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Le lait bio face au Covid-19 : Quatre laiteries témoignent

Sodiaal, Lactalis, Agrial-Eurial et Danone témoignent des difficultés et des opportunités liées aux mesures de confinement pour lutter contre la pandémie Covid-19. L’incertitude des marchés rend prématurée les annonces de prix du lait pour le second semestre.

site transformation laitière
© A. Conté - Archives

Avant que la pandémie Covid-19 ne déclenche des mesures de confinement profondément perturbantes partout dans le monde, les transformateurs laitiers français développaient leurs marchés bio avec confiance. Le coronavirus n’a pas donné de coup d’arrêt, ni même ralenti cette croissance. Mais les laiteries s’inquiètent tout de même des conséquences de la crise économique à venir. « On entend dire que la crise économique va réduire le pouvoir d'achat et entraîner une perte de valeur. Mais on entend aussi parler de beaucoup d'épargne, qui va bien ressortir à un moment donné. Le bio reste pour l'heure un marché en croissance. Peut-être y aura t-il moins de croissance. La tendance des consommateurs à cuisiner davantage, à consommer plus local, sera-t-elle durable ? », s’interroge ainsi Jean-Paul Picquendar, responsable bio chez Sodiaal.

La filière lait de vache bio s'en sort bien par rapport au conventionnel, puisque les produits bio sont davantage ancrés sur les réseaux (libre-service en GMS et magasin spécialisé) et les gammes (produits cuisinables, simples) qui ont très bien fonctionné pendant le confinement. Et ils sont moins dépendants de l’export et de la RHF (restauration hors foyer).

Sodiaal : Des réorientations du lait pas évidentes en plein pic de collecte

Avant le Covid-19, la coopérative Sodiaal était plutôt confiante. Elle avait atteint 204 millions de litres collectés, auprès de 728 exploitations bio, et accompagnait une trentaine de conversions. Côté produits, le portefeuille s’était étoffé. « Finalement, par rapport au prévisionnel d’il y a trois ans, le lait infantile s'est développé moins fortement que prévu. Les fromages et l’ultra-frais ont mieux marché. Le nouveau pack de lait écoconçu lancé l’été 2019 a reçu un bon accueil et nous sommes au-dessus de nos objectifs de vente », pointe Jean-Paul Picquendar, responsable bio chez Sodiaal. Globalement, Sodiaal estime que son équation laitière est maîtrisée, mais environ 30% de la fraction protéique reste déclassée. « Il n'y a pas de solution miracle. Avec un peu plus de lait infantile, plus de fromages, plus d'ultra-frais qui consomme de la poudre de lait, on va améliorer progressivement l'équilibre matière. »

Avec le confinement, certes certains produits bio ont très fonctionné, mais « il a fallu opérer des transferts de production destinée à l'export ou à la RHF vers les autres réseaux de distribution. Et développer notre présence en Drive. Ce qui a un coût. Avec le manque de personnel, d'emballage, et les perturbations liées aux transferts, nous n'avons pas réussi à fournir toutes les demandes les premières semaines ». Dans le même temps, la collecte a été très dynamique en avril, avec de très bonnes pousses d'herbe. « En bio, nous avons eu +8% de collecte à périmètre constant ! Nous avons donc eu plus d'excédents de printemps et donc de déclassement, à un moment où le marché du beurre poudre conventionnel était dégradé. Les quinze premiers jours de mai, la collecte est en baisse, aidée par la sécheresse. En cette mi-juin, les poudres fabriquées au printemps n'ont pas encore été commercialisées. Dans ce contexte, le conseil d'administration a décidé de ne pas augmenter le prix du lait comme prévu, et de le maintenir au niveau de 2019 (plus de 470 €/1000 l prix réel payé en moyenne). »

Lactalis : « Il y a plus de concurrence par les MDD »

Lactalis est le premier transformateur de lait de vache bio, avec 207 millions de litres de collecte attendus sur 2020, auprès d’environ 600 exploitations bio. « Nous avons une gamme très étoffée en bio, nos produits sont présents dans les canaux de distribution qui ont profité de la crise liée à la gestion du Covid-19 (GMS, Drive). Nous avons perdu nos débouchés vers la RHF, nous avons pu opérer les transferts qu’il fallait et limiter les excédents déclassés en fabriquant davantage de lait de consommation bio et d’emmental bio. Malgré tout, les déclassements de printemps sont plus élevés que l’an dernier. Par contre, des opérateurs plus spécialisés ont été en réelle difficulté ce printemps et nous ont interpelé. Nous avons pris du lait bio et l’avons transformé, pour accompagner des PME en France », détaille Gérard Maréchal, directeur technique approvisionnements lait chez Lactalis.

Il souligne que pendant le confinement, Lactalis parvenait encore bien à pousser ses marques propres. « Mais à partir de la mi-mai, les distributeurs ont encore davantage mis en avant leurs marques distributeurs (MDD). » Lactalis fabrique beaucoup de produits sous MDD. Le problème, ce ne sont pas les volumes, mais la valeur, qui est affectée par une offre de produits bio très concurrentielle.

