Retour sur l’impact du Covid-19 sur la gestion des exploitations apicoles
L’ADA Bourgogne Franche-Comté a analysé deux cas de figure où la crise du Covid-19 a directement affecté le quotidien des apiculteurs, tant dans leur vie professionnelle que personnelle. Comment se sont-ils organisés pour travailler avec leurs enfants ? Comment ont-ils vendu leurs productions ? Comment sont-ils sortis de cette crise ? Rétrospective.
Imaginez une première exploitation de Karine et Kevin, qui a été confrontée, dans le cadre du confinement, à une double problématique. Si l’aspect économique s’impose par évidence, c’est l’aspect familial et l’organisation du travail qui a été le plus lourd. Ce couple avec deux enfants en bas âge a dû faire face à la garde des enfants. Classée comme activité essentielle, l’activité agricole n’a pas bénéficié des mêmes facilités que le corps médical, à savoir l’accès à la garde d’enfants. Leur nourrice ayant peur du Covid-19, et l’école n’étant plus accessible, le couple a dû faire face, seul, à la garde de ses enfants.
De même, les bâtiments n’étant pas conçus avec des espaces sécurisés pour des enfants de 3 et 4 ans, la tâche s’est avérée ardue, d’autant plus que les deux parents étaient mobilisés à plein temps sur la gestion du cheptel, la transformation et la commercialisation. Après une tentative de surveillance des deux enfants dans le bâtiment, il s’est rapidement avéré que cela était impossible et trop dangereux. Entre manipulations d’objets coupants dénichés à l’insu des parents, grimpette en haut de grande échelle et ouverture d’une cuve à sirop, qui a engendré une charge conséquente de nettoyage, cette option a été abandonnée.
Travailler et garder les enfants en même temps, danger
La deuxième stratégie a été, pour Karine, de travailler de nuit à la transformation et de garder les enfants la journée. Seulement, la fatigue engendrée étant trop lourde, c’est la séparation des deux enfants qui a été mise en place. Le plus âgé était aux ruches avec son papa et le plus jeune avec sa maman. Ce dispositif s’est avéré opérationnel le premier jour, mais le deuxième, le plus âgé a retiré sans prévenir sa combinaison au rucher. Piqué à de multiple reprise, la journée s’est soldée par un séjour aux urgences avec de sérieuses craintes pour la vie de l’enfant qui s’en est sorti indemne.
La garde des enfants sur les exploitations agricoles a également constitué un sujet de premier ordre parmi les collègues agriculteurs, privés de toute alternative. Obligés de travailler, les enfants accompagnaient les parents dans leurs tâches, ce qui constituait un facteur de stress considérable. Malheureusement, et malgré l’attention portée aux enfants, la communauté a été confrontée à un accident mortel qui a endeuillé tout le monde et reposé cette réflexion : l’agriculture n’est-elle pas une activité assez essentielle pour avoir droit à la garde d’enfant ?
Adaptation à la modification des possibilités de commercialisation
Qu’en a-t-il été du côté économique ? L’arrêt du mode de commercialisation représentait potentiellement une perte de 20 % du chiffre d’affaires. L’arrêt des marchés et des ventes événementielles ont poussé les acteurs économiques à trouver des parades. Karine et Kevin ont mis leur magasin et leur terrain à disposition pour organiser un point de vente collectif en produits alimentaires, permettant aux consommateurs de retrouver un lieu d’approvisionnement. Grâce à la vente à la ferme, le report du consommateur sur les produits du terroir et sa disponibilité pour se déplacer, il n’y a pas eu de pertes de chiffres d’affaires.
Finalement, malgré de grandes difficultés familiales, la période Covid-19 n’a pas été marquée par une baisse du chiffre d’affaires. Cependant à cause des changements induits, c’est maintenant que la perte de chiffre d’affaires se fait sentir : les consommateurs ont repris leurs habitudes, le temps disponible est moindre et ils retournent s’approvisionner au supermarché. Par ailleurs, la vente événementielle n’a pas retrouvé son niveau d’activité d’avant. Ainsi, sans le regain d’activité sur la vente à la ferme, c’est désormais 20 % du chiffre d’affaires qu’il faut reconquérir.
L’arrêt des ventes a fait prendre conscience de la fragilité du système
Dès le confinement, cette deuxième exploitation, de Gabriel, qui réalisait a minima 80 % de son chiffre d’affaires au détail s’est trouvée privée de débouchés. La stratégie de commercialisation était essentiellement axée sur les marchés et ces derniers étaient fermés. Hormis les 1 500 euros d’indemnités perçues suite à une procédure de demande simple, le couple d’apiculteurs a passé quatre mois sans aucuns revenus.
Cette réduction d’activité s’est traduite par une réflexion de fond sur l’exploitation qui présentait les caractéristiques suivantes :
un mode de commercialisation trop spécialisé, une absence de diversification de productions et une structuration économique de l’exploitation trop limitante. L’apiculteur a pris également en compte dans ses réflexions la fluctuation de la production en raison des changements climatiques et la gestion des stocks que cela entraîne.
Durant la période d’absence de commercialisation, le temps disponible généré a été mobilisé dans le développement de l’activité élevage de reines et de production d’essaims, ainsi que la mise en place d’une société axée sur la commercialisation du miel et des produits transformés.
Désormais, la commercialisation en vente directe prend une part un peu moins importante, puisqu’elle représente 70 % du chiffre d’affaires. Les parts de l’élevage et de la vente en vrac sont de 30 %, l’exploitation vend 200 essaims et 600 reines par an. En outre, la société commerciale offre beaucoup plus de souplesse et l’exploitation fait appel à de la main-d’œuvre.
Il aura fallu près d’un an après le déconfinement pour retrouver le niveau de vente initial de miel. En effet, le retour de la clientèle a été compliqué, d’autant plus que les nouveaux aménagements de marchés perturbaient l’organisation initiale. Ainsi, il aura fallu que l’exploitant puise dans sa trésorerie pour compenser le manque à gagner et restructurer son exploitation.
Jean-Baptiste Malraux, ADA Bourgogne Franche-Comté
Portraits
Exploitation n° 1 de Karine et Kévin
Nombre de colonies : 500
Nombre équivalent temps plein : 2
Production : miel et produits transformés
Commercialisation : 80 % vente ½ gros et 20 % détail
Exploitation n° 2 de Gabriel
Nombre de colonies : 200
Nombre équivalent temps plein : 1
Production : miel et produits transformés
Commercialisation : 80 % vente détail, 20 % vente en vrac