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« Les ravageurs de la vigne se régulent davantage dans notre système permacole »

Véronique Gourdon et Cédric Aubert, vignerons en Anjou, voient la permaculture comme une philosophie mêlant le respect de l’Homme et de la nature. Voici comment ils l’appliquent à la vigne.

S’ils devaient résumer leur vision de la permaculture, Véronique Gourdon et Cédric Aubert, vignerons au domaine des Quarres à Rablay-sur-Layon, dans le Maine-et-Loire, diraient qu’il s’agit de préserver la terre, le vivant et de partager les ressources. C’est cette philosophie qui les guide au quotidien dans la pratique de la viticulture. Bien sûr, il y a des réalités de terrain, techniques et économiques. Produire du vin ne peut pas s’apparenter à la conduite d’un potager permacole ou à du maraîchage en permaculture, où toutes les productions sont amalgamées et chaque mètre carré de sol utilisé.

« Notre credo, c’est de recréer un écosystème le plus proche possible de ce qui se passe dans la nature, avec une activité humaine au milieu », synthétise Véronique Gourdon. En déambulant dans les parcelles, force est de constater que la réussite est au rendez-vous. Il se dégage des vignes une harmonie palpable et une étonnante sérénité. Au milieu des herbes et des arbres, la vigne fait son chemin sans paraître perturbée. Et malgré une protection que l’on pourrait qualifier de minimaliste, vous ne verrez à l’approche de la floraison ni invasion de mildiou ni attaque de vers de grappe.

La première étape fut de laisser la nature revenir dans les talus

Arriver à ce résultat ne s’est pas fait en un coup de baguette magique. Dès leur installation en 2008, après un BTSA Viticulture-Œnologie commun et une première expérience en tant que coopérateurs dans les Pyrénées-Orientales, les deux vignerons ont souhaité travailler différemment. Bien entendu, ils avaient le sentiment de devoir s’allier avec la nature, mais ils ne trouvaient ni dans l’agriculture biologique ni dans la biodynamie les réponses qui leur convenaient. « Nous avons commencé par laisser pousser ce qui devait pousser sur les talus de notre coteau, jusqu’alors broyés jusqu’à la terre », retrace Cédric Aubert. La grande chance du couple est d’avoir, dans leur parcellaire, un îlot de 13 hectares de chenin à flanc de colline planté dans les années 70. Le propriétaire de l’époque avait choisi, pour faciliter la mécanisation, de ne pas planter dans la pente mais de réaliser des banquettes de deux rangs, suivant peu ou prou les courbes de niveau.

Très rapidement, les églantiers et genêts ont colonisé les nombreux talus, rejoints plus tard par les jeunes ormes, charmes et autres chênes. Dans les trois années qui ont suivi, le couple vigneron a vu s’installer des grives musiciennes sur le coteau. « Alors que nous passions tous les ans des semaines à ramasser les escargots qui ravageaient la vigne et revenaient sans cesse, subitement, nous n’avons plus eu de problème », témoigne Véronique Gourdon. Coïncidence ? Probablement pas, quand on sait que la grive se délecte de gastéropodes, et que les deux vignerons retrouvaient des coquilles cassées dans les taillis d’églantiers ! L’hiver suivant, ce sont des nuées de mésanges qui sont apparues, réduisant la pression de vers de grappe à néant. Ces premiers signes ont conforté les vignerons dans leurs orientations techniques.

Noues, arbres fruitiers et plantes maraîchères investissent le coteau

Il a fallu que leur fils fasse un stage dans une ferme en permaculture, en 2020, et leur fasse découvrir le concept pour que les deux vignerons arrivent enfin à mettre un mot sur leur sensibilité, et à approfondir leur démarche. Depuis, ils ont poussé la réflexion encore plus loin. En 2022 par exemple, le couple a arraché deux rangs de vigne pour transformer l'une des banquettes en une noue de 500 mètres de long, permettant de collecter et d'infiltrer l’eau de pluie. Un ouvrage, composé d’un fossé couplé à une butte végétalisée, en complète opposition avec l’ancienne logique, où les eaux étaient entièrement drainées pour éviter les phénomènes d’érosion lors des orages. « Avec le dérèglement climatique les pluies sont plus irrégulières et les étés plus contraignants, contextualise Cédric Aubert. Ce système permet d’emmagasiner l’eau dans le sol plutôt que de la perdre. Ça ne peut qu’être utile pour subvenir aux besoins de tous les végétaux et ramener de la fraîcheur. »

La butte végétalisée accueille des grenadiers et bientôt des oliviers. Sur la largeur restante de la banquette, le couple a implanté 250 artichauts pour coloniser le milieu, qui devraient générer quelques revenus complémentaires. De même, les vignerons ont testé l’implantation de courges sur quelques interrangs où le tracteur n’a pas besoin de passer et en bord de talus. « Sans aucune préparation de terrain, nous avons déroulé un ballot de paille et planté un pied tous les mètres, 250 au total », retrace Cédric Aubert. Ils ont eu de la sorte potimarrons, butternuts et autres courges pour s'approvisionner tout l’hiver ainsi que pour fournir un restaurateur local. « Le tout avec zéro arrosage et zéro traitement », se félicite Véronique Gourdon, qui a récupéré les graines et préparé de nouveaux plants.