Les volumes vendus sont en croissance. « De mi-mars à fin mai, le consommateur a privilégié les produits plus simples et cuisinables, et les gros formats familiaux. Le lait liquide, le beurre, la crème et les pâtes pressées (essentiellement emmental) ont très bien fonctionné. A l’inverse, nous avons moins bien vendu la gamme d’ultra frais. Globalement, les ventes se sont développées en volume essentiellement, avec un recentrage des gammes, sur les produits qui margent le moins. Reste à voir si les consommateurs vont garder une partie de ces nouvelles habitudes. Et comment va jouer la baisse de pouvoir d’achat qui s’annonce. »

Le prix du lait du premier trimestre 2020 est en légère hausse pour Lactalis, à 484 €/1000 l (TPQC). « Devant l’incertitude des marchés il est encore trop tôt pour envisager l’évolution du second semestre », pointe Gérard Maréchal.

Agrial : « Covid-19 offre des opportunités mais il faudra veiller au prix »

Agrial comptait 56 exploitations en conversion mi-juin 2020 pour environ 300 fermes bio. « Avec un potentiel de 360 000 litres par exploitation, nous atteindrons plus de 115 millions de litres collectés en 2020 », indique Bruno Martel, président du Conseil métier lait de vache biologique chez Agrial.

Lors de la crise liée au Covid-19, Eurial – la branche lait d’Agrial - a dû s’adapter à la demande de ses clients. « La demande en MDD (marque distributeur) a explosé, celle en beurre et crème Grand fermage aussi (jusqu’à +40% certaines semaines), et nous n’avons pas pu honorer toutes les demandes. Comme c’est le cas dans d’autres segments, les grandes marques bien connues des consommateurs ont plus profité de l’effet Covid19. Notre marque « Les 300&bio » étant encore jeune, nous étions en très forte progression avant le confinement et l’épisode covid 19 nous a pénalisé. Nous sommes encore peu présents en Drive, segment qui a beaucoup progressé pendant le confinement. » Depuis, l’entreprise a développé ses référencements en Drive. « Nos ventes « Les 300&bio » n’ont pas chuté, mais notre progression a été plus faible que prévu. Nous relancerons à partir de l’automne les communications prévues pour dynamiser la marque, et les lancements de nouveaux produits pour diversifier la gamme et développer les fromages. »

Pour la suite, « il faudra faire attention aux coûts des produits et donc aux recettes, par rapport au risque de perte de pouvoir d’achat. Les gammes vont évoluer pour tenir compte des évolutions de consommation », estime Bruno Martel. « Et même si le pouvoir d’achat baisse, les produits laitiers bio devraient s’en sortir, car ils ont un surcoût matière de 150 €/1000 l environ soit 15 centimes du litre Ça reste très raisonnable. »

Côté opportunités, « la crise liée au Covid19 renforce les évolutions vers plus d’autonomie alimentaire, la proximité des approvisionnements, quels qu’ils soient. »

Agrial maintient ses objectifs de croissance de la collecte et travaille sur le rééquilibrage entre la fraction matière grasse très bien valorisée, et la fraction protéique, plus difficile à valoriser. « Nous fabriquons des poudres de lait infantiles bio, et des poudres de lait bio que nous utilisons dans nos produits ultra-frais et que nous vendons à l’industrie agro-alimentaire. La demande de l’industrie agroalimentaire pour la biscuiterie, chocolaterie, glaces… commence à se développer Et d’ici deux à trois ans, nous tablons sur un besoin supplémentaire de 30 millions de litres. Ce sont des débouchés intéressants pour l’équilibre matière. Il nous faut donc poursuivre notre rythme de conversions. Sinon, nous risquons de manquer de lait bio. »

L’effet confinement a été favorable à Danone

Danone collecte 15 millions de litres de lait bio auprès de 47 exploitations certifiées en Normandie, pour approvisionner deux usines sites normands (Molay Litry et Pays de Bray). 16 exploitations normandes sont en cours de conversion. Le site de Bailleul dans les Hauts-de-France fabrique une gamme d’ultra-frais de marque « Le Bio », avec du lait collecté auprès d’un spécialiste du bio qui travaille avec des éleveurs français certifiés Agriculture Biologique « Nous avons également un site de production de laits infantiles situé dans les Hauts-de-France, qui vient d’investir et va se développer également sur une offre laits infantiles bio ». Danone réfléchit à une collecte dans les Hauts de France, et 30 fermes sont d’ores et déjà intéressées pour entamer une conversion. « Nous poursuivons notre développement et notre offre bio s'étoffe dans toutes nos gammes historiques comme Danette, Danone, Activia.... Depuis notre arrivée avec de nouvelles offres de produits laitiers, nous sommes les premiers contributeurs à la croissance du bio », commente Laurent Schatz, directeur lait Danone France.

L'effet confinement n’a pas stoppé cette dynamique, au contraire. « Quand le marché total de l'ultra frais a fait +9% pendant le confinement, l'ultra frais bio a fait +6%, et Danone a fait +15 à +20% sur l'ultra-frais bio. C'est dû au fait que notre gamme est suffisamment étoffée pour offrir des solutions à tous les consommateurs, que nos marques sont déjà bien implantées, notamment dans les petites surfaces de distribution, et en Drive, des réseaux qui ont particulièrement bien fonctionné pendant le confinement », détaille Laurent Schatz.

 

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