La flore des vignobles, une ressource qualitative pour les abeilles en hiver ?
Les pratiques viticoles sont en mutation et les abeilles pourraient en tirer profit. Le développement des surfaces à visée agroécologique, l’enherbement en interrang, la réduction du désherbage chimique sont autant de signaux positifs pour la filière apicole qui peut ainsi étoffer sa ressource florale, en particulier en hiver.
Certains départements tels que l’Hérault présentent des surfaces en vignes prépondérantes dans le paysage et une densité de colonies d’abeilles importantes. Dès lors, lorsque l’apiculteur cherche à rassembler son cheptel pour procéder à l’hivernage des colonies, la proximité avec des vignobles peut être difficile à éviter. Les milieux viticoles, malgré les inquiétudes qu’ils peuvent susciter, ne sont pas nécessairement à fuir et peuvent même présenter des caractéristiques intéressantes pour le développement des colonies d’abeilles mellifères.
Le désherbage, chimique ou mécanique, entraîne une réduction de la disponibilité florale. La pratique reste largement répandue sur la période printemps-été, principalement par crainte de la concurrence sur l’eau et l’azote que peut représenter la végétation en interrang de vignes, et a fortiori au pied de la vigne. Entre les vendanges et la fin d’hiver, les vignes ne sont généralement pas désherbées. En milieu méditerranéen, un suivi réalisé par l’ADA Occitanie dans le cadre de l’expérimentation Vinapi2 a montré que la fausse roquette peut dès le début de l’automne être en floraison dans les interrangs et fournir un approvisionnement en pollen. En complément, la flore d’intérêt peut se trouver du côté des espaces interstitiels, des jachères et des espaces naturels environnants avec par exemple la présence d’inule visqueuse, de lierre ou de bruyère.
La fausse roquette, ressource phare de l’hiver en milieu viticole méditerranéen
À la sortie de l’hivernage, la ressource pollinifère est particulièrement importante pour les colonies car c’est le moment où la reine se remet à pondre et la bonne nutrition des larves conditionne la santé et la dynamique de la colonie. Là encore, selon Vinapi2, la fausse roquette est la source principale, voire exclusive, de pollen pour les colonies en janvier et février.
La fin de l’hiver marque le début des interventions dans les parcelles de vignes, et pour de nombreux apiculteurs le moment de transhumer les ruchers vers des emplacements permettant la production de miel. Néanmoins, le maintien de la flore d’interrangs jusqu’à courant mai s’observe de plus en plus fréquemment dans les vignobles. Cela est particulièrement intéressant lorsqu’un couvert diversifié a été semé, contenant de la moutarde, de la féverole ou du sainfoin.
Au-delà des interrangs, d’autres espaces viticoles peuvent être le support d’une flore apicole. Après l’arrachage de vignes, une période de mise en jachère des parcelles est respectée. Il est alors possible de semer une jachère fleurie ce qui offre une ressource florale non traitée. On y trouve par exemple le sainfoin ou la luzerne, deux espèces mellifères. Sur jachère, les abeilles pourront profiter de toute la floraison puisqu’il est interdit de l’exploiter pour usage fourrager.
Résidus de traitements, un risque à partir de mars
Les traitements phytosanitaires appliqués sur vigne sont concentrés sur le printemps-été, ce qui permet aux abeilles de profiter de la ressource florale hivernale sans s’exposer aux produits de traitement. Les premiers traitements de l’année sont les herbicides utilisés pour détruire la flore d’interrang. Des analyses réalisées sur pollen de trappe montrent des niveaux de contamination très bas voire nuls jusqu’à mi-février. Sur l’emplacement entouré d’une vigne conduite en conventionnel, une première molécule à usage herbicide a été détectée dans des proportions importantes fin février, et début mars, cinq herbicides ont été retrouvés. Mais sur le même emplacement deux ans plus tard, aucun résidu de traitement n’a été détecté jusqu’au retrait des colonies fin février car les interrangs jouxtant l’emplacement de rucher ont été majoritairement désherbés mécaniquement, ce qui est rassurant sur l’évolution des pratiques.
Tisser un dialogue interfilière
On voit ainsi que la bonne cohabitation des activités viticoles et apicoles dépend du mode de gestion des vignes. Afin de s’assurer de la pertinence de positionner ses colonies sur un emplacement donné, il est important de connaître les pratiques : quelle végétation d’interrangs est présente ? À quel moment celle-ci est détruite ? Quels sont les traitements appliqués, à quelles périodes de l’année, à quels moments de la journée ? La réponse à ces questions permet d’évaluer la ressource alimentaire potentielle et le risque d’impact négatif sur les colonies.
La filière apicole a un rôle à jouer dans la promotion de pratiques culturales favorables aux abeilles. Dialoguer et échanger sur les contraintes techniques est un préalable afin d’identifier des leviers susceptibles d’être acceptés. Le premier pas : retarder la destruction de la flore spontanée d’interrang jusqu’au départ du rucher vers un autre emplacement, afin d’éviter une chute de l’approvisionnement pollinique et la contamination par des herbicides de la ressource apportée à la ruche.
N’hésitez pas à prendre contact directement avec les domaines viticoles à proximité des ruchers. En complément, les rencontres organisées par les acteurs de la filière viticole sont des opportunités pour faire valoir l’importance de la prise en compte des abeilles et entreprendre une coopération.
Le saviez-vous
Contrairement à une idée répandue, les abeilles visitent les fleurs de vignes pour y collecter du pollen. C’est un fait connu depuis une première publication en 1930. De récents travaux du réseau ADA-Itsap montrent la présence de pollen de vigne à hauteur de 41 % des rentrées de pollen de la colonie en Gironde (projet Survapi 2021), 60 % dans le Vaucluse (projet ORP 2016) et même 81 % dans les Bouches-du-Rhône (projet Flavescence 2014).