 

 
Les artichauts ont été choisis car cette espèce pousse naturellement à l'état sauvage sur la parcelle.
Les artichauts ont été choisis car cette espèce pousse naturellement à l'état sauvage sur la parcelle. © X. Delbecque

Au fur et à mesure que les équilibres se créent, les interventions diminuent. Désormais les sols ne sont plus du tout travaillés. Les vignerons passent la débroussailleuse à dos sur le rang au printemps pour éviter que l’herbe soit dans les souches, puis ils réalisent une tonte de l'interrang à l’approche des vendanges. « Pendant un temps je faisais cette fauche au printemps, mais je me suis rendu compte que cela favorise le ray-grass, qui est très concurrentiel, précise Cédric Aubert. Depuis que l’on a arrêté, les autres plantes ont le temps de faire leur cycle et la flore est redevenue plus variée et moins compétitive. »

Les traitements, passés petit à petit du conventionnel à une base de cuivre et soufre, sont de plus en plus limités. Cédric Aubert travaille à la dose de 200 grammes à l'hectare d’un mélange de Nordox avec un hydroxyde de cuivre, associé à 2 voire 3 kilos à l'hectare de soufre. Mais également de l’eau de saule pour jouer le rôle d’éliciteur, de la lécithine de tournesol comme adjuvant, un peu de chlorure de sodium pour l’effet asséchant et 30 grammes à l'hectare de miel de romarin en encadrement de fleur pour l’apport de fructose, lui aussi éliciteur. « J’ai toujours eu peur du mildiou, avoue le vigneron, quand notre conseiller m’a suggéré de baisser les doses je n’y croyais pas. Mais c’est passé ! Même en 2023 nous n’avons eu que des pertes non significatives. » Cela est aussi possible grâce à une surveillance sans faille, un suivi des précipitations, températures, hygrométries et prévisions météorologiques, ainsi qu’une bonne connaissance des pathogènes. Au 4 juin, le vigneron n’en était qu’à son deuxième traitement. « Au stade 4 à 5 feuilles nous avions des pluies mais des températures moyennes en dessous de 10 °C, je n’ai donc pas traité », détaille-t-il.

L’espoir de pouvoir arrêter complètement les traitements au cuivre

Joueur, le couple a laissé l’an dernier une banquette non traitée pour voir jusqu’où leur gestion en permaculture était efficace sur les maladies de la vigne. « Le mildiou a fini par s’installer, concède Véronique Gourdon. Tard, en juillet, mais de façon fulgurante. En dix jours il n’y avait plus rien. » Ils recommencent l’expérience cette année en assurant tout de même l’encadrement de la fleur. À terme, l’idée serait de trouver un équilibre naturel qui permettrait d’arrêter complètement l’usage du cuivre. Pour cela, Véronique Gourdon et Cédric Aubert vont poursuivre leurs aménagements. Deux nouvelles noues vont être creusées et bordées de pommiers et poiriers locaux, dont les fruits seront proposés à la vente en cueillette autonome pour dégager quelques revenus supplémentaires. Des mares viendront également jalonner le coteau, apportant toujours plus de biodiversité et formant des points d’eau pour détourner les sangliers et chevreuils des parcelles de vigne.

D’un point de vue économique, un nouvel équilibre se crée également. « Nous sommes dans une période de transition où nous avons moins de passages de tracteur et moins d’intrants, mais davantage d’investissements et de travail humain pour la taille des arbres, l’entretien des légumes et la réalisation des aménagements permacoles », détaille Véronique Gourdon. Le couple espère toutefois gagner du temps en implantant un couvert ras sur les rangs de vigne, en l’occurrence de la fraise sauvage, pour économiser le rotofil. Les rendements ont chuté également, passant de 40-50 hectolitres à une trentaine en moyenne. « Nous avons entièrement enherbé et ne nous sommes résolus à amender que deux fois en quinze ans donc fatalement, la vigne s’est dans un premier temps affaiblie, accorde Cédric Aubert. Mais elle semble aujourd’hui stabilisée et davantage résiliente. » Les vignerons le savent, ils n’ont pas mis au point une solution miracle. Mais c’est en tout cas celle qui semble, à leurs yeux, la plus pertinente à long terme.

 

repères

EARL domaine des Quarres

17 ha en production dont 4 en fermage
Encépagement chenin, grolleau, cabernet franc, gamay, cabernet sauvignon
Dénominations AOP anjou, coteaux du layon et crémant de Loire
Label bio depuis 2024
Type de sol schistes
2,20 m d’interrang
2 associés + saisonniers
30 hl/ha rendement moyen (hors aléas climatiques)
Commercialisation 80 % vente directe (particuliers, CHR et export) et 20 % vrac
7,50 à 45 € départ caveau

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