Léa Gérin : « Être expéditrice de fruits et légumes c’est aussi être toujours concentrée sur ce qui se passe en production et en consommation »
A l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, FLD a souhaité donner la parole aux femmes de la filière. Léa Gérin est expéditrice dans le Vaucluse. Jeune femme forte et de conviction, défenseuse de la production et du terroir -dont le melon de Cavaillon qui vient d’obtenir l’IGP-, maman… A travers son parcours et son expérience, elle revient sur ce qui fait et fera demain son métier d’expéditrice exportatrice de fruits et légumes. Toujours avec optimisme.
A l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, FLD a souhaité donner la parole aux femmes de la filière. Léa Gérin est expéditrice dans le Vaucluse. Jeune femme forte et de conviction, défenseuse de la production et du terroir -dont le melon de Cavaillon qui vient d’obtenir l’IGP-, maman… A travers son parcours et son expérience, elle revient sur ce qui fait et fera demain son métier d’expéditrice exportatrice de fruits et légumes. Toujours avec optimisme.

Léa Gérin est directrice générale de Charles Gérin & Fils, entreprise d’expédition dans le Vaucluse spécialisée sur le melon et le raisin. Lors d’une interview à FLD le 7 février, elle a évoqué son métier, les changements qui s’y opèrent, les difficultés en production, la place des femmes dans la filière.
Alors que l’Aneefel, l’Association nationale des expéditeurs exportateurs de fruits et légumes, tiendra son assemblée générale les 20 et 21 mars prochains, FLD a pu échanger avec 6 expéditeurs exportateurs de fruits et légumes sur l’évolution de leur métier, les contraintes et les enjeux. Quel sera le métier d’expéditeur exportateur demain ? Chacun-e, avec son histoire, son profil et sa vision bien à lui/elle, s’est prêté au jeu des questions-réponses. Plongée dans ce métier encore mal connu avec ces 6 interviews dont la parution s’étalera sur les prochaines semaines sur le site Internet de FLD.
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FLD : Pouvez-vous nous présenter votre entreprise ?
Léa Gérin : L’entreprise Gérin et Fils est une entreprise familiale d’expédition de fruits et légumes basée à Carpentras dans le Vaucluse. Nous sommes expéditeurs en fruits et légumes depuis un moment puisque mon arrière-arrière-grand-père a commencé en 1895. Nous travaillons deux produits phare : le melon et le raisin. Nos débouchés sont la GMS et les grossistes, avec un petit peu d’export sur les pays frontaliers.
Nous sommes une dizaine de collaborateurs permanents, et en saison nous montons à 40-50. Et oui, nous aussi avons besoin de saisonniers !
FLD : Qui est Léa Gérin ?
Léa Gérin : J’ai 37 ans et suis aujourd’hui directrice de l’entreprise. Je gère le commerce, la qualité et la gestion de la station dans son ensemble. J’ai repris l’entreprise avec mon frère il y a quatre ans, lui gère la partie production qu’il a lancée il y a 10 ans.
J’ai une formation commerce mais j’ai appris les fruits et légumes sur le tard car je travaillais auparavant dans le textile. Ça fait 9 ans maintenant que j’ai rejoint la filière des fruits et légumes. C’est un milieu dans lequel j’ai grandi, un monde à part avec une bonne adrénaline. Mais au départ je ne voulais pas faire ça : je voyais mon père qui stressait, qui regardait la météo :“non, il a plu !!”, etcetera… Mais ce stress, c’est aussi ça qui fait le charme du métier. Moi je n’ai aucun regret. C’est un métier passion, très prenant, et surtout il faut le choisir !
« Au départ je ne voulais pas faire ça (…) Je n’ai aucun regret. C’est un métier passion »
FLD : Quelle définition du métier d’expéditeur en fruits et légumes donneriez-vous à quelqu’un qui n’y connaît rien ?
Léa Gérin : C’est un beau métier. Je dirais que nous sommes l’interlocuteur du producteur auprès de la distribution, l’interlocuteur qui revalorise les produits. Car nous prenons des produits bruts qu’on embellit : agréage, tri, conditionnement, et qu’on revend. On met en avant des produits d’un terroir, parfois sous signe de qualité.
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Chez Gérin et Fils, nous exportons un peu vers les marchés frontaliers. Exporter des fruits et légumes français, c’est valoriser à l’étranger un produit français, ancré dans un territoire local. La France est très bien positionnée sur les produits de niche mais n’est pas compétitive sur la massification.
« L’Aneefel est vraiment une famille au milieu de la filière, ni amont, ni aval »
FLD : A quelles difficultés devez-vous faire face en tant qu’expéditrice ?
Léa Gérin : En production il y a une forte problématique de renouvellement des générations des producteurs. Il y a de moins en moins de producteurs : ils partent à la retraite et ne sont pas remplacés. De jeunes producteurs s’installent mais pas autant qu’il n’en part. Chez Gérin & Fils, nous avons donc lancé une activité de production il y a une dizaine d’années pour nous sécuriser un approvisionnement.
Aujourd’hui, la production est en train de changer, surtout sur notre territoire du Vaucluse. Nous avions beaucoup de petits producteurs multiproduits qui disparaissent. On voit à la place apparaître de gros producteurs qui se spécialisent sur un produit.
Nous partageons avec les producteursdes contraintes réglementaires et de certification. Par exemple, la contrainte plastique à laquelle on a dû faire face rapidement, avec de gros investissements, la plupart en fonds propres en ce qui nous concerne. Nous ne savions pas où nous allions, nous avons testé de nombreux prototypes.
« Nous partageons avec les producteurs des contraintes réglementaires et de certification (…) Avec Agec, nous avons dû tester de nombreux prototypes, sur fonds propres »
Enfin, nous avons aussi la contrainte climatique : le melon est un produit ultra météo-sensible que ce soit en production ou en consommation. Mais c’est notre produit phare et nous n’envisageons pas de changer cet état de fait. Nous sommes dans un bassin qui est très adapté au melon, un produit qui prend de plus en plus de place dans les cultures. Avec le changement climatique, oui il y aura peut-être de nouvelles opportunités. Nous avons ça à l’esprit. Être expéditeur c’est aussi être toujours concentré sur ce qui se passe en production et en consommation.
FLD : Voyez-vous une évolution du métier d’expéditeur en fruits et légumes lorsque vous comparez avec vos parents ou vos grands-parents ?
Léa Gérin : Moi-même déjà depuis 9 ans je vois le changement d’année en année. A l’époque nos marques propres étaient très représentées, nous conditionnions nos plateaux Gérin. Aujourd’hui, avec le passage à des caisses IFCO réutilisables et sans étiquette, et la montée des MDD, les consommateurs ne voient plus -ou moins- les marques.
FLD : Faites-vous face à une problématique de recrutement ?
Léa Gérin : La production surtout et l’expédition ne sont pas des métiers attrayants. Sur les postes à responsabilité il y a moins de souci, mais sur les postes de saisonniers c’est compliqué. Nous, nous sommes une vieille entreprise ancrée dans le territoire donc pas mal de personnes reviennent chaque année. Mais je remarque que la pile de CV se réduit d’année en année.
Nos métiers ne sont pas faciles : très stressants en saison, avec de grosses amplitudes horaires centrés sur quelques mois. On travaille le week-end. Le télétravail -qui est un nouvel enjeu de recrutement- est impossible dans nos métiers. Alors bien sûr il y a une rémunération. Mais aujourd’hui le salaire n’est plus le leitmotiv. Les gens aujourd’hui -et pas que les jeunes- refusent de travailler le samedi.
« Aujourd’hui le salaire n’est plus le leitmotiv »
FLD : L’agriculture et le monde des fruits et légumes sont connus pour être un monde très masculin. Est-ce que cela a été difficile pour vous ?
Léa Gérin : Dans les métiers de la station, c’est très mixte, avec traditionnellement les femmes aux postes d’emballeuse et les hommes manutentionnaires. Mais sur les postes à responsabilité, de chef d’entreprise ou d’exploitation et de commerce, c’est très masculin.
En tant que femme, ça a été compliqué au début, surtout que j’étais jeune. Il faut prouver trois fois plus sa valeur. Mais une fois qu’on a fait ses preuves, c’est bon. Du coup je suis directrice de l’entreprise mais aussi présidente du melon de Cavaillon, représentante à la Commission Jeunes à l’Aneefel…
Avant ça parlait foot à table. Mais il y a de plus en plus d’acheteuses et maintenant on parle fringues à la pause déjeuner (rire). On est aussi beaucoup de mamans, avec des contraintes spécifiques, et ça permet d’échanger.
Au sein de Gérin et Fils, nous sommes multiculturels, des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, issus de milieux socio-professionnels très divers. Nous avons des fils d’avocats qui viennent se confronter à des personnes beaucoup plus précaires, c’est intéressant. On mange tous ensemble, il y a une bonne ambiance.
« Avant à table ça parlait foot (…) Maintenant on parle fringues, mais aussi de nos situations de maman »
FLD : Comment prenez-vous en comptes les contraintes personnelles comme le fait d’être mère ?
Léa Gérin : C’est effectivement compliqué de concilier nos impératifs de parents avec les horaires du métier. Par exemple c’est moi qui dois gérer l’école à 8h30 car le papa travaille plus tôt que moi ; à l’inverse il s’occupe de la sortie de l’école.
L’automatisation dans la station a permis de réduire la pénibilité du travail et de réduire l’amplitude horaire (qui, elle, s’est élargie car il faut livrer plus tôt alors que les commandes se font de plus en plus tard).
En outre, nous sommes une entreprise très familiale, avec les mêmes personnes qui reviennent chaque année. Donc les urgences familiales, je les comprends, on s’adapte.
« L’automatisation dans la station a permis de réduire la pénibilité du travail et de réduire l’amplitude horaire »
FLD : Vous êtes représentante à la Commission Jeunes de l’Aneefel. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Léa Gérin : La Commission Jeunes de l’Aneefel a été mise en place il y a 3 ans et nous y sommes aujourd’hui une bonne dizaine. Elle s’adresse aux futurs dirigeants des entreprises, partant du principe que nous n’aurons pas les même contraintes que nos parents.
Elle a pour objectif de mettre en place les outils dont on aura besoin pour prendre les bons virages : de communication, fiscaux, média-training… Par exemple les réseaux sociaux, que nos parents ne connaissaient pas du tout.
C’est aussi un lieu où l’on se rassure aussi mutuellement.
FLD : Quel sera le métier d’expéditeur en fruits et légumes demain ?
Léa Gérin : C’est une bonne question. On sera là, mais comment je ne sais pas. Ce sera la thématique de notre assemblée générale.