions d’élevage. Les troupeaux de 200 vaches et plus sont courants. « Mais avec des salariés pas forcément très expérimentés, il est important de proposer des animaux faciles à conduire, » souligne Daniel Miquel. Et ce dernier de mettre en avant l’importance de leur docilité. « Dans ces grands élevages, une bonne génisse, c’est d’abord de bons aplombs, un bon bassin et de bonnes croissances à 210 jours. Il faut un charolais « moderne » : moins d’os, un bon grain de viande. Les animaux très grands, très lourds, très « élevage » sont difficiles à placer », souligne Simon Perrot. « Il est tout à fait possible de trouver du charolais rustique capable de s’élever dans des conditions difficiles. Il suffit de trier ! » ajoute Yves Jehanno. « Quelle que soit la race, ces acheteurs sont pour la plupart très attentifs aux données chiffrées : combien de vaches à la saillie, combien de veaux nés et surtout combien de veaux sevrés. Et là, il faut être en mesure de leur apporter certaines garanties », souligne Jean-Luc Kress.
Le sans corne est un « plus »
Les souches sans cornes sont forcément appréciées. C’est un « plus » indiscutable sur ces marchés. « Avec l’Angus, ils ont possibilité d’avoir des animaux systématiquement sans cornes. Donc avec des salariés pas forcément bons « animaliers », quand on dit à un client qu’avec du sans cornes il va économiser une intervention sur les veaux, c’est un argument qui fait mouche », souligne Jean-Luc Kress. Qui plus est, la plupart des Charolais et Limousins proposés par les Allemands sont génétiquement sans cornes. « En Allemagne, on ne peut pas écorner un veau si un vétérinaire ne vient pas pratiquer une anesthésie. Idem au Danemark », précise Beppe Pantaleoni.
Une fois les troupeaux en place, vont-ils continuer à acheter ? « La France a la chance d’être un « berceau » de races à viande. Ils ne seront jamais totalement autosuffisants », estime Olivier Rambert. « Nous aurons toujours la possibilité de leur vendre quelque chose. Mais cela veut aussi dire que nous devons continuer à nous améliorer. Il ne faut surtout pas rester sur nos lauriers, mais avoir toujours quelque chose de neuf et plus intéressant à proposer », souligne Jean-Luc Kress. Attention aussi à ce que les clients d’hier ne deviennent pas les concurrents de demain en proposant une offre mieux adaptée à certaines attentes. « Aujourd’hui les sélectionneurs britanniques et irlandais deviennent de sérieux concurrents. En Limousin, ils nous ont acheté de très bons animaux et les ont sélectionnés dans le sens de ce que leur demandaient leurs éleveurs commerciaux. Ils ont répondu à leurs attentes. »
Les nouvelles possibilités offertes par la génomique ne sont pour l’instant pas encore analysées avec forcément beaucoup d’attention. « On sent cependant que ces tests éveillent un intérêt croissant », précise Yves Jehanno, mais compte tenu de leur prix, ils seront probablement davantage demandés pour de jeunes taureaux que pour des génisses « moule à veaux » destinées à jeter les bases de grands troupeaux.
Avantage à la génisse prête à saillir
Les génisses d’élevage peuvent être exportées à tous les âges. « J’aime bien travailler avec des bêtes de 15 à 20 mois. C’est la catégorie la plus facile à transporter. Les gestantes, c’est plus risqué, même si elles ne posent guère de difficultés quand elles sont vendues au premier tiers de gestation », précise Daniel Miquel. « L’intérêt de la génisse pleine, c’est surtout le retour sur investissement plus rapide », précise Giuseppe Pantaleoni. « Mais dans les pays où le contexte est un peu rude, avec des gars aux compétences techniques bien moyennes, il vaut mieux des génisses de 14 à 20 mois. C’est la catégorie qui s’adapte le plus facilement », ajoute Jean-Luc Kress.
L’Angus anglo-saxon, principal concurrent
Les opérateurs français sont loin d’être les seuls à pénétrer ces marchés. « Les Allemands sont très forts, les Hollandais sont plus branchés lait, mais eux aussi très présents », souligne Olivier Rambert. « Pour les races à viande, nos concurrents européens sont d’abord les Allemands et les Danois. Ces pays travaillent beaucoup en semences et en embryons mais proposent également des animaux vivants, principalement Charolais, Limousin et Angus », ajoute Yves Jehanno. "Les Allemands proposent des Blondes mais d’un niveau qualitatif bien inférieur aux animaux français ", souligne Jérôme Nègre, responsable commercial de Blonde Génétique.
Tous les opérateurs interrogés sont surtout unanimes pour dire que le principal concurrent des races françaises sur ces marchés, c’est d'abord l’Angus et dans une moindre mesure, la Hereford. Des animaux qui peuvent arriver de partout : depuis l’Europe, mais surtout depuis l’Amérique du nord et parfois depuis l’Australie. « Les Nord-Américains livrent par bateaux avec des conditions de transport bien moyennes. À côté des races anglo-saxonnes, ils proposent également du « limousin » qui, morphologiquement parlant, ressemble davantage à de l’Angus rouge qu’à de la Limousine française », souligne Olivier Rambert. Rendus sur place, leurs animaux ne seraient pas forcément bien moins chers que les animaux français. Les opérateurs français mettent surtout en avant le fort lobbying mis en œuvre par ces pays et leurs autorités pour remporter les marchés. « On peut faire tout le nombrilisme que l’on veut en clamant haut et fort que la Limousine est la meilleure, que la Charolaise a le meilleur potentiel de croissance et que l’Aubrac est la plus rustique, une fois que ces clients auront acheté des Angus, ils ne vont pas les revendre du jour au lendemain pour acheter nos races françaises. Et une fois établis les circuits commerciaux de la viande qui résultera de ces troupeaux, les choses seront pour nous compromises », déplore Jean-Luc Kress
Objectif consommation locale et exportation
À côté de la volonté de valoriser localement les animaux issus de ces cheptels, souvent dans le cadre de démarches mettant en avant la qualité de leur viande, l’existence du débouché italien mais surtout turc pour le bétail maigre constitue une incitation supplémentaire. La Turquie est relativement proche de ces pays et même si le nombre d’animaux engraissés dans les ateliers turcs n’est pas équivalent à ce qui est fini en Italie, cela représente des volumes conséquents. « Les broutards nés en France et engraissés en Turquie ont éveillé l’attention. Leurs performances ont renforcé l’intérêt pour le bétail maigre issu de races françaises », explique Simon Perrot. « Utiliser des Angus pour faire naître du maigre par la suite engraissé en JB avec des rations à base de maïs ou de céréales, c’est un très mauvais calcul. Les croissances sont bien inférieures aux races françaises avec surtout une nette tendance à faire du suif ! » souligne Yves Jehanno. À signaler que la Turquie entend développer son cheptel allaitant. Faute de pouvoir se fournir en génisses françaises, les Turcs en ont récemment acheté en Italie et en Irlande.