Anticiper et organiser le travail de chacun
Travailler efficacement avec un salarié amène à mettre à plat l’organisation du travail, formaliser les tâches de chacun au quotidien et anticiper les gros travaux, tout en prévoyant les aléas.
Travailler efficacement avec un salarié amène à mettre à plat l’organisation du travail, formaliser les tâches de chacun au quotidien et anticiper les gros travaux, tout en prévoyant les aléas.
« Ah, tu as fini. Mince, il reste encore deux heures : qu’est-ce que je vais te faire faire ? », ironisait un des éleveurs enquêtés par le Cniel et Idele, pour décrire le genre de situation à éviter. « L’organisation et la planification du travail est une des principales difficultés managériales rencontrées par les employeurs débutants ou ceux de salariés à temps partiel, décrivent les auteurs de l’étude. Optimiser l’emploi du salarié toute la journée de façon efficace et en prévoyant des activités alternatives en cas d’aléas est vécu comme un vrai challenge. »
Le salariat impose des règles : durée légale du travail, congés... La plupart des éleveurs considèrent que 35 heures par semaine, soit 7 heures par jour, ce n’est pas adapté au fonctionnement d’une exploitation agricole soumise à de fortes variations de volume de travail et à des aléas. « Certains acceptent mal qu’un salarié fasse moins d’heures qu’eux, observe Sophie Chauvat, d’Idele. Mais quand les employeurs comprennent que les salariés ne sont pas corvéables à merci, cela change beaucoup de choses. Ils sont payés pour faire 35 heures, mais s’ils les font correctement, il n’y a pas de raison que ça se passe mal. Dans la réalité, ils sont extrêmement souples. » Les éleveurs enquêtés s’accordent sur l’idée que cette souplesse « à double sens » est essentielle.
« Les exploitants sont inventifs », note Sophie Chauvat, quant à la manière d’organiser le temps de travail tout en restant dans le cadre légal. Beaucoup font des contrats de plus de 35 heures en payant le salarié en conséquence pour qu’il puisse faire plus de 7 heures par jour. D’autres annualisent le temps de travail en le répartissant différemment selon les périodes de pointe et les périodes creuses. Ils alternent par exemple des semaines à 35 heures, d’autres à 42 heures et d’autres à 28 heures. Ces horaires doivent être planifiés à l’avance. Certains salariés font des journées plus longues quand il y a besoin et récupèrent des journées en périodes creuses. « Mais il ne faut pas que l’annualisation soit toujours à sens unique et que le salarié ne puisse prendre des congés qu’au mois de novembre, prévient Sophie Chauvat. Les arrangements, c’est ce qu’on a fait de mieux pour que les choses se passent bien. » Des éleveurs estiment qu’il est plus facile de gérer une durée de travail à horaires fixes : 7 heures par jour sur cinq jours, ou près de 9 heures par jour sur quatre jours par semaine.
L’organisation du travail dépend aussi des tâches confiées au salarié. Mais, quoiqu’il en soit, le travail doit être anticipé et planifié pour être sûr qu’il y ait de l’activité pendant le temps de présence du salarié. « Ce n’est pas difficile mais la présence d’un salarié change souvent la donne pour les exploitants, prévient Sophie Bidet, de la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire. Parfois, ils se sentent un peu moins libres, moins spontanés. Leurs habitudes sont chamboulées. Ils doivent prendre conscience que ce qu’ils ont dans la tête, ils doivent le poser oralement voire par écrit pour voir un peu plus loin. L’organisation du travail est le fil conducteur de la gestion des ressources humaines. »
Pour le travail d’astreinte (traite, alimentation du troupeau, soin des veaux, paillage...), qui obéit à une organisation journalière, on peut formaliser une journée type, par grande période de l’année, en décrivant et quantifiant toutes les tâches à réaliser et en les répartissant entre les différentes personnes. Les ajustements se font au quotidien.
Le travail de saison (travaux des cultures et surfaces fourragères, chantiers sur le troupeau) est un peu plus complexe à organiser car il est fortement soumis aux aléas climatiques et aux relations avec d’autres agriculteurs (entraide, Cuma...). Les différents chantiers doivent être planifiés et quantifiés sur un calendrier annuel. L’organisation plus fine se fait à la semaine ou à la quinzaine et l’ajustement au jour le jour. En cas de mauvais temps, il faut avoir une solution de rechange sous la main : travaux d'entretien, réparations... Beaucoup d’éleveurs enquêtés reconnaissent que le métier d’employeur les a obligés à mieux s’organiser et que cette remise en question leur a été bénéfique à tout point de vue.
S’organiser pour les week-ends et les congés
Les vaches ne s’arrêtent ni de produire ni de manger pendant les week-ends et les congés. Cette continuité du travail d’astreinte doit être prise en compte dans le projet d’embauche. « Dans les grands collectifs de travail, exploitants et salariés font un roulement pour les week-ends : cela fonctionne très bien, affirme Sophie Chauvat. C’est plus problématique dans les petites exploitations qui emploient un apprenti ou un salarié à mi-temps. Le week-end peut être plus difficile à gérer pour l’exploitant car il se retrouve souvent seul. » Certains éleveurs embauchent de la main-d’œuvre d’appoint pour les week-ends, parfois même à plusieurs en groupement d’employeurs afin de la pérenniser. Quant aux congés, ils doivent être planifiés plusieurs mois à l’avance, y compris ceux de l’exploitant, quitte à ajuster le moment venu. Parmi les recommandations aussi : prévenir les salariés des périodes où ils devront tous être présents. S’assurer qu’ils ne se retrouvent pas en fin d’année avec un solde de congés trop important. Et, enfin, arbitrer collectivement le planning des congés pour éviter des conflits.
Paroles d'éleveurs
« 35 heures, c’est vite passé. Heureusement qu’on travaille en annualisation, ça donne quand même un peu de souplesse. »
« Arriver à organiser pour que ce soit efficace, rapide et que ça se goupille bien... L’organisation, c’est plutôt un truc que je ne connaissais pas et que j’apprécie. »
« Si on trouve que le travail est mal fait ou pas fait correctement, la moitié du temps c’est parce que l’ordre est mal donné. Si on arrive à se remettre en cause en se disant que, quand on lui a dit, en fin de compte il n’a pas dû comprendre... Ce n’est pas facile de se remettre en cause. »
Emeric Barbier, en Isère (50 vaches, 410 00 litres de lait)
« Bien dire tout ce qui nous paraît simple »
« J’emploie un salarié à tiers temps avec deux autres exploitations. Il fait 39 heures en quatre jours. Il vient un jour pendant deux semaines d’affilée et deux jours consécutifs la troisième semaine. Employer un salarié, ce n’est pas si simple. Sa présence enlève une charge de travail mais rajoute un côté humain à gérer. Il faut penser le travail pour deux. Neuf fois sur dix, quand un travail est mal fait ou pas de la manière qu’on voudrait, c’est parce qu’on l’a mal expliqué. Il faut prendre le temps d’échanger avec le salarié et, surtout, bien dire tout ce qui nous paraît logique ou simple. Nous, nous le faisons les yeux fermés, mais pour le salarié, ce n’est pas forcément simple. Ce sont tous ces détails qui font la différence du travail compris, et du coup bien fait. La traite est pour moi un moment de tranquillité. J’en profite pour réfléchir à l’organisation du travail. Je prévois toujours une semaine d’avance. Cela demande un gros travail d’anticipation : il faut avoir un plan A, un plan B voire un plan C. Je travaille beaucoup en Cuma. Gérer le matériel, le salarié et le temps qu’il va faire demande une certaine gymnastique intellectuelle pour que ça fonctionne. »
Bruno Pinel, en Loire-Atlantique (600 000 litres, 95 vaches en bio)
« Être clair sur les horaires et les respecter »
« J’emploie trois salariés. J’embauche plutôt des personnes avec un niveau BTS. Tous sont polyvalents, mais deux sont plus spécialisés sur l’élevage et le troisième sur les cultures. Ils travaillent 35 heures par semaine, mais font deux types d’horaires : soit de 6 h 15 à 15 h 30 pour faire la traite du matin ; soit de 9 h 00 à 18 h 00 pour faire la traite du soir. Les deux salariés qui sont sur l’élevage font un roulement sur trois semaines prévu six mois à l’avance. La première semaine, ils sont du matin les lundi, mardi et mercredi, de repos les jeudi et vendredi, et ils travaillent le week-end. La semaine suivante, ils sont du matin le lundi, de repos le mardi, et de l’après-midi les mercredi, jeudi et vendredi. La dernière semaine, ils alternent : deux jours du matin, deux jours de l’après-midi. En gros, ils font la moitié de leurs journées le matin et la moitié l’après-midi. La salarié qui est plus spécialisé sur les cultures travaille tous les jours de 9 h 00 à 18 h 00 ; il fait une à deux traites par semaine et il est d’astreinte un week-end par mois. Une seule personne est présente le week-end (samedi et dimanche avec 6 à 7 heures de travail d’astreinte). Pour que les salariés aient envie de rester, il faut avoir des horaires clairs, fixes et les respecter. Lorsqu’il y a des dépassements, exceptionnellement, ils sont soit récupérés soit rémunérés en heures supplémentaires. »