Yannick Péchuzal, animateur Inosys Réseaux d’élevage bovins lait Auvergne-Lozère
"Dans le Massif central, les allaitantes tendent à se substituer aux laitières"
Les conversions du lait vers la viande se poursuivent, tout particulièrement dans les zones herbagères inconvertibles du Massif central. Une évolution peu favorable en termes d’emplois induits.
Les conversions du lait vers la viande se poursuivent, tout particulièrement dans les zones herbagères inconvertibles du Massif central. Une évolution peu favorable en termes d’emplois induits.
Les chiffres (voir graphique) sont très parlants. Compte tenu de la pyramide des âges et des départs en retraite, le nombre d’exploitations diminue en lait comme en viande mais le nombre de fermes « allaitantes » diminue nettement moins vite que le nombre de fermes « laitières ». Côté cheptel, les troupeaux s’agrandissent et les vaches allaitantes tendent à se substituer aux laitières dans les mêmes proportions.
Les évolutions du nombre d’exploitations et du nombre de vaches laitières et allaitantes traduisent l’impact des deux « crises du lait » de 2009 puis 2014. D’autres données plus administratives ont pu jouer comme les procédures d’échanges entre PMTVA et quotas laitiers. Dans beaucoup de départements, les offres étaient déséquilibrées (plus d’offres de lait que de PMTVA) avec peu d’échanges possibles. Cela avait contribué à figer les évolutions. Ce n’est plus vrai depuis 2015.
Le second cas de figure fréquemment rencontré est celui de l’approche de la cinquantaine chez les producteurs laitiers installés en individuel et parfois usés par l’astreinte laitière. C’est une période charnière dans la mesure où elle correspond à un âge où les prêts liés à la première vague d’investissements consécutifs à l’installation arrivent généralement à échéance. Plutôt que de réinvestir (robot de traite…) ces éleveurs s’interrogent souvent pour savoir s’ils n’auraient pas plutôt intérêt à opter pour une reconversion du lait vers la viande. Le revenu est rarement la seule raison invoquée.
En Haute-Loire, la situation est assez différente dans la mesure où ce département est beaucoup plus « laitier ». Certes, il y a des éleveurs allaitants mais ils sont moins nombreux. L’astreinte de la traite est alors probablement vécue différemment. Elle fait partie du quotidien de la quasi-totalité des éleveurs. À titre d’exemple, pour un éleveur laitier de Haute-Loire, il était probablement moins difficile d’aller traire le dimanche 15 juillet, jour de finale de coupe du monde, quand il savait que la plupart de ses voisins étaient eux aussi dans leur salle de traite. La situation était probablement différente dans le nord Aveyron où les éleveurs laitiers sont allés traire alors que la plupart de leurs voisins éleveurs allaitants regardaient le match !
Autre situation, la Franche-Comté : dans cette région, les revenus des fermes laitières sont globalement bons grâce au fromage d’appellation dont la région porte le nom. Mais comparativement au Massif central, il n’y a pas non plus la même proximité avec les éleveurs allaitants. Quand le prix du lait est attractif et quand on a peu l’occasion de discuter avec des voisins producteurs de viande bovine, on se pose forcément moins de questions. Sur une ferme herbagère bien conduite de 50 ha du Jura ou du Doubs il est possible de dégager un revenu en produisant du lait destiné à l’AOP Comté. Cela n’est plus vrai sur la même surface avec des allaitantes.
De plus, si dans les mois et années à venir on assiste à un renforcement des conversions du lait vers la viande, cela aura un impact sur les disponibilités en bétail maigre et animaux finis. D’après les chiffres issus des exploitations laitières et allaitantes suivies dans le cadre du réseau d’élevage Inosys, si on remplace un hectare consacré à la production laitière par un hectare consacré à la production allaitante, on multiplie par deux la production de viande vive et qui plus est en augmentant la part de maigre. Dans un marché déjà globalement saturé, cela interroge. Cela signifie davantage de mâles à engraisser ou exporter et davantage de viande de femelles à valoriser.
Ce chiffre est à mon avis plus élevé dans le Massif central. Les statistiques du GIS concernent des données nationales. Les laiteries du Grand Ouest dont l’activité repose principalement sur les produits de grande consommation, le lait UHT et la poudre de lait, génèrent probablement moins d’emplois comparativement au Massif central où une grosse part du lait est destinée à la transformation fromagère, que ce soit en laiterie (Cantal, Laguiole…) ou à la ferme (Saint Nectaire, Salers…).
En viande bovine, le GIS élevage demain a réalisé les mêmes calculs en les globalisant à l’ensemble du territoire français. Ils font état de 0,76 ETP pour une ETP présente sur les exploitations en soulignant qu’une part importante de ces emplois sont situés dans les entreprises d’abattage et de transformation. Dans un large Massif central où les systèmes naisseurs sont largement majoritaires et où l’engraissement ne concerne guère que les femelles, on est sans doute à moins de 0,76 ETP. Plus les exploitations sont orientées vers la production de maigre et moins il y a d’emplois indirects liés à cette production. Chaque fois que l’on remplace une production nécessitant de la main-d’œuvre en amont ou en aval pour la remplacer par une autre moins exigeante type céréales ou bétail maigre ce n’est jamais bien bon pour l’emploi